Egalité et Réconciliation
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Le Journal de la Deuxième Grande Dépression 4.2

Les évolutions récentes de la crise sont intéressantes à plus d’un titre. Elles sont en effet révélatrices de trois tendances de fond : la priorité accordée à l’économie virtualisée, une gestion de court-terme, le déclenchement d’une véritable guerre sociale ouverte. Trois tendances qui convergent pour nous indiquer ce qu’est la nature de la crise qui vient de commencer, si on va au fond des choses.

Chapitre précédent : 4.1 - Priorité à l’économie virtualisée

4.2 UNE GESTION CYNIQUE MAIS, HÉLAS, HABILE

Ce choix politique s’avèrera à long terme désastreux pour les peuples, mais il faut reconnaître qu’il est mis en pratique avec une habileté technique consommée. Si tous les Etats ont perdu le contrôle de la crise (USA inclus), la finance anglo-saxonne parvient, à ce stade, à retourner cette perte de contrôle en sa faveur, alors que sa base dans l’économie matérielle est dans un état de délabrement avancé.

A l’égard de l’Europe, sans la soumission de laquelle ils n’ont pour l’instant plus les moyens de leur politique de puissance, les dirigeants de l’anglosphère ont choisi de mimer une attitude d’écoute, tout en mettant à contribution le special agent Nicolas Sarkozy. Les Américains sont ainsi parvenus à venir à bout des réticences allemandes (pour l’instant du moins, et probablement en façade seulement). Le capital va être temporairement poussé vers les paradis fiscaux, en particulier ceux des zones dollar/livre (la Suisse est clairement dans la ligne de mire des anglo-saxons). Sur ce point, il ne faut pas se fier aux déclarations officielles : l’entente franco-allemande, axe indispensable de toute résistance européenne, s’est avérée inopérante, et la « liste des paradis fiscaux » n’est qu’une bouffonnerie sinistre. Ce n’est évidemment pas une victoire pour les Etats anglo-saxons (le G20 n’a absolument pas donné les moyens à l’anglosphère de sortir réellement de sa crise financière). Mais du point de vue de la haute banque mondialisée, par contre, cet échec collectif des puissances étatiques est un beau succès !

A l’égard de la population américaine, l’équipe Obama a été efficace dans la gestion tactique du court terme - aussi efficace dans ce domaine qu’elle a été en réalité inexistante pour tout ce qui touche à la gestion du long terme. Compte tenu de l’ampleur du choc ressenti concrètement par une partie non négligeable de la population des USA (voir JDGD précédent), l’opinion reste semble-t-il anesthésiée. La stratégie de communication des élites US, pour autant qu’on puisse en juger à partir des supports qu’on peut consulter facilement depuis la France, consiste à conserver non dite la distinction établie ci-dessus entre économie virtualisée du capital spéculatif et économie réelle, pour mettre en avant le rebond technique du capital spéculatif et dissimuler les conséquences de la crise dans l’économie réelle.

Il est intéressant d’étudier, par exemple, le déblocage récent d’un fond complémentaire, cette fois plus significatif (environ 100 milliards de dollars) pour venir enfin en aide aux propriétaires américains surendettés (et non plus seulement aux banques). La chronologie des évènements est instructive :

- Quatrième trimestre 2008 : forte baisse du marché immobilier américain (plus d’acheteurs, multiplication des logements en vente suite à saisie). Pas de relance significative directe, pas d’aide aux particuliers.

- Premier trimestre 2009 : la baisse se poursuit, mais elle décélère. La cause de cette décélération est connue : les particuliers n’achètent toujours pas, mais les grands investisseurs, dotés d’une force de frappe financière énorme, rachètent les logements bradés en masse.

- Deuxième trimestre 2009 : le soutien aux particuliers est enfin enclenché, pour l’instant encore à dose insuffisante (il y aura d’autres plans de soutien, n’en doutons pas).

Que nous révèle cette chronologie ? Eh bien tout simplement que l’équipe Obama, si l’on a bien suivi, va relancer l’économie physique au rythme où cette relance sera nécessaire pour éviter l’implosion du capital spéculatif, dont les intérêts mènent la danse. C’est en tout cas ce que semble augurer ce cas d’espèce. Dans un premier temps, les autorités n’ont pas aidé les familles américaines jetées à la rue. Cela a fait baisser le prix des logements. Puis, dès que les spéculateurs ont commencé à racheter, un plan de soutien a été lancé, pour qu’à nouveau, il se trouve des acquéreurs.

Soyons cynique : si c’est bien le programme qui sera appliqué, tout cela serait plutôt bien vu du point de vue des promoteurs du projet. Pour continuer à fonctionner, il va falloir que le capitalisme spéculatif ne fasse pas complètement crever l’économie réelle. Seulement, problème, il est devenu plus gros qu’elle. Alors que faire ? Comment manger plusieurs fois la même proie ? Facile, répond le bon docteur Obama. Il suffit de lui prélever un peu de viande de temps en temps, puis de laisser à la bête l’opportunité de se refaire un peu de lard. CQFD.

Ruiner une deuxième fois un pays déjà ruiné ? Yes he can !

On comprend mieux, dans ces conditions, pourquoi le signe monétaire, à ce stade, ne baisse que potentiellement. Il y a deux mouvements en concurrence : une déflation d’actifs très nette (visible depuis 6 mois), mais aussi une injection de liquidités qui génère en riposte une inflation pour l’instant provisoirement masquée, les injections de liquidité tombant dans les multiples « trappes » creusées par les banques. Des banques alourdies de créances irrécouvrables préalablement constatées, et toujours aussi insatiables bien sûr dans leur course au profit financier pur, sans souci des conséquences sur l’économie réelle...

Conclusion : comme on pouvait s’y attendre, l’oligarchie bancaire est en train d’enclencher la phase de stagflation qui lui permettra, espère-t-elle, d’amortir le choc de la Deuxième Grande Dépression comme elle lui permit de solder la crise de 1973. Mais l’originalité de cette phase, c’est le pilotage remarquable, « just in time », du passage de la phase déflationniste à la phase stagnation-inflation. La crise que nous vivons aujourd’hui est en réalité beaucoup plus grave même que celle de 1929, mais la capacité de pilotage des dirigeants est également, sur le strict plan de l’économie financiarisée, bien meilleure. Ils sont inexistants ou presque sur le plan du pilotage à long terme de l’économie réelle, mais dans le pilotage des effets d’annonce et du court-terme virtualisé, ils sont imbattables. Reconnaissons-leur au moins ce mérite, même s’il est évident que leur « compétence » est en réalité une folie, qui nous conduit, à moyen terme, droit dans une période de stagflation dure.

Michel Drac pour E&R

Suite : 4.3 - Crise du capitalisme, mais mort des peuples ?