Egalité et Réconciliation
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Diviser pour régner : brève histoire de l’art de gouverner

Comprendre les quatre colonnes de la domination à l’aide des grands anciens

AteliER
Article initialement publié dans l'atelier E&R

La politique comme mystification

 

Il y a tout juste cinq siècles, dans l’Angleterre d’Henri VIII, Thomas More avait livré une définition remarquable d’un gouvernement : « Rien qu’une certaine conspiration d’hommes riches, s’assurant leurs propres avantages sous le nom et le titre de République. »

En conséquence, « point de gouvernement, même populaire, la révolution est là » (Proudhon). Nombreux sont ceux qui veulent nous réformer les institutions, nous faire voter différemment, nous faire participer à la mascarade plus « démocratiquement ». Bernanos était convaincu que la « démocratie » était « le mot le plus prostitué de toutes les langues ». Les puristes nous parleront de son dévoiement, de l’idéal que ce système représentait dans la Grèce antique du citoyen impliqué. Soit.

Une chose est certaine, les urnes restent le totem des gouvernants. Il n’est qu’à voir l’énergie dépensée par le système (de Juppé à Edwy Plenel) pour défendre le droit de vote qu’il devrait (selon certains) farouchement craindre. Bien sûr, il est toujours possible d’aller voter. On gardera néanmoins en mémoire le rappel salutaire d’Octave Mirbeau dans La Grève des électeurs : « Plus bête que les bêtes, plus moutonniers que les moutons, l’électeur nomme son boucher et choisit son bourgeois. Il a fait des Révolutions pour conquérir ce droit. »

 

 

L’agitation politique stérile du jeu électoral est le degré supérieur de la passivité, ce qu’avait bien perçu Bernard Charbonneau, penseur injustement méconnu. Lors des élections, « si le peuple participe, c’est à la façon du marbre dans les mains du sculpteur ».

D’ailleurs, bleu, blanc ou rouge, comme le soulignait Bakounine, «  la force réside beaucoup moins dans les hommes, que dans les positions que fait aux hommes privilégiés l’organisation des choses, c’est-à-dire l’institution de l’État (comme pouvoir séparé) ». De quoi comprendre l’avertissement de Proudhon : « Mettez un saint Vincent de Paul au pouvoir, il y sera Guizot ou Talleyrand. » À méditer sereinement.

 

La guerre comme vengeance

 

La première fonction de la guerre est d’absorber les stocks excédentaires de produits et d’hommes. Elle permet au capitalisme de détruire les surproductions de marchandises et d’infrastructures. Politiquement, la guerre sacralise les chefs d’État et constitue un extraordinaire vecteur d’obéissance.

L’intérêt de la guerre fut souligné dès l’Antiquité par Isocrate (IVe siècle avant J.-C.). L’une des raisons invoquées par cet orateur athénien (alors favorable au roi Macédonien montant, Philippe II) en faveur d’une colonisation de l’Asie, était que l’éloignement des classes dangereuses assurerait la tranquillité de la Grèce.

Richelieu, deux mille ans plus tard, exprima une idée similaire. Dans ses mémoires politiques (1642), le cardinal écrit à propos de la guerre, qu’il juge nécessaire : « Les États en ont besoin en certains temps, pour purger du royaume les mauvaises humeurs. »

À la faveur de l’endoctrinement consécutif aux attentats de 2015, de jeunes Français précarisés foncèrent, en nombre croissant, servir théoriquement dans les rangs de l’armée française pour défendre en fait pratiquement les intérêts de l’OTAN. L’intégration – et donc la neutralisation – des jeunes pauvres dans l’armée, voilà une évidente réussite pour un authentique homme d’État. Le maréchal de Villars, fidèle du « Roi Soleil », constatait déjà, au XVIIe siècle, l’attrait que ne manquait pas d’exercer l’armée en des temps d’indigence. Il y voyait une aubaine pour le pouvoir : « Le malheur des peuples fait le salut du royaume. »

La guerre de 14-18 fut également l’occasion pour la classe capitaliste internationale de démolir le petit peuple, jadis encore fort agité sur le Vieux Continent. La duplicité patriotique épura la terre européenne de ses enfants les plus séditieux (paysans et ouvriers à l’avant-garde des massacres).

Déjà, médias aux ordres et exécutants politiques sonnaient le tocsin du massacre populaire. « Il n’a fallu qu’un soir de samedi qu’un matin de dimanche, et deux petits drapeaux sur une affiche blanche », résumait Edmond Rostand.

