Egalité et Réconciliation
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II L’humanisme

De la centralisation monarchique à la Révolution bourgeoise L’absolutisme royal et ses opposants

Note de la Rédaction

Notre camarade Marion vous propose une série d’articles de vulgarisation de l’Histoire de France dont voici le second volet intitulé L’humanisme
Reportez-vous en bas de page pour consulter la série complète.

Alors qu’il était venu avec enthousiasme porter la bonne parole évangélique aux malheureux peuples du Nouveau monde ignorants de Jésus-Christ, ce dimanche 21 décembre 1511, le prêtre dominicain Antonio de Montesinos monta en chaire, et s’adressa aux colons venus entendre la messe :
« Au nom de quelle autorité avez-vous engagé de telles détestables guerres contre ces peuples qui vivaient dans leurs terres d’une manière douce et pacifique, où un nombre considérable d’entre eux ont été détruits par vous et sont morts d’une manière encore jamais vue tant elle est atroce ? … Ne sont-ils pas des hommes ? Ne sont-ils pas des êtres humains  ? »
Aussi inattendu que virulent, le sermon de Montesinos déclencha l’ire des autorités espagnoles, et la vocation d’un colon qui y découvrit la grâce : Bartolomeo de Las Casas. Ce dernier revint en Europe dénoncer avec fureur l’inhumanité de la colonisation. Il combattit toute sa vie contre la politique coloniale [1].
Il se faisait jour, pour ces anciens conquérants surtout conquis par l’humanité des peuples soumis, que l’humanité était une et indivisible et qu’il existait une communauté mondiale naturelle dont les membres sont à la fois les Etats et les personnes. Leurs options, développées en Espagne par les théologiens de l’école de Salamanque, allaient heurter de front les intérêts des coloniaux et ceux des capitalistes européens en pleine expansion. Leurs protestations se perdirent dans le tumulte des conquêtes et le cliquetis de l’or qui déferla sur l’ancien monde.

L’humanisme qui se répandit dans ce siècle de bouleversement planétaire, avait hérité de l’influence de la Scolastique, développée et enseignée dans les universités du Moyen Âge, qui visait à réconcilier la philosophie antique avec la théologie chrétienne. Les humanistes en avaient tiré une morale très critique à l’égard du pouvoir de l’argent. Les biens n’étaient que des moyens de s’épanouir en vue de gagner la vie éternelle. La propriété était un mal nécessaire. Travailler pour accroître ses richesses était un péché, on ne devait travailler que pour satisfaire ses besoins vitaux. La finance était immorale et infâme et le commerce très mal vu : transformer pour revendre, c’était bien, mais acheter pour revendre, c’était mal, la transaction idéale consistant à vendre au juste prix, et à prêter gratuitement. Deux conciles, à Latran en 1315 et à Paris en 1532, avaient condamné le prêt à intérêt. Cette Eglise-là dérangeait les colons, les marchands, la bourgeoisie montante.

Les deux figures les plus connues de l’humanisme sont l’Anglais Thomas More et le hollandais Erasme, qui partagèrent, l’un marié et l’autre moine, le même amour de la vie et du savoir, du bonheur et des humains. Conscients des dérives de l’Eglise, ils furent de ceux qui voulurent la réformer, jamais ils n’envisagèrent de se séparer de Rome.
Il y eut un conflit de fond entre l’humanisme évangélique et la Réforme, et la rupture entre Erasme et Luther fut violente. Pour Erasme, l’âme humaine avait une puissance de juger et une puissance de choisir. Même sans la grâce divine, l’homme était libre. La nature était bonne, la vie était belle, il fallait être heureux. Pour Luther la nature était inévitablement mauvaise et viciée : nous ne sommes pas maîtres de nos actes, mais serfs du commencement à la fin. Il y avait impuissance totale et sans remède de la volonté humaine face à la toute-puissance de la grâce divine. Les œuvres des hommes étaient sans importance pour leur salut. C’est Dieu qui choisissait en donnant sa grâce à qui il voulait. Seule la foi peut sauver.
Luther traita Erasme de pourceau, son « De servio arbitro » de boue et d’ordure. La rupture qui s’ensuivit fut celle de deux conceptions de la liberté humaine : elle entraîna l’Europe dans un siècle de guerres fratricides.

