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"Il est temps de réhabiliter le soldat de 1940"

par le chef de bataillon Huiban

Nous publions une tribune du chef de bataillon Patrice Huiban, actuellement stagiaire au Collège interarmées de défense (CID). Saint-Cyrien, officier des Transmissions, le commandant Huiban, 36 ans, a notamment servi en Bosnie, au Kosovo et en Afghanistan. Il s’exprime ici à titre personnel.

"Ce 8 mai 2010, nous célébrons le soixante-cinquième anniversaire de la victoire des Alliés sur l’Allemagne, victoire à laquelle participa la France. C’est donc l’occasion rituelle de mettre en avant la France qui s’est battue, la France du Vercors et de Bir-Hakeim, la France de de Gaulle, de Jean Moulin et de Leclerc, et plus récemment, l’armée d’Afrique. Pourtant, sur plus de 200 000 pertes militaires (1) pendant le conflit, près de 100 000 soldats morts au champ d’honneur sont systématiquement absents des hommages nationaux.

Qui sont-ils ? Ce sont les hommes tombés en mai-juin 1940. Pourquoi n’en parlent-on jamais dans les tribunes officielles ? Comment ont-ils pu démériter alors qu’ils ont donné leur vie ? En fait, ces héros oubliés sont les victimes d’un tabou : celui de cette campagne de France. Plus qu’une défaite militaire, cette période funeste de notre histoire est toujours vécue aujourd’hui par beaucoup comme un effondrement général du pays, un affaissement moral impardonnable. Tout un peuple aurait failli. Cette vision simpliste de cette tragédie, pourtant contredite par les historiens français et étrangers qui se penchent depuis peu sur cette campagne, pèse encore aujourd’hui sur notre cohésion nationale, sur notre confiance en nous. Juin 1940 serait le point de départ d’un déclin inexorable".

"70 ans plus tard, il est temps de rétablir la vérité. Cette interprétation n’est ni plus ni moins qu’une victoire posthume de la propagande de Vichy. Pour le Maréchal, la défaite ne peut être celle des généraux et des stratèges qu’il a cautionnés. La défaite, plus que militaire, serait une défaite morale de tout un peuple, « l’esprit de jouissance l’ayant emporté sur l’esprit de sacrifice ». Ce serait donc le soldat-citoyen et ses représentants civils qui auraient failli et non les grands chefs étoilés. Voilà un bon point de départ pour justifier une « Révolution nationale »."

"Pourtant, l’esprit de sacrifice était toujours là. La moitié des prisonniers français ont été faits après le 17 juin. Par une déclaration enjoignant les troupes de « cesser le combat » avant même les premiers pourparlers d’armistice, le Maréchal a envoyé des centaines de milliers d’hommes en détention en Allemagne. Par ailleurs, 100 000 morts en cinq semaines de campagne, c’est deux à trois fois plus que les pertes moyennes pendant une période équivalente de la Première Guerre mondiale. C’est également un taux de perte journalier largement supérieur à celui des Allemands sur le front de l’Est de juin à décembre 1941. Mai-juin 1940, ce sont des régiments entiers sacrifiés dans les Ardennes puis sur la Somme. Mai-juin 1940, ce sont les villages de Stonne et de Rethel pris et repris près de vingt fois. Mai-juin 1940, c’est également l’armée des Alpes invaincue face aux Italiens épaulés par des unités allemandes. Mai-juin 1940, c’est la plupart des ouvrages de la ligne Maginot qui résistent toujours à la date de l’armistice et ne se rendront que plusieurs jours après. La liste est encore longue. On est bien loin des épisodes de la 7e compagnie, comédie burlesque hélas symbolique pour beaucoup de Français de l’attitude des armées et du peuple pendant cette campagne."

"Alors, à quand un président de la République à Stonne, à Rethel ou sur l’Aisne où la division de Lattre fut invaincue, faisant 2000 prisonniers ? A quand un discours nous rappelant, comme le général de Gaulle l’avait fait en son temps, que la France est tombée à l’avant-garde de la défense de la liberté. Après tout, nous fûmes le premier pays, avec la Grande-Bretagne tardivement ralliée à notre politique de fermeté, à dire « non » à Hitler tout en étant en première ligne avec seulement 300 km de « profondeur stratégique » avant Paris. L’emploi des forces fut certes inadapté à une nouvelle guerre initiée par les forces nazies. Cependant, en dépit des déficiences, il serait plus juste d’affirmer que l’Allemagne avait une guerre d’avance plutôt que la France une guerre de retard. La nuance n’est pas mince car toutes les autres grandes puissances militaires de l’époque avaient la même conception d’emploi des blindés et de l’aviation. Elles ont donc appris « en marchant », grâce aux remparts constitués par la Manche, l’Atlantique ou l’immensité du territoire russe. Par ailleurs, en dépit de ce coup de massue initial et du prestige d’un Maréchal qui a anesthésié pendant au moins deux ans beaucoup de velléités de résistance, la France est revenue progressivement sur les champs de bataille. A partir de 1942 et de l’invasion de la zone Sud, véritable casus belli au regard des conventions d’armistice, le masque tombe. La passivité du Maréchal fit voler en éclat la théorie en vogue du « double jeu » visant à reprendre le combat le jour venu. Fin 1944, les armées françaises représentent ainsi 500 000 hommes au combat. Ils seront un million, essentiellement volontaires (2), sous les armes au cœur de l’Allemagne en mai 1945. Loin d’être une défaite d’un peuple et d’une civilisation, le printemps 1940 fut essentiellement une défaite de la pensée militaire et une défaite de la volonté de la majorité des dirigeants, en uniforme ou non."

"Au-delà de la vérité historique, l’enjeu est donc de taille car un pays qui doute ne peut affronter l’avenir et ses défis avec toutes les chances de succès. . Comme l’illustre l’évolution de la France en cinq ans de guerre, une détermination politique forte et cohérente peut renverser les situations les plus compromises."

(1) Pertes militaires incluant les FFI. A titre de comparaison, les pertes militaires américaines de 1941 à 1945 se montent à 300 000 tués ou disparus.

(2) A l’exception notable des citoyens français d’Afrique du Nord pour lesquels une mobilisation générale a été décrétée en 1943. Elle a été encore plus large qu’en 1914 en concernant les hommes appelés ou amenés à être appelés sous les drapeaux de 1924 à 1944.

 






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