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La couleur de la victoire : Jesse Owens, l’Amérique et les nazis selon Hollywood

Entre deux assassinats de policiers et trois arrestations létales de jeunes Afro-Américains, le cinéma est là pour nous rappeler que l’espérance d’une société transcendant ses clivages ethniques et sociaux n’est pas vaine ; plus encore, que cet idéal peut prendre forme grâce à la magie de l’éthique sportive.

 

Ce topos, merveilleux sédatif pour la tranquillité des consciences populaires, Hollywood a su l’exploiter habilement dans Race, le titre anglophone du film. À la veille des 80 ans des Jeux Olympiques d’été de 1936, à Berlin, le réalisateur Stephen Hopkins présente au grand public sa dernière œuvre qui retrace l’incroyable histoire du quadruple médaillé d’or, Jesse Owens. Cette espèce de propagande historique, qui relève davantage de la romance que du biopic, dégage un arrière parfum de fausse niaiserie qui alerterait le plus docile des activistes Noirs. Resituer l’œuvre dans son contexte apparaît alors d’autant plus important que les réactions du public apparaissent dans l’ensemble très positives, c’est-à-dire, en bref, que les spectateurs sont mal informés sur les tenants et les aboutissants de cette histoire.

 

 

Biopic, drame, film historique : 3 genres mal assumés

Il semblerait que la réalisation franco-germano-canadienne se soit répartie le genre dans lequel chacune de ces nationalités excelle le moins.

 

Le biopic, d’abord :

La beauté du « biographical motion picture », c’est l’art de condenser la vie d’un homme, ses épreuves, ses échecs et ses réussites dans un intervalle de deux heures. Et des épreuves, James Cleveland Owens en connaît. Fils d’un père paysan et d’une mère blanchisseuse à Oakville, dans l’ancien État sécessionniste d’Alabama, J. Owens est le dernier-né d’une fratrie de sept enfants. En dehors de leur scolarité, ceux-ci aident régulièrement leur père dans les champs de coton. Chétif, le futur champion souffre à plusieurs reprises de la bronchite. En somme, rien ne prédestinait le jeune Jesse à devenir le meilleur sprinter de son temps. Toute sa jeunesse sera éludée dans La couleur de la victoire au détour d’une brève réplique à son entraîneur, Larry Snider. Le temps économisé servira à alimenter une histoire sentimentale peu onéreuse et, somme toute, assez banale avec son épouse, Ruth.

Le film nous propulse ainsi directement en 1933, juste avant l’admission de J. Owens au sein de l’université d’État d’Ohio. Sans s’étendre sur les détails du scénario, La couleur de la victoire retracera sa préparation puis sa participation aux Jeux Olympiques de 1936, et illustrera le fantastique camouflet infligé à la thèse de la supériorité aryenne. Du biopic, on ne retiendra donc que les quatre années les plus glorieuses de J. Owens, celles qui virent la consécration du sportif et, par ricochet, la fierté au sein de la communauté noire.

 

Le drame, ensuite :

Ce que le film ne montre pas, ou peu, c’est la chute dramatique de l’après-Berlin. Passé l’accueil triomphal, J. Owens retournera à une vie modeste, voire dérisoire pour un sportif de si haut niveau, dans une société pas moins ségrégationniste qu’avant. Ce n’est qu’à partir des années 50 qu’il put remonter la pente en faisant carrière dans les relations publiques. J. Owens relate ainsi sa vie post-olympique :

« Lorsque je suis revenu avec mes 4 médailles d’or, tous voulaient me faire une accolade, échanger une poignée de main ou m’inviter dans leur suite. Mais personne n’était là pour me donner du travail ».

Héros en public, négro en privé. Père de trois enfants, il vit de son talent dans des courses de sprint rémunérées contre des athlètes d’autres disciplines, des motos, des voitures et même des chiens et des chevaux. Puis, il travaille comme concierge. Sur ces courses, Owens a déclaré :

« Les gens disent que c’est humiliant pour un champion Olympique de courir contre un cheval, mais qu’est-ce que je pouvais y faire ? J’avais quatre médailles d’or, mais ça ne se mange pas ».

