Egalité et Réconciliation
https://www.egaliteetreconciliation.fr/
 

Le premier ministre irakien tente de sauver sa coalition, menacée d’implosion

En butte à une crise politique sans précédent, le premier ministre irakien, Nouri Al-Maliki, a annoncé, lundi 13 août, la tenue d’un sommet réunissant au plus tôt les différentes factions du pays. Les principaux partis sunnite, chiite et kurde en ont déjà accepté le principe. Il s’agit peut-être de la dernière chance pour la coalition irakienne de se réconcilier avant le 15 septembre. A cette date, le commandant des forces américaines en Irak, David Petraeus, et l’ambassadeur américain à Bagdad, Ryan Crocker, remettront au Congrès un rapport très attendu qui doit réévaluer la situation en Irak.

Ce rapport, selon les analystes, sera crucial pour déterminer l’appui d’élus américains, de plus en plus hostiles, à la présence militaire en Irak. Il pourrait constituer un désaveu de la "nouvelle stratégie" de M. Bush, définie le 10 janvier, qui mettait en avant, outre la lutte contre Al-Qaida et la sécurisation de Bagdad pour laquelle 17 500 soldats américains supplémentaires ont été dépêchés sur place, l’importance du processus de "réconciliation nationale".

Nommé en 2006 à la tête d’un gouvernement de coalition à dominante chiite pour enrayer les violences entre communautés, M. Maliki a cumulé les revers. Présentée par le président américain comme une étape primordiale de la réconciliation, la loi sur le partage des revenus des hydrocarbures n’a toujours pas été votée par le Parlement irakien. Rien ne sera débloqué avant septembre. A Bagdad, les députés ont en effet décidé - malgré les injonctions des Etats-Unis - de se mettre en vacances.

Autre priorité selon Washington, la réforme de la loi dite de "débaasification" n’a pas abouti. Censé permettre aux anciens membres du parti Baas (au pouvoir sous Saddam Hussein) de toucher leur pension et, plus généralement, de faciliter l’intégration politique de la communauté sunnite, ce projet de réforme et les différentes interprétations qu’il a suscitées sont à l’origine de la désintégration du gouvernement de M. Maliki.

Le 1er août, le Front de la concorde nationale, principale formation sunnite au Parlement, a annoncé la démission de ses six ministres. Raison invoquée : M. Maliki est resté sourd à toutes leurs demandes. Déclinées en onze points, celles-ci incluaient une amnistie générale, la libération des prisonniers politiques sunnites, la fin des arrestations massives dans les localités sunnites, ainsi qu’une série de mesures visant à mettre fin au règne des milices chiites dans la police et l’armée. "Nous n’avons pas de problème avec les chiites, les Kurdes, ni même avec le Parlement, a précisé au Monde un