Réuni à Trente en Italie entre 1545 et 1563, un concile consacra le christianisme humaniste contre le protestantisme, et trancha dans le débat de fond qui avait trait à la liberté humaine. Alors que, pour les protestants, c’est Dieu qui faisait des hommes des élus ou des réprouvés, pour l’Eglise catholique, chacun était libre de faire son salut.
Le concile de Trente [2] fut au catholicisme ce que l’absolutisme fut à la royauté : le renforcement de la centralisation. Une fois le dogme établi, il ne revenait pas à chacun d’y apporter des retouches. La liberté humaine, c’était celle d’agir pour faire le bien ou le mal, pas de dire ce qu’était le bien ou le mal. Le protestantisme affirmait exactement le contraire.

La Compagnie de Jésus, fondée en 1534, fut le fer de lance de la propagation des actes du concile.
Membre de l’école de Salamanque, le jésuite espagnol Luis Molina mit l’accent sur la nécessité de compléter la grâce par le mérite individuel. C’est de son nom qu’on retira le nom de moliniste, qualifiant d’une façon générale les jésuites et leurs partisans. Pour Molina, la grâce divine donnait à l’homme la possibilité de faire le bien. Chacun était libre d’accepter ou de refuser, et les actions des païens n’étaient pas forcément des péchés. Vision des choses qui vise au bien-être commun et au bonheur des hommes : « Le molinisme est, historiquement, la plus franche expression de l’esprit humaniste » écrit Henri Gouhier.

En même temps qu’ils se répandaient dans le monde nouvellement ouvert par les grandes découvertes, les jésuites consacrèrent une part importante de leur mission à ouvrir des collèges en Europe.
« L’enseignement, déclaraient les pères, est une forme de charité, et il ne faut pas en exclure les pauvres. » Ils entrèrent en concurrence avec l’enseignement payant dispensé par l’Université : sauf pour les pensionnaires, leurs cours étaient gratuits, on se précipita pour les suivre. Au xviie siècle, un tiers seulement de leurs élèves venait de la noblesse. Le reste se partageait en proportions variables de fils d’artisans, de marchands et de laboureurs. Dans leur premier collège de Billom, en Auvergne, un quart des élèves venait des milieux paysans.
Cette promotion sociale qui ouvrait, grâce au latin, les professions de la petite bourgeoisie aux fils de laboureurs, ne fut pas du goût de tout le monde. La Sorbonne leur fit un procès qu’elle gagna, et réussit à leur interdire, puisqu’enseigner ils voulaient, de se mêler de théologie. Ils se rabattirent donc sur les humanités, les arts et les sciences profanes : ils formèrent tous les plus grands esprits de leur siècle.

Centralisme, soumission au pape, morale indulgente et enseignement gratuit : les jésuites suscitèrent l’hostilité déclarée des parlements et de toute la classe robine qui ne relâcha sa pression sur eux qu’à leur destruction totale, en 1764 pour la France.

(A suivre)

Sources :
- Jean Delumeau, Le catholicisme entre Luther et Voltaire, Nouvelle Clio, l’Histoire et ses problèmes. puf, 1992.
- Roland Mousnier, Les XVIe et XVIIe siècles. Les nouvelles structures de l’Etat. Histoire générale des civilisations. PUF 1967.
- Henri Gouhier, L’anti-humanisme au XVIIe siècle, Paris, librairie philosophique J. Vrin. 198
- Alain Guillermou, Les Jésuites, PUF, Que sais-je ?
- Lacouture Jean, Jésuites ! Les Conquérants, Editions du Seuil, 1991.
- Florence Gauthier, « De Juan de Mariana à la Marianne de la République française ou le scandale du droit de résister à l’oppression », Révolutionrfrançaise.net, les Lumières et la Révolution.
- « Centralisme ’’jacobin’’, vraiment ? – Notions ». Idem.

Voir aussi :