Le président Franklin D. Roosevelt, soucieux de sa réélection dans les États du Sud, ne recevra même pas le champion US à la Maison Blanche. Seul ce scandale sera évoqué, au détour d’une phrase à la fin du film. Or, quand il s’agit de reprendre le vieux mythe d’Hitler refusant de serrer la main de l’Afro-Américain, les scénaristes tombent allègrement dans le panneau.

« Hitler didn’t snub me – it was FDR (Roosevelt, NDR) who snubbed me. The president didn’t even send me a telegram ».
(Hitler ne m’a pas snobé, c’est Roosevelt qui m’a snobé. Le Président ne m’a même pas envoyé un télégramme – NDLR d’E&R)

Contrairement aux autres drames inspirés de faits réels, La couleur de la victoire de Hopkins esquive allègrement les sujets qui fâcheraient les citoyens sur son propre sol. Comme l’a dit George Orwell dans 1984, « la dictature s’épanouit sur le terreau de l’ignorance ».

Dans cette Amérique, toute violence est lissée, polie, rabotée. L’effondrement économique et social de la Grande Dépression est résumé en une prise de vues rapide d’une vingtaine de chômeurs attendant la soupe populaire, à la manière des Restos du Cœur. Même la dureté des lois Jim Crow de 1876 et des mentalités ségrégationnistes est réduite à une ou deux altercations verbales dans un bus ou un vestiaire.

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30 Commentaires

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  • #1526382

    Because you’r white
    Cette phrase que le personnage d’Owens dit dans le film... Semble ne plus vouloir dire la même chose aujourd’hui.

    Ce film voit d’ailleurs le jour dans une époque ou son apparition est idéologiquement validée comme la bonne. Traduisant également magnifiquement que c’est bien parce que nous sommes blancs que nous devons sans cesse nous en excuser.

    La couleur de la victoire est un excellent film pour montrer aux miens le prix de la défaite que nous payons sous une forme de dette éternelle similaire à sa sœur économique. Elle est en effet impossible à rembourser puisque tout comme notre dette morale... Elle ne cesse de créer des intérêts.

    Vous pourrez regarder Owens filer aussi vite que l’éclaire mais pour vous le temps ne se rattrapera pas. Ce sont sur vos pays que les gens courent désormais, seule le temps décidera combien d’années encore vous en resterez les peuples.

     

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  • Les biopics hollywoodiens, comment dire... toujours à verser dans l’excès et à prendre des largesses sur les vérités historiques, voire à carrément faire de l’histoire contre-factuelle... sans jamais le signaler ! J’ai regardé il y a quelques temps sur le même thème (la vie extraordinaire d’un black au temps de la ségrégation) le film "le Majordome", et c’est dingue à quel point c’est ultra-romancé et des anecdotes totalement inventées...
    Puis, j’ai regardé le film russe "Gagarin", avec la page Wikipédia à côté (bon ok, wikipédia, ça vaut ce que ça vaut), et le scénario (bien que prenant le partie de faire des flash-back sans ordre chronologique) sur la vie de Gagarine pendant son voyage spatial ne dévie pratiquement pas d’un iota de ce qui a été écrit sur Wikipédia, le réalisateur se targuant juste au tout début de balancer une petite pique sur le cinéma américain !
    Avec ça, il y en a encore qui doutent qui de l’Ouest ou de l’Est prend le plus de largesses propagandistes sur les réalités historiques...

     

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  • Dans mille ans , on en bouffera encore du nazi parce qu’on a pas le shoa.

