Une polémique récente à pour objet les effectifs d’officiers généraux de l’armée française. On dénonce l’existence de 5 500 officiers généraux et, globalement, leur relative inutilité. Cette polémique peut se diffuser facilement en jouant sur les ressorts traditionnels en France de la défiance vis-à-vis de la hiérarchie, aggravée par les carences du haut commandement tant en 1914 qu’en 1940, mais en jouant aussi sur un contexte économique tragique et sur une diminution idéologique du budget et des moyens de l’armée française. L’objet de cet article est d’apporter aux visiteurs du site un éclairage sur la réalité réglementaire du monde des officiers généraux.
Les dispositions particulières applicables aux officiers généraux figurent au titre III du statut général des militaires.
Les officiers généraux sont répartis entre deux sections. La première section comprend les officiers généraux placés dans l’une des quatre positions statutaires, disons pour faire simple en position d’activité.
La deuxième section se définit par opposition à la première. Elle comprend les officiers généraux qui, n’appartenant pas à la première section, sont maintenus à la disposition du ministre de la Défense. Celui-ci peut les employer en fonction des nécessités de l’encadrement.
Les officiers généraux peuvent enfin être radiés des cadres, comme tout militaire, en fin de carrière en particulier, mais c’est le cas de bien peu d’entre eux. Nous reviendrons sur ce point important en fin d’article.
Le ministre de la Défense peut donc faire appel à un officier général de la deuxième section selon deux modalités. Dans le premier cas, le plus fréquent, l’officier général reste dans la deuxième section et se voit confier une mission dans un cadre contractuel. Dans le second cas, l’officier général peut assurer une fonction d’encadrement, par exemple un commandement organique ou opérationnel, et il est temporairement replacé en première section, sans toutefois pouvoir servir au delà de la limite d’âge de cette première section (61 ans).
La deuxième section est donc un cadre de réserve sans limite d’âge et sans limitation de nombre. Actuellement, elle comprend plus de 5 400 généraux, une petite centaine seulement faisant l’objet d’un rappel en première section chaque année.
La question de limiter l’âge des officiers généraux placés en deuxième section à 68 ans, limite d’âge la plus élevée de la fonction publique, est parfois soulevée mais sans suite concrète.
L’admission en deuxième section intervient soit par atteinte de la limite d’âge ou à expiration du congé du personnel navigant, soit par anticipation sur la demande de l’intéressé ou pour des raisons de santé dûment constatées.
Les conditions « non-écrites » de la non-admission en deuxième section, c’est-à-dire la radiation des cadres, sont résumées par le statut général des militaires sous le terme inadéquat de sanction…
Quel est le bénéfice de l’admission en deuxième section comparée à une retraite ordinaire pour son bénéficiaire ?
Les officiers généraux placés en deuxième section perçoivent une solde de réserve, dont le montant est équivalent à celui de la pension de retraite mais qui est fiscalement considérée comme un revenu d’activité, ce qui permet de bénéficier de la déduction de 10 % pour frais professionnels dans le calcul de l’impôt sur le revenu. Pour des raisons analogues, ils conservent le bénéfice des avantages tarifaires accordés aux militaires en activité pour leurs déplacements en train, c’est-à-dire demi-tarif ou quart de place en première classe selon le type de train.
Ils bénéficient des soins du service de santé des armées et de l’aide du service chargé de l’action sociale des armées, ce qui n’est pas sans intérêt pour une population vieillissante. Ils continuent de bénéficier de la protection juridique accordée aux militaires par le statut général.
Ils disposent de la liberté de conscience, d’opinion, d’expression et d’information dans les mêmes conditions et sous les mêmes réserves que les autres militaires en situation d’activité ; ils sont notamment soumis à l’obligation de réserve exigée par l’état militaire et à l’obligation de discrétion pour les faits ou informations dont ils ont connaissance à l’occasion de l’exercice de leurs fonctions. Il faut préciser ici que si cette obligation n’est pas respectée, l’officier général en deuxième section peut être l’objet d’une sanction disciplinaire et être placé d’office en position de retraite, c’est-à-dire radié des cadres. Pour dire les choses clairement, les quelques avantages consentis servent à acheter le silence des officiers généraux à l’issue de leur carrière active. Rien n’est gratuit.
