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La feuille de route de Nicolas Sarkozy

Tout au long de la campagne électorale française, les principaux think tanks états-uniens ont analysé les résistances de la société à la globalisation impériale et les possibilités dont disposerait le prochain président pour passer outre. Au vu du résutat du scrutin, la Fondation Heritage énonce les objectifs que le département d’État peut exiger de Nicolas Sarkozy pour faire avancer l’agenda néo-conservateur.

Après avoir vivement critiqué le programme de Ségolène Royal en qualifiant notamment son volet européen de « menace stratégique pour les États-Unis » dans une analyse publiée au mois de février [1], la Fondation Heritage [2] se réjouit aujourd’hui de la victoire de Nicolas Sarkozy, qualifiant toutefois d’herculéen l’effort à fournir s’il compte vraiment réformer la France.

Ancien conseiller de Margaret Thatcher et grand pourfendeur de l’ONU, c’est tout naturellement que le directeur du Centre Maraget Thatcher pour la liberte, Nile Gardiner, a pris sa plume pour formuler des conseils au nouveau chef d’État français. Il les développe dans un argumentaire intitulé « La révolution Sarkozy : cinq recommandations pour le nouveau président français » [3].

Ce document ne doit pas être considéré comme l’énoncé des souhaits d’un think tank états-unien parmi d’autres, mais comme l’aboutissement d’une réflexion conduite depuis des mois par divers organismes néoconservateurs et dont la Fondation Heritage tire les conclusions. Malgré son titre, cette étude ne s’adresse pas à M. Sarkozy lui-même, mais au département d’État pour qu’il enjoigne au nouveau président français d’agir dans cette direction en tenant compte des résistances qu’il pourrait rencontrer dans son pays.

Première recommandation : Faire progresser la liberté économique

Nile Gardiner estime que la France, à l’instar de certains pays du tiers-monde, est gravement touchée par un phénomène d’émigration économique. En effet, explique-t-il, « la France est le seul pays d’Europe de l’Ouest qui produit des réfugiés économiques au lieu de les attirer » ; par conséquent elle n’arrive qu’à la 45ème place au classement mondial Heritage Foundation / Wall Street Journal de la liberté économique et se hisse difficilement au 26ème rang européen sur un ensemble de 41 pays.
Pour remédier à ce fâcheux problème, Nile Gardiner propose tout simplement de « déréguler le marché du travail français, lever les restrictions sur les investissements, abolir la semaine de travail de 35 heures », avant de réduire les dépenses de l’État.

Outre le fait que la comparaison implicite entre les jeunes Français, généralement qualifiés, qui traversent la Manche pour travailler au Royaume-Uni et les réfugiés économiques qui affluent aux frontières de l’Europe prête à sourire pour qui connaît un tant soit peu la réalité sociale française, on notera que Nicolas Sarkozy ne s’est aucunement engagé à faire table rase de la semaine de 35 heures. Au contraire il a pratiquement admis, lors du débat de l’entre-deux tours face à Ségolène Royale, qu’il s’agit d’un acquis social dont il veut simplement éviter la généralisation.
Les attentes de la Fondation Heritage sur le plan économique risquent donc d’être déçues. Mais ce n’est pas tout : Nile Gardiner préconise également la fin de la politique agricole commune européenne. Se refusant à évoquer les subventions accordées à la production agricole états-unienne pour ne fustiger que celles de l’Europe, dont la France il est vrai accapare une grande partie, il ne formule de fait aucune proposition susceptible de créer une brèche dans le front commun des pays industrialisés contre l’agriculture des pays pauvres. Aucune surprise donc sur ce plan.