     

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  • #1526436

    Ba Hollywood, vous ne connaissez pas encore ?
    Dans le genre bien gratiné, je vous propose comme plat de résistance (LOL) "12 years a slave" (les michants blancs contres les gentils noirs), "Lincoln" (la célèbre voiture…)

     

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  • La légende dit que le Führer aurait refusé de serrer la main de Jessie Owens. Vous en connaissez beaucoup d’athlètes médaillés qui ont été vus en compagnie du chef d’état du pays hôte ?
    La réponse doit être NON car le Comité international olympique est catégorique : les JO sont apolitiques et aucun chef d’état ou leader politique n’a le droit d’approcher un athlète pendant les JO. Même la photo montrant Owens et Hitler côte-à-côte est un montage.
    SH !

     

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  • Sans parler de la photo avec le Führer dans le porte-feuille de Jesse !! ; )

     

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  • #1526595

    N’importe quoi ; tout le monde sait que les noirs américains qui ont eu la chance de partir en Europe au XXe siècle (y compris en Allemagne nazie) y ont été largement mieux reçus que dans leur propre pays. C’est à dire comme des hommes, non comme des singes.
    C’est le témoignage radical et inquantifiable de tous les jazzmen, sportifs, etc...

     

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  • #1526635

    La couleur de la victoire : Jesse Owens, l’Amérique et les nazis selon Hollywood...
    Un héros noir en Nike, avec un peu de rap en fond, des sales méchants blancs (joués par des membres ou très amis de la communauté ...bip...), beaucoup d’annonceurs, de la pub partout, the American Dream, beaucoup d’amour, de partage,et de compréhension....
    Hollywood tient le bon bout...j’espère qu’il y aura un ...La couleur de la victoire ® 2 ...avec Vinz Diesel, Denzel Washington et fifty 50...

     

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  • Hitler a bien quitté un jour le stade olympique en pleine compétition, mais pas pour les raisons évoquées généralement. C’était pendant le concours du saut en hauteur masculin. En fin d’après-midi, un brusque et violent orage inonda le stade et avant d’être totalement douché, Hitler décida de quitter les lieux et de rejoindre la chancellerie. Le concours fut arrêté durant de longues heures et ne reprit qu’en fin de soirée pour consacré les trois athlètes américains engagés dont deux noirs aux deux premières places.

    En ce qui concerne la fameuse poignée de main refusée par Hitler à Owens, c’est une légende. Dés le premier jour des compétitions, les athlètes allemands, hommes et femmes, ont remportés pas mal d’épreuves et Hitler a tenu à les féliciter tous. C’est le président du C.I.O. de l’époque, le comte Henri de Baillet-Latour, qui lui expliqua alors que c’était contraire à la charte olympique et que s’il voulait adresser des félicitations, il fallait qu’il le fasse à tous les sportifs engagés aux Jeux. Vu l’impossibilité de le faire et soucieux de respecter en tout point l’idéal olympique, Hitler s’est donc abstenu par la suite de manifester ostentatoirement son respect vis-à-vis des sportifs.

    Pour ceux qui ont lu tout l’article, ce n’est pas Jim Hines qui remporta la médaille de bronze sur 200 m. aux J.O. de Mexico en 68, mais John Carlos.
    Si on regarde attentivement la photo, on voit que les trois sprinters, y compris l’australien Norman qui remporta l’argent à la surprise générale, portent un badge clair sur la poitrine, côté gauche. C’était en soutien à la lutte pour les droits civiques des noirs aux Etats-Unis. Smith et Carlos avaient demandé aux six autres finalistes s’ils étaient d’accord pour porter ce badge s’ils montaient sur le podium. Même si tous n’ont pas forcément répondu oui, Norman, lui, était d’accord.
    A leur retour, Tommy Smith et John Carlos ont été radiés à vie de la fédé d’athlétisme des Etats-Unis, mais j’ignore si on leur a laissé leur médaille.

     

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  • #1527695
    Le 4 août 2016 à 16:05 par A nous les désespérés
    La couleur de la victoire : Jesse Owens, l’Amérique et les nazis selon (...)

    Superbe ! J’ai hâte d’aller le voir. Un biopic comme je les aime !

     

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