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Le Kirghizistan à feu et à sang

Les manifestants réclament la démission du chef de l’Etat kirghize, accusé de népotisme et de corruption, alors même que le pays est plongé dans une crise économique chronique.

« Le pouvoir a volé le peuple, maintenant c’est le peuple qui vole le pouvoir », selon Nourali Baïmatovitch, un kirghize témoin de scènes de pillage à Bichkek.

Depuis le 6 avril, le Kirghizistan est le théâtre de violents affrontements entre l’opposition et la police, ayant conduit à la fuite du président, Kourmanbek Bakiev, et à la prise du pouvoir par les forces de l’opposition. Temir Sariev, le chef de l’opposition kirghize, a affirmé le 7 avril au soir que des manifestants s’étaient emparés du pouvoir à Bichkek et avaient formé leur « propre gouvernement ». Les derniers bilans officiels font état de 75 morts et de près de 1500 blessés.

Les troubles ont débuté le 6 avril en réponse à la décision des autorités d’interdire un rassemblement des opposants au régime et à l’arrestation de leurs leaders. D’après l’opposition, près de 500 manifestants ont pris d’assaut l’administration régionale de Talas, dans le nord-ouest du pays. La police a dispersé les manifestants en recourant à des gaz lacrymogènes. « La police contrôle totalement la situation à Talas. Délogés du centre-ville, les manifestants se sont dispersés dans des ruelles et jettent des cailloux sur les policiers. Il y avait beaucoup de gens ivres avec des cocktails Molotov à la main, ce qui rendait nécessaire l’intervention de la police », déclarait le ministre kirghize de l’Intérieur, Moldomoussa Kongantiev, le 6 avril. Si les revendications avancées étaient d’abord d’ordre social, elles se sont rapidement politisées. Les militants des droits de l’homme présents sur place ont rapporté que toutes les affiches représentant le président Bakiev avaient été brûlées à Talas.

L’opposition kirghize, qui multiplie depuis quelque temps les manifestations et les actions de protestation contre le pouvoir en place, reproche au président du pays, Kourmanbek Bakiev, de chercher à museler les médias indépendants. Arrivé au pouvoir en 2005 suite à la Révolution des Tulipes, Kourmanbek Bakiev avait alors promis de démocratiser le pays. La plupart de ses anciens compagnons de route sont, depuis, passés dans l’opposition, accusant le chef de l’Etat de dérive autoritaire et de corruption.

Le 7 mars, les troubles opposant le pouvoir et les manifestants de l’opposition se sont étendus à plusieurs régions du pays, notamment à la capitale, Bichkek. Dès le matin, des heurts avec la police ont eu lieu devant le bâtiment du siège du Mouvement populaire unifié (opposition). Lors des affrontements qui ont éclaté entre l’opposition et la police, entre 3000 et 5000 manifestants ont obligé les forces de l’ordre à battre en retraite. Ces derniers se sont ensuite rassemblés devant la présidence kirghize pour demander la démission du chef de l’Etat. Afin de disperser les manifestants, les policiers ont tiré à balles réelles sur la foule, employé des grenades assourdissantes et utilisé des gaz lacrymogènes. Les manifestants ont riposté en jetant des pierres et en endommageant les véhicules des forces de l’ordre à coups de bâtons. Ils ont également pris le contrôle des studios de la chaîne publique KTR.

A Naryn, dans le centre du pays, un millier d’opposants au président Bakiev ont envahi les bureaux de l’exécutif local, obligeant le gouvernement à fuir, d’après des témoins. Dans la ville de Talas, des médias locaux rapportent que le ministre de l’Intérieur a été retenu en otage par des manifestants qui l’ont passé à tabac. Une source au sein du ministère de l’Intérieur affirme qu’il aurait été tué.

Les leaders de l’opposition, dont la libération était exigée par les manifestants, ont été relâchés dans l’après-midi du 7 mars. En marge des affrontements, les dirigeants de l’opposition ont rencontré le chef du gouvernement kirghize, Daniar Oussenov, et exigé que les dirigeants actuels leur transmettent les rênes du pouvoir : « Notre seul objectif, c’est qu’ils quittent le pouvoir », a déclaré l’un des leaders, Omourbek Tekebaïev.

Un gouvernement provisoire, créé par l’opposition le jour même, a dissous le parlement kirghize et assume désormais les fonctions du président ainsi que du cabinet des ministres de la République, comme l’a déclaré Roza Otounbaïeva, l’ex-ministre des Affaires étrangères et actuelle chef du gouvernement de confiance populaire. Selon elle, le gouvernement provisoire assumera ces fonctions durant six mois, jusqu’à l’amendemant de la Constitution de la République. Elle a également annoncé que l’opposition contrôlait quatre régions administratives sur sept, toutes situées dans la partie nord du pays, tandis que, selon elle, le président Bakiev n’aurait pas présenté sa démission et essayerait d’organiser la résistance à Jalal-Abad, dans le sud du pays. De son côté, le ministre de la Défense du nouveau gouvernement de confiance populaire, Ismaïl Isakov, a affirmé que les forces armées et les garde-frontières étaient passés du côté de l’opposition.

Le 8 avril, le nouveau ministre de l’Intérieur, Bolotbek Cherniazov, a déclaré : « La police est passée sous le contrôle du peuple (…). Les forces armées et le ministère de l’Intérieur sont prêts à garantir la sécurité ». Le chef du gouvernement russe, Vladimir Poutine, s’est entretenu par téléphone avec Roza Otounbaïeva, comme l’a annoncé aux journalistes le porte-parole du premier ministre, Dmitri Peskov. Vladimir Poutine a exhorté la partie kirghize à s’abstenir de recourir à la violence et à prendre toutes les mesures nécessaires pour que la sécurité des représentations diplomatiques et étrangères soit assurée. Il s’est également déclaré prêt à livrer une aide humanitaire au Kirghizistan : « Mme Outounbaïeva a déclaré que la situation dans son pays restait compliquée et qu’à cet égard, le Kirghizistan avait besoin d’être soutenu économiquement », a annoncé Dmitri Peskov, ajoutant que « M.Poutine a indiqué que vu le caractère privilégié des relations entre les deux pays, la Russie avait toujours soutenu le Kirghizistan et était prête à continuer à lui livrer une aide humanitaire ».

Un peu plus tard dans la journée, le président kirghize en fuite, qui refuse de démissionner, a accusé l’opposition d’avoir destabilisé le pays et affirmé que les fauteurs de troubles seraient traduits en justice, d’après l’agence d’information locale 24. kg.

Dans la nuit du 8 au 9 avril, des affrontements entre policiers et pillards à Bichkek ont fait 67 blessés, dont 49 sont actuellement hospitalisés, d’après le ministère kirghize de la santé. Dans les rues en proie à une rage de violence, le nouveau gouvernement de confiance tente de rétablir l’ordre public en organisant des patrouilles de police et de milices volontaires. Selon le correspondant de Ria Novosti à Bichkek, le 9 avril au matin, la situation semblait revenue à la normale : la circulation des transports publics a été rétablie tandis que magasins et bureaux de change rouvrent leurs portes.