 

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Gabriele Galantara, Le Capitalisme, publié dans la revue L’Assiette au beurre le 22 juin 1907

 

Anatole France constatait, amer, cet invariant historique de la civilisation marchande : « On croit mourir pour sa patrie, on meurt pour les industriels. » Cette guerre horizontale fomentée par le Capital – et reproduite en 1939 – fit écrire à Prévert : « Les peuples sont liés par les liens sacrés du carnage. »

La guerre est, in fine, la restructuration du Capital et « le repos des gouvernements » (Bouthoul).

 

L’acculturation comme nécessité 

 

Saper la lutte des classes, effacer des pans entiers de notre histoire, diviser le corps social : voilà des tâches à la mesure de tout État cohérent. Pour diviser un peuple et le conserver, docile, sous son empire, le pouvoir doit réécrire l’Histoire comme l’avait parfaitement noté Orwell : « Qui contrôle le présent contrôle le passé. Et qui contrôle le passé contrôle le futur. »

Dans cette optique, le pouvoir organise la rupture des petites gens avec la généalogie de leur insurrection et de leur insubordination. Seule demeure la généalogie de leur domestication et de leur servitude, célébrée à l’occasion des commémorations militaires et des hommages aux révolutions de palais (1789).

Concomitamment, la conversion culturelle de l’Europe à la domination impériale de l’imaginaire américain de la marchandise fut au cœur des priorités des modes de gouverner, dès 1945. Charbonneau soupçonnait le destin inéluctable des populations européennes : américanisation des pratiques sociales, des luttes populaires, du travail, de la culture, de la religion et des désirs. Il écrivait ainsi, visionnaire : « L’Amérique nous tend un miroir : profitons-en, c’est notre gueule à venir. »

 

 

Cette soumission culturelle n’est évidemment pas nouvelle. Dans l’Antiquité, les Bretons, d’abord rétifs à la romanisation coercitive, furent vite matés par les délices de l’assujettissement culturel des Romains (fêtes, thermes, spectacles, etc.). Tacite (Ier siècle ap. J.-C.) nous le rappelle brillamment : « Dans leur inexpérience, les Bretons appelaient civilisation (humanitas) ce qui contribuait à leur asservissement. »

Avec l’achèvement de la domination culturelle américaine, l’actualité triomphe de l’Histoire. Sur une société aliénée et divisée plane désormais l’odeur pestilentielle de l’immobilité sociale. « Nous nous sommes faits américains » (Debord).

 

Le Terrorisme comme diversion

 

Le terrorisme fut efficacement défini par le journaliste américain Webster Tarpley : « Le moyen par lequel l’oligarchie mène une guerre secrète contre les peuples, qu’il serait politiquement impossible de mener ouvertement. » S’inscrivant dans le temps long, nonobstant l’actuelle écume islamiste, le terrorisme étatique est fondamentalement une technique de gouvernement à l’heure du capitalisme en crise. Il permet d’organiser le repartage des marchés internationaux et d’obtenir la soumission mentale des peuples.

Tous les grands États capitalistes ont eu recours au terrorisme. Au XXe siècle, ces derniers utilisèrent le terrorisme sous faux drapeau pour provoquer des casus belli, comme l’illustrent les exemples suivants, non exhaustifs :

Profitant de la mystérieuse explosion du cuirassé Maine (260 morts, 1898) dans la rade de La Havane, les États-Unis déclarèrent la guerre à l’Espagne jugée coupable de l’attentat, et alors encore dominante dans la région. L’armée japonaise, avec l’accord impérial, fit exploser une voie de chemin de fer près de Mukden (1931), et accusa la Chine d’en être responsable. Cet événement accéléra l’intervention militaire en Mandchourie. L’État soviétique [1] n’hésita pas à bombarder un village russe pour provoquer la guerre d’Hiver et envahir la Finlande, qui fut accusée fallacieusement (incident de Mainila, 1939).

Le pouvoir sioniste usa également du terrorisme à de nombreuses reprises pour servir ses intérêts politiques (attentat de l’hôtel King David, en 1946), épurer sa propre population (les services secrets sionistes vont jusqu’à couler un bateau de migrant juifs, le Patria, 1942), ou exacerber l’antagonisme israélo-arabe (l’affaire Lavon, 1954).