Octobre 2012
L’attentat de Damiens : Marion Sigaut invitée d’Au Coeur de l’Histoire sur Europe1
37
Janvier 2012
XVI – Turgot ou l’avènement du libéralisme : la fin de l’Ancien Régime
2ème partie, la dérégulation
40
Janvier 2012
XV – Turgot ou l’avènement du libéralisme : la fin de l’Ancien Régime
1ère partie, le pain du peuple.
33
Janvier 2012
XIV – L’humanisme des Lumières revisité : l’Encyclopédie
De la centralisation monarchique à la Révolution bourgeoise, l’absolutisme royal et ses opposants
12
Décembre 2011
XIII – L’humanisme des Lumières revisité : Voltaire
De la centralisation monarchique à la Révolution bourgeoise, l’absolutisme royal et ses opposants
24
Décembre 2011
XII – Le supplice de Damiens, ou le triomphe des barbares
De la centralisation monarchique à la Révolution bourgeoise, l’absolutisme royal et ses opposants
45
Décembre 2011
XI - La guerre des juges contre l’Eglise
De la centralisation monarchique à la Révolution bourgeoise, l’absolutisme royal et ses opposants
22
Décembre 2011
X - Le nouveau jansénisme
De la centralisation monarchique à la Révolution bourgeoise, l’absolutisme royal et ses opposants
10
Novembre 2011
IX - Le tournant de la régence
De la centralisation monarchique à la Révolution bourgeoise, l’absolutisme royal et ses opposants
35
Novembre 2011
VIII - Le satanisme au cœur de l’Etat : l’affaire des poisons.
De la centralisation monarchique à la Révolution bourgeoise, l’absolutisme royal et ses opposants
29
Novembre 2011
VII – Malheur aux pauvres ! La création de l’Hôpital général.
De la centralisation monarchique à la Révolution bourgeoise, l’absolutisme royal et ses opposants
11
Novembre 2011
VI - La justice du roi : les Grands jours d’Auvergne
De la centralisation monarchique à la Révolution bourgeoise, l’absolutisme royal et ses opposants
22
Novembre 2011
V - La chasse aux sorcières
De la centralisation monarchique à la Révolution bourgeoise, l’absolutisme royal et ses opposants
41
Octobre 2011
IV - Le jansénisme au Grand siècle
De la centralisation monarchique à la Révolution bourgeoise L’absolutisme royal et ses opposants
17
Octobre 2011
III - L’anti-humanisme
De la centralisation monarchique à la Révolution bourgeoise L’absolutisme royal et ses opposants
22
Octobre 2011
I. L’achèvement de la centralisation
De la centralisation monarchique à la Révolution bourgeoise L’absolutisme royal et ses opposants
31

Notes

[1] On raconte qu’il soutint la mise en esclavage des Noirs pour remplacer les Indiens. C’est, d’après Florence Gauthier, une calomnie propagée par les coloniaux de son temps.

[2] Une légende tenace veut que ce soit ce concile qui ait reconnu que les femmes avaient une âme. Encore une calomnie aberrante : les femmes ont été baptisées avec les hommes dès les origines.

 
 






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14 Commentaires

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  • #53652
    Le 13 octobre 2011 à 18:42 par fab
    II L’humanisme
  • #53659
    Le 13 octobre 2011 à 18:54 par toto
    II L’humanisme

    Maître Philippe :La France est la nation la plus élevée, et nous pouvons être heureux d’être Français. Mais la France tombera plus bas un jour, et les nations qui lui auront souhaité du mal tomberont plus bas encore qu’elle... (16-11-1893)

     

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    • #53772
      Le Octobre 2011 à 04:47 par Victor
      II L’humanisme

      Belle citation. Merci à E&R de nous apprendre toujours un peu plus sur l’histoire de notre pays.

       
    • #58418
      Le Octobre 2011 à 16:46 par bellacleever
      II L’humanisme

      Maître Philippe : La France fût grande et fût la nation la plus élevé........AUJOURD’HUI elle est entrain de perdre son âme et cela est un crime...Que ne se réveille les véritable penseurs pour crier au saccage de cette France si chère a votre cœur. la France n’a pas dit son dernier mot....Je refuse de croire que l’être humain ne soit qu’un fétus de paille ballotté par le courant de la vie sans avoir la possibilité d’influencé en quoi que ce soit le cours des évènements comme disait feu mon ami et le votre Martin luther king : Je refuse de croire que l’homme est a ce point captif de la nuit sans étoiles du racisme et de la guerre,Que l’aurore radieuse de la paix et de la fraternité ne sera jamais une réalité.

       
  • #53866
    Le 14 octobre 2011 à 15:09 par Alain58
    II L’humanisme

    merci E&R merci Marion.

     

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    • #54033
      Le Octobre 2011 à 00:55 par Kalamata
      II L’humanisme

      je seconde ! Merci encore !

       
  • #55893
    Le 21 octobre 2011 à 15:11 par Alexis Martinez
    II L’humanisme

    Peut-être l’auteur pourra-t-elle éclairer ma lanterne sur une mienne interrogation depuis des années : pourquoi, malgré leurs apports indéniables, les jésuites sont-ils considérés par tous les autres courants catholiques comme fourbes, faux et hypocrites ?