Comment sont nommés les officiers généraux…
Il est question de modifier les conditions actuelles de nomination des officiers généraux, mais il est permis de douter d’un quelconque changement tant ces conditions permettent un asservissement efficace du gratin des officiers de l’armée. Cela permet aussi de mesurer toute l’ineptie de la crainte d’une large part du personnel politique national quant à la possibilité d’un coup d’État militaire en France… N’est pas Bonaparte qui veut ! Et les temps ont changé…
La quasi-totalité des officiers généraux actuellement en service ont été nommés à titre conditionnel, après s’être engagés par écrit à demander leur placement anticipé en deuxième section à une date déterminée : un officier général en deuxième section chargé de mission m’a confié de vive voix qu’aucune date ne figurait sur sa lettre de démission et que la date de son admission en deuxième section lui avait été communiquée verbalement… et il est plus que vraisemblable qu’il en est ainsi pour tous.
Ce mode de nomination conditionnelle est aussi appelé conditionnalat. Ces conditionnalats sont accordés pour une durée de six mois à cinq ans, mais comme nous l’avons vu, cela demeure théorique.
Indépendamment d’aspects « occultes », il est un facteur important qui explique à la fois le nombre élevé de généraux en deuxième section et le fait que pratiquement aucun ne peut servir en première section jusqu’à la limite d’âge de son grade.
Notre armée comptait encore près de 500 000 hommes en 1989, hors gendarmerie, et n’en compte plus aujourd’hui qu’environ 230 000, ce nombre étant appelé à diminuer encore significativement d’ici très peu de temps comme chacun sait. Or la majeure partie de l’encadrement de cette armée de 500 000 hommes est demeuré en place pour sa plus grande part et il ne pouvait en être autrement compte tenu de la spécificité des formations en dépit de la mise en place d’incitations financières au départ. Ce surnombre conjoncturel va donc perdurer pour nos officiers généraux jusqu’à ce que la mort fasse son œuvre. Le nombre d’officiers généraux en poste aujourd’hui est bien moindre qu’en 1989, ce qui augure d’une baisse proportionnelle des effectifs de la deuxième section dans une vingtaine d’années…
La diminution du nombre de postes pose aussi le problème de la gestion des carrières d’officiers qui n’ont pas démérité et qui voient les perspectives d’avancement s’étioler par rapport à ce qui leur était promis lorsqu’ils sont entrés en école d’officiers. Ce problème explique en partie le conditionnalat, mais en partie seulement. Tout cela tient en revanche d’un bricolage ou tout est permis…
On assiste depuis quelques années à un allongement des durées de grade, qui avaient fortement diminué il y a bien longtemps pour augmenter l’attractivité financière des carrières militaires, l’augmentation de salaire étant davantage liée à l’avancement en grade qu’à l’ancienneté. À titre d’illustration, un certain De Gaulle est resté 12 ans capitaine à une époque ou la moyenne du séjour à ce grade était de 16 années ! Cette moyenne est aujourd’hui de 6 à 7 ans, augmentée d’un an par rapport à la fin des années 90. Si ce phénomène se propage jusqu’à la haute hiérarchie, l’accession au grade de général sera elle aussi repoussée de plusieurs années, ce qui serait cohérent avec le désir de repousser l’âge de l’admission en deuxième section, mais qui pourrait aussi être de nature à mécontenter des serviteurs de l’État bien « logés » : on quitte là le domaine du rationnel… Les réflexions en cours ne semblent cependant pas aller dans ce sens, ce qui est choquant au regard de ce qui est imposé à l’ensemble de la hiérarchie militaire, sous-officiers compris. Au contraire, il est question de revalorisations diverses, d’avantageuses mesures de dégagement des cadres… Une grande partie des officiers comprend bien que les carrières des colonels et généraux obéissent à d’autres règles… Il se dit que la pratique du conditionnalat devrait, sinon disparaître, du moins fortement diminuer : à titre personnel, je ne le crois pas du tout. C’est un serpent de mer vieux de 15 ans au moins et il présente tant d’avantages pour le Pouvoir républicain que le principe n’en sera pas abrogé : on adoptera un autre mot, mais la pratique perdurera. Pourquoi supprimer un si efficace moyen de pression et de contrôle de la haute hiérarchie militaire ?
Il est vraisemblable que la fin de carrière problématique des colonels et généraux n’est pas étrangère au pourrissement général de l’État, à l’atmosphère de corruption générale, de renoncement et de trahison. Colonels et généraux ont en effet d’abord été de jeunes lieutenants, hommes de principes et de conviction pour la plupart, et il devient sans doute difficile, le poids des années venant, de servir un appareil politique dans lequel on ne croit plus ! La corruption de l’âme, synonyme d’accession aux grades ultimes, ne doit pas être sans conséquences pour les moins arrivistes.