Seconde recommandation : Soutenir le principe de la souveraineté nationale en Europe

Sur ce point la rhétorique devient plus subtile. En insistant sur le fait qu’« une administration Sarkozy doit reconnaître le fait que l’Union Européenne est un ensemble d’États-nations indépendants, plutôt qu’un moyen pratique pour faire avancer une vision élitiste et parisienne de l’Europe », Nile Gardiner semble demander à Nicolas Sarkozy de conformer sa politique européenne au souhait des électeurs français qui ont rejeté le projet de traité constitutionnel. Mais il poursuit aussitôt en assimilant ce rejet à celui qui serait exprimé par des pays comme le Royaume-Uni, la Pologne, la Hongrie et la Bulgarie, dans l’éventualité que le projet de constitution soit de nouveau proposé. Or ces pays ne craignent pas du tout le traité constitutionnel — si toutefois tel est le cas — pour les mêmes raisons que les électeurs Français !
En réalité l’électorat français a rejeté non pas le projet politique de l’Europe (partie I du projet), mais son orientation économique (partie III du projet) et l’élite financière qui la décide, tandis que les nouveaux adhérents à l’Est, pressés par les ambitions de l’OTAN, craignent de perdre leur marge de manœuvre politique et militaire dans l’hypothèse d’une union forte dans ces domaines. En effet, comme l’avait déjà explicité Sally McNamara dans son brûlot anti-Royal, c’est bien le volet politique et de défense du projet de constitution qui pose problème aux néoconservateurs : s’il avait été effectif en 2003, aucun pays européen n’aurait engagé de troupes dans l’invasion de l’Irak.

Spécialiste de la rhétorique en faveur de l’OTAN, Nile Gardiner s’emploie donc à ôter le caractère socio-économique des revendications du camp du « non » français à la constitution pour mieux englober celles-ci dans l’argumentaire en faveur d’une Europe politiquement et militairement faible, mais docile vis-à-vis de l’élite financière mondiale.
On constate au passage à quel point le souverainisme débarrassé de tout projet de régulation économique est un allié de choix pour ceux qui, dans l’optique de la doctrine Wolfowitz [4], veulent prévenir l’émergence de tout concurrent crédible face aux États-Unis. De même, on comprend mieux l’attitude méfiante de M. Sarkozy vis-à-vis d’un retour du traité constitutionnel sur la table des négociations : son « grand frère » attend surtout de lui qu’il fasse passer, avec ou sans traité, les réformes économiques évoquées plus haut dans cet article.

Troisième recommandation : Jouer un rôle plus important dans les opérations de l’OTAN en Afghanistan

Réaliste, Nile Gardiner exclut d’emblée la possibilité que la France envoie des troupes en Irak, mais il souhaite en revanche que « Le président Sarkozy [soutienne]à la fois le déploiement de plus de troupes françaises en Afghanistan et leur engagement dans les combats aux côtés de leurs partenaires alliés », c’est-à-dire un retour à une solidarité totale entre membres de l’OTAN sans quoi, explique-t-il, l’alliance n’a plus de raison d’être.

Les soutiens de M. Sarkozy outre-Atlantique savent pertinemment, et c’est certainement l’une des raisons pour lesquelles les questions internationales ont fait défaut dans la campagne, que les Français ne veulent pas engager de troupes dans les guerres de prédation anglo-saxonnes. Jacques Chirac ayant accepté un engagement de maintien de la paix sous mandat de l’ONU mais refusé de participer à la contre-insurrection afghane sous les ordres de l’OTAN, Washington souhaite donc que Sarkozy revienne sur ces positions en profitant du fait que la France est déjà sur place pour faire avaler la pilule aux Français.
Il est intéressant de noter que Nile Gardiner demande de facto à Nicolas Sarkozy de passer outre le processus démocratique normal d’entrée en guerre de la France, arguant du fait qu’elle doit « prouver qu’elle veut sérieusement s’investir dans la bataille globale contre Al Qaïda et ses alliés comme les Talibans ». Mais n’est-ce pas justement le refus des Français de s’enliser dans la « guerre au terrorisme » qui rend cet investissement impossible démocratiquement ?

Quatrième recommandation : demander l’arrêt des investissements européens en Iran

Constatant que l’Iran maintient de bonnes relations économiques avec l’Europe, Nile Gardiner demande à Nicolas Sarkozy de faire pression pour que faute d’opération militaire, un embargo économique complet soit imposé sur l’Iran afin de le contraindre à « abandonner son programme nucléaire ».