     

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    • #56429
      Le Octobre 2011 à 19:18 par Marion
      II L’humanisme

      Par "tous les autres courants" je ne sais pas. Ils ont été combattus par les jansénistes pour des raisons de fond, sur lesquelles je reviendrai dans un prochain article sur le jansnisme. Les historiens du XIXe, style Michelet, les ont également calomniés. Je crois que c’est leur humanisme qu’on ne leur pardonnait pas.
      Je pense sincèrement, mais ce n’est qu’une opinion, qu’ils ont été haïs pour ce qu’ils avaient de meilleur.

       
    • #56582
      Le Octobre 2011 à 11:59 par Ben quoi ?
      II L’humanisme

      J’ai souvent observé qu’autrui n’aime pas apercevoir sa laideur à travers son prochain et lui en voue rancoeur sinon haine. combien nombreux sont ceux qui s’illusionnent de s’élever en rabaissant leurs proches ! La résistance à l’Amour a tout à voir avec les malheurs des hommes.

       
    • #58569
      Le Octobre 2011 à 22:19 par Marion
      II L’humanisme

      Lumineuse remarque !

       
    • #58612
      Le Octobre 2011 à 23:51 par avrelarmor
      II L’humanisme

      La quadrature du cercle,
      l’élévation de l’humanité passe-t-elle par la fuite en avant ou par la régression en arrière (?) ?
      Tous les morveux qu’ont pris un coup de pied au cul à leur première connerie comprennent que si tu fais du mal, alors un autre peut t’en faire.
      La vraie question (quelle prétention !) est d’ordre d’échelle...et de volonté collective.
      La démographie, contrairement à l’économie, s’auto-régule en fonction des conditions de vie.
      Aidons les bougnoules chez eux, ça nous rendra service (à tous).
      PS : il me semble opportun de préciser qu’il n’y a pas de "bougnoule français", il n’ y a de vivants que les citoyens libres.
      C’est quand l’exode urbain ?

       
  • #71204
    Le 2 décembre 2011 à 21:46 par spirit
    II L’humanisme

    Les œuvres des hommes étaient sans importance pour leur salut. C’est Dieu qui choisissait en donnant sa grâce à qui il voulait. Seule la foi peut sauver.




    Voilà une doctrine assez proche de ce qu’enseigne l’Islam...Luther se prenait-il pour Mahomet ?
    On comprend mieux,ainsi,le sens que les parpalliots ricains donne au nom de "Djizeusse"... en oubliant celui du très haut...ni fils de Dieu,ni prophète plutôt prophète et dieu en une personne dont le premier "cohen" serait un moine augustin d’Allemagne et le premier "Levy" un français réfugié à Genève !!

     

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    • #110277
      Le Février 2012 à 17:51 par simslegue
      II L’humanisme

      L’Islam enseigne que la miséricorde de Dieu sera obligatoire pour accéder au paradis, même pour Mohammed (j’ai du mal avec ce terme rabaissant de Mahomet). Mais le Jugement Dernier aura lieu, avec le compte de nos bonnes et mauvaises actions. Dieu décide au final, mais le libre arbitre de l’homme lui montre que s’il veut accéder à cette miséricorde, il doit faire le bien autant qu’il peut en s’écartant du mal. Donc non, les œuvres de l’homme sont justement la pour déterminer sa valeur, et d’amener Dieu à lui accorder l’entrer au paradis pour son effort et son endurance. Ce serait mieux de se renseigner avant de comparer l’incomparable, l’Islam ne peut pas être rabaisser même dans sa forme doctrinaire à une pensée aussi simpliste :)

       
    • #157067
      Le Mai 2012 à 14:08 par Pumm
      II L’humanisme

      @spirit :

      "Luther se prenait il pour Mahomet ?"

      Luther ne faisait que répéter les écrits du nouveau testament. Si tu en doutes, je te conseille vivement la lecture de l’épître de Paul aux Romains ! (8-28:29 notamment)

      28 Or, nous savons que toutes choses concourent ensemble au bien de ceux qui aiment Dieu, savoir, à ceux qui sont appelés, selon le dessein qu’il en avait formé.
      29 Car ceux qu’il avait auparavant connus, il les a aussi prédestinés à être conformes à l’image de son Fils ; afin qu’il soit le premier-né entre plusieurs frères ;

      C’est hélas une lecture que l’Eglise Catholique eut tôt fait d’abandonner. Calvin aussi était partisan de la prédestination.

      Quant au reste de ton commentaire, je ne l’ai pas compris, peux tu s’il te plait me l’expliquer ?

      Bien cordialement