Egalité et Réconciliation
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La France s’interroge sur la meilleure manière d’intégrer les étrangers

Un article du Monde Diplomatique de... 1993

La tradition française d’intégration des immigrés peut-elle demeurer fondée sur des principes dont l’intangible application ne serait bénéfique ni aux intéressés ni à la nation tout entière ? Sans renier nullement le principe républicain, ne conviendrait-il pas de méditer les expériences de pays proches qui tiennent compte des réalités sociales et culturelles ? Un vrai débat, sciemment étouffé par les indignes slogans contemporains sur l’« invasion » et les « flots d’étrangers » qui ne font que reprendre des arguments éculés voilà déjà un siècle.

 

« Je me figure la loi au centre d’un globe immense ; tous les citoyens, sans exception, sont à la même distance sur la circonférence, et n’y occupent que des places égales. » L’abbé Sieyès profita de la Révolution pour tenter d’incarner ses rêves. Le 29 septembre 1789, il fit proposer à l’Assemblée nationale un découpage territorial de la France sous forme d’un rigoureux quadrillage. Quatre-vingts départements carrés et identiques, divisés chacun en neuf districts non moins carrés, chaque district comportant à son tour neuf cantons carrés. Saint-Just martèlera peu de temps après que «  l’organisation du territoire n’est que le reflet de celle du peuple » . Cette passion égalitaire fracturait l’histoire.

Dans l’Europe de l’Ancien Régime, les États monarchiques devaient composer avec les corps intermédiaires, le régime des privilèges et les particularismes locaux. En quelques décennies, la Révolution et les États-nations défirent ces réseaux, leur substituant des cadres unitaires, parfois tendus jusqu’à l’uniformité.

Les nouvelles données de l’immigration contraignent les États européens à repenser leur identité. Dans les années 70, les flux migratoires aboutissent un peu partout en Europe à la constitution de minorités ethniques. Les Pays-Bas et le Royaume-Uni en prennent les premiers conscience, et, depuis une décennie, tous les États européens se donnent un double mot d’ordre : freinage – et même arrêt – de l’immigration ; intégration des immigrés présents. Mais chacun interprète à sa manière ces impératifs, en fonction de sa culture et de son histoire. Faut-il opposer l’uniformité abstraite à la française à la tolérance des pays nordiques et anglo-saxons ? Au Royaume-Uni, comme aux Pays-Bas ou en Suède, le multiculturalisme est de bon ton. La loi du plus fort, celle des plus nombreux, ne doit pas laminer les identités des communautés que forment immigrés et minorités. La démocratie y est conçue comme la coexistence des groupes plus que l’addition arithmétique d’individus.

La France n’admet pas juridiquement l’existence de minorités : l’intégration ne peut être que celle d’individus. Fidèle à sa logique, elle défend dans les forums internationaux une interprétation individualiste des droits de l’homme, et se refuse à signer (ou ne le fait qu’en multipliant les réserves) les conventions instituant une garantie spécifique des droits des minorités ou des autochtones. Pourtant, la France n’est pas toujours l’enfer des minorités : c’est à la République que certaines d’entre elles, comme les protestants et les juifs, durent une déterminante amélioration de leur sort. Parallèlement, les modèles multiculturels de nos voisins peuvent les éloigner de ce qui devrait être leur objectif final : l’interculturalité, où les échanges culturels construisent de nouvelles alliances.

Les périls du repli identitaire et de la ségrégation constituent la perversion toujours possible du respect des identités collectives. La préférence accordée à l’égalité juridique et aux solutions individualistes peut quant à elle faciliter l’oubli des inégalités de fait et renforcer les exclusions.

Aux risques de dérapage inhérents à chacun des modèles expérimentés en Europe s’ajoute le brouillage de distinctions que l’on croyait clairement établies. On admet volontiers la permanence de l’opposition construite au siècle dernier entre deux conceptions de la nation. L’allemande, fondée sur la communauté ethnique et culturelle et le droit du sang ; la française, reposant sur la volonté contractuelle d’adhésion à des valeurs communes et sur le droit du sol. Or les réformes récentes du droit allemand de la nationalité ne reproduisent pas ce schéma. Depuis 1991, celui-ci prend en compte non plus seulement l’appartenance au Volk, mais la résidence et la scolarisation : sous certaines conditions de durée, les enfants étrangers nés en Allemagne accèdent plus facilement qu’auparavant au droit de séjour et bénéficient aisément de la naturalisation s’ils renoncent à leur nationalité d’origine. Du côté français, l’article 2 de la Constitution affirme toujours le refus de toute distinction fondée sur l’origine, la race ou la religion.

 

L’État, le peuple et la loi

Aucun modèle ne paraît donc sûr ni définitif. Et l’incertitude s’accroît du fait que le déterminisme qu’exerce la réalité sociale sur l’ordre juridique n’est que relatif. Il ne suffit pas de constater que toute société est composée de groupes pour en déduire que son droit doit nécessairement refléter cette structure. Le droit appartient au domaine du construit, et donc du choix : il témoigne de la représentation que se font d’une société la majorité de ses membres et ses groupes dirigeants.

La tradition juridique française est hostile au pluralisme. Comme tout régime, la République française a besoin de mythes fondateurs. Or ceux-ci sont inscrits dans le corpus idéologique élaboré sous la Révolution, qui entendait lutter contre une société constituée de corps et incrustée de particularismes juridiques et territoriaux. Deux entités tiennent alors le devant de la scène : l’État et l’individu, étroitement associés. L’un modèle par le haut le nouvel ordre politique et social, tandis que l’autre s’émancipe des anciennes contraintes. Il en résultera une identification propre à la France entre l’État, le peuple et le droit, ainsi que la vision idéale d’une société homogène. Par la suite, la France allait être le pays européen qui accueillit le plus d’étrangers, notamment en raison de sa faiblesse démographique. La permanence de ces représentations fut un des moyens de leur intégration.

Cependant, si l’histoire explique l’origine de cette tradition juridique, elle ne constitue pas la cause de sa pérennité. Chaque époque réinterprète son histoire en fonction des nécessités du présent : celles-ci ne sont plus la lutte contre la monarchie et les privilèges de l’Ancien Régime. Mais l’héritage révolutionnaire semble constituer le meilleur rempart contre le nouveau danger de dissolution sociale auquel on associe les flux migratoires. Beaucoup pensent qu’ils sont porteurs d’un poison violent : la différence culturelle. D’où une série de contresens.

Le premier consiste dans la manipulation de l’argument culturel. La machine à intégrer gripperait en raison d’un écart culturel devenu trop important entre immigrés (entendre par là les seuls Maghrébins) et la société d’accueil. L’explication paraît faible : dans le passé, l’intégration d’individus appartenant à des cultures sœurs (Italiens, Polonais) se heurta à de vives résistances xénophobes ; de nos jours, les Asiatiques n’en suscitent guère alors qu’ils conservent bien des particularismes qui devraient les éloigner de nous ; l’immigration maghrébine elle-même est en train de changer, et concerne des catégories sociales plus élevées qu’auparavant, dont les moeurs et mentalités sont plus proches ; enfin, à partir de la seconde génération, on sait que des pans entiers de la culture d’origine ont disparu. Contrairement à ce qu’écrivait récemment un académicien spécialiste de la Chine, le mal des banlieues n’a rien à voir avec le multiculturalisme.

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