Faute de pouvoir les bombarder pour le moment, affamons les Iraniens comme nous avons affamé les Irakiens, suggère en somme l’auteur. Tant pis si rien ne prouve que cela conduira le gouvernement iranien à appauvrir encore plus le pays en renonçant à l’énergie nucléaire ; les expériences coréenne et irakienne attestent même du contraire. L’objectif réel étant d’affaiblir un concurrent régional d’Israël et une potentielle puissance pétrolière, tous les moyens sont bons.
D’ailleurs Nile Gardiner ne s’étend pas sur la question : les deux principaux partis français ayant assuré Israël de leur soutien indéfectible, et même au-delà en remettant en cause les dispositions du traité de non-prolifération, cette recommandation ne fait figure que de rappel des engagements de M. Sarkozy.

Cinquième recommandation : mettre les Droits de l’homme au centre de la politique étrangère française

À la lecture de la liste des dictatures soutenues par la France que déroule Nile Gardiner, on a le sentiment que Paris est la capitale de l’ « Axe du Mal » : Irak de Saddam Hussein, junte birmane, intérêts africains, génocide rwandais, etc. En signe de bonne volonté, propose Nile Gardiner, Nicolas Sarkozy devrait commencer par ouvrir les dossiers de l’activité secrète de la France au Rwanda.

C’est bien connu, seuls les ennemis de l’Empire violent les Droits de l’homme. La France doit donc soutenir les mêmes « bonnes dictatures » que l’Empire et se débarrasser de ses anciens alliés au nom de cette conception très sélective des Droits de l’homme qui n’inclut pas les Afghans, les Irakiens, les prisonniers de Guantanamo, les citoyens européens kidnappés par la CIA [5], etc.
Et puisqu’on y est, pourquoi la Fondation Heritage ne suggère-t-elle pas à M. Sarkozy de se débarrasser de son opposition interne en l’accusant de faire partie d’Al Qaïda ?

Pour conclure, on notera que cette série de recommandations a le mérite de mettre en lumière la principale raison expliquant l’absence des questions internationales dans la campagne pour la présidentielle 2007 en France : tout débat démocratique à ce niveau ferait ressortir le fossé atlantiste / anti-atlantiste, qui provoquerait la désintégration du paysage politique français tel que nous le connaissons.
Pour mener une vraie politique de droite, qui plus est atlantiste, M. Sarkozy doit donc, selon la fondation Heritage, contourner la volonté des Français en leur faisant croire que la dérégulation du travail les enrichira, en laissant l’Europe politique moisir pendant que les milieux financiers en organisent l’économie, en enfonçant la porte ouverte par Jacques Chirac de l’engagement militaire en Afghanistan, en affamant le peuple iranien pour protéger les intérêts d’Israël et enfin en soutenant les mêmes dictatures que Washington et Londres. Est-ce vraiment pour cela que le peuple français a voté ? En évoquant un « miracle », même l’auteur de ces recommandations admet qu’il ne sera pas aisé pour M. Sarkozy de les mettre en pratique, en supposant — ce qu’il croit acquis — qu’il le veule.


[1] « Ségolène Royal and the Future of Franco–American Relations », par Sally McNamara, Heritage Foundation, 23 février 2007.

[2] « Le prêt-à-penser de la Fondation Heritage », Réseau Voltaire, 8 juin 2004.

[3] « The Sarkozy revolution : five recommendations for the New French President », par Nile Gardiner, Heritage Foundation, 9 mai 2007.

[4] « La doctrine stratégique des Bush », par Thierry Meyssan, Réseau Voltaire, 9 juillet 2004.

[5] « L’OTAN : du Gladio aux vols secrets de la CIA », par Ossama Lotfy, Réseau Voltaire, 24 avril 2007.


Source : http://www.voltairenet.org
 






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1 Commentaire

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  • #98305
    Le 9 février 2012 à 14:41 par max
    La feuille de route de Nicolas Sarkozy

    Un article éclairant toute la politique française des cinq dernières années, courroie de transmission des visées néoconservatrices.

    Une feuille de route suivie à la lettre par l’exécutant français Nicolas Sarkozy, et avec la cinquième recommandation "Mettre les Droits de l’homme au centre de la politique étrangère française", le drame des pacifications africaines en cours (Lybie, Syrie) et à venir (Iran).

     

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