En France, des attentats anarchistes sous contrôle de la fin du XIXe siècle jusqu’aux manipulations des Irlandais de Vincennes (1982) et du Rainbow Warrior (1985), l’État a perfectionné son art de la diversion.

L’apogée de ce mode de gouvernement se manifesta après-guerre. Les réseaux de l’OTAN (voir le célèbre Gladio italien), usant habilement des idiots utiles d’extrême droite et d’extrême gauche, multiplièrent les attentats sur le continent européen, avec trois objectifs : vassaliser les États à l’appareil politico-militaire américain, dévoyer la lutte des classes et terroriser les populations.

 

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La gare de Bologne après l’attentat du 2 août 1980. La responsabilité du réseau Gladio dans les attentats des années de plomb en Italie a été analysée par Daniele Ganser dans son livre Les Armées secrètes de l’OTAN.

 

Le terrorisme ne relève pas du « complot ». Le terrorisme est consubstantiel au pouvoir et constitue certainement la police sociale la plus efficace de l’histoire. Il n’est pas un dysfonctionnement politique, mais au contraire l’accomplissement terminal et logique de tout appareil étatique.

Le message adressé par l’oligarchie internationale, via ses employés de maison terroristes, est en effet limpide : « Travaille, consomme, ne réfléchis pas, paye tes impôts, regarde la télévision, n’aie pas l’indécence de réclamer la révolution sociale en ces temps troublés ! »

Les États, serviteurs du Capital, appliquèrent simplement, hier comme aujourd’hui, la maxime cruciale de Nicolas Machiavel, théoricien politique du XVIe siècle : « Gouverner, c’est faire croire. ».

Une raison supplémentaire d’être plus que jamais hérétique.

Notes

[1] Dans une analyse marxienne de l’histoire, l’URSS peut être considérée comme un État capitaliste (où régnait un capitalisme d’État, par opposition au capitalisme privé du bloc occidental). (NDLR)

Voir aussi, sur E&R :

 
 






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34 Commentaires

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  • #1463871

    De l’or en barres, cet article, qui montre qu’avant d’être des guerres confessionnelles ou des guerres étatiques comme on voudrait nous le faire croire, le rapport de forces occidental s’établit entre des puissances apatrides bancaires et commerciales, contre des peuples de tous pays réunis y compris le sien, à l’aide de terrorisme sous faux drapeau. Le terrorisme est une manière de neutraliser les pauvres.
    Dommage que malgré le clin d’oeil à Proudhon l’article n’explique pas comment la devise "diviser pour mieux régner" s’applique aussi dans le régime de partis, qui est la manière la plus aboutie et efficace pour neutraliser l’opposition sous des airs démocratiques.

     

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  • #1463897

    très bien exposé. Bravo et merci E&R

     

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  • #1464301
    Le 12 mai 2016 à 18:31 par Fantomas
    Diviser pour régner : brève histoire de l’art de gouverner

    Très bonne synthèse du monde qui nous entoure.

    2 citations de Paul Valéry que j’apprécie :

    "La politique est l’art d’empêcher les gens de se mêler de ce qui les regarde"

    "La guerre, un massacre de gens qui ne se connaissent pas, au profit de gens qui se connaissent mais ne se massacrent pas"

     

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  • #1464463
    Le 12 mai 2016 à 21:17 par Ladislas
    Diviser pour régner : brève histoire de l’art de gouverner

    Excellent article, clair, concis et riche. Bravo à toi, camarade
    A montrer aux gens de ’’gôche’’ pour qu’ils voient ce qu’est une véritable analyse radicale du Capitalisme !

     

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  • #1464646
    Le 13 mai 2016 à 04:44 par Bromélia
    Diviser pour régner : brève histoire de l’art de gouverner

    Excellent mais il manque peut être une piste de réflexion pour sortir de l’usure.

    Une société moins complexe plus proche de la nature ?

     

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    • #1467626

      J’ai peu de foi dans ce monde je ne pense pas qu’une amélioration réelle soit possible, mais bon, il est tout de même important de réveiller les consciences par de bonnes infos, ce qui mathématiquement amènera les gens à aller vers notre Seigneur et Sauveur Jésus-Christ. C’est une conclusion logique une fois que l’on a compris le fonctionnement de l’empire !. Merci Alain !.

       
  • #1464685
    Le 13 mai 2016 à 08:44 par Paysan Breton
    Diviser pour régner : brève histoire de l’art de gouverner

    Et la résistance à l’occupation nazi en France, où la place-t-on ? Car que s’agit-il d’autre que du terrorisme d’"insoumission"... qui a aussi fait des morts civils !

     

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  • #1464703
    Le 13 mai 2016 à 09:55 par Marion Sigaut
    Diviser pour régner : brève histoire de l’art de gouverner

    Thomas More avait livré une définition remarquable d’un gouvernement : « Rien qu’une certaine conspiration d’hommes riches, s’assurant leurs propres avantages sous le nom et le titre de République. »



    Ce n’est pas ce que dit Thomas More dans Utopie où le propos n’est pas de donner "une définition remarquable d’un gouvernement" mais de dénoncer la tyrannie des riches :
    "C’est pourquoi lorsque j’envisage et j’observe les républiques aujourd’hui les plus florissantes, je n’y vois, Dieu me pardonne ! qu’une certaine conspiration des riches faisant au mieux leurs affaires sous le nom et le titre fastueux de république."



    Richelieu, deux mille ans plus tard, exprima une idée similaire. Dans ses mémoires politiques (1642), le cardinal écrit à propos de la guerre, qu’il juge nécessaire : « Les États en ont besoin en certains temps, pour purger du royaume les mauvaises humeurs. »




    La citation de Richelieu, tirée de son testament politique, est la suivante :
    "Au jugement des mieux sensés, la guerre est quelquefois un mal inévitable, et en d’autres rencontres il est absolument nécessaire et tel qu’on peut en tirer du bien. Les Etats en ont besoin un certain temps pour purger leurs mauvaises humeurs, pour recouvrer ce qui leur appartient, pour venger une inujure dont l’impunité en attirerait une autre, pour garantir d’oppression leurs alliés, pour arrêter le cours de l’orgueil d’un conquérant, pour prévenir les maux dont on est apparemment menacé et dont on ne saurait s’exempter par une autre voie ou enfin, pour divers autres accidents."
    Rien ici qui soit la justification de faire la guerre pour éloigner les classes dangereuses.

    (A suivre)

     

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  • #1464709
    Le 13 mai 2016 à 10:00 par Marion Sigaut
    Diviser pour régner : brève histoire de l’art de gouverner

    (suite et fin)



    Le maréchal de Villars, fidèle du « Roi Soleil », constatait déjà, au XVIIe siècle, l’attrait que ne manquait pas d’exercer l’armée en des temps d’indigence. Il y voyait une aubaine pour le pouvoir : « Le malheur des peuples fait le salut du royaume. »



    « Hier, pour donner du pain aux brigades que je faisais marcher, j’ai fait jeûner celles qui restaient. Dans ces occasions je passe dans les rangs, je caresse le soldat, je lui parle de manière à lui faire prendre patience ; et j’ai eu la consolation d’en entendre plusieurs dire : Monsieur le maréchal a raison, il faut souffrir quelquefois. » Cette bonne disposition des soldats me donnait du courage ; je les trouvais maigres comme gens qui avaient souffert et qui souffraient encore, mais fermes et résolus. Les recrues qui nous venaient étaient des hommes nerveux, accoutumés à la fatigue, que la misère des campagnes forçait à s’enrôler ; de sorte qu’on pouvait dire que le malheur des peuples fut le salut du royaume.  »
    "Fut", et non "fait". En des circonstances particulièrement dramatiques et énoncées, comme telles.

     

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  • #1466112

    Abandonnez-vous :
    Glissez votre "Moi" dans l’urne ;
    - Vous n’aurez plus à penser nous le ferons pour vous ;
    - Laissez vous aller, consommez en dilution indolore.

     

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  • #1467149

    Cet article oublie de préciser que c’est le Parlement oligarchique (et le multipartisme qu’il implique) qui permet de mettre l’Etat au service de l’oligarchie et non du peuple. Dans une France démocratique il y aurait un Parlement démocratique, c’est-à-dire un Parlement dont les membres impermanents seraient tirés au sort en fonction des carences législatives. Par exemple, en cas de carence législative dans le domaine de l’agriculture quelques dizaines d’agriculteurs seraient tirés au sort parmi tous les agriculteurs de France et ces tirés au sort auraient pour mission de rédiger un projet de loi qui devrait ensuite être approuvé par la majorité des Français pour devenir une loi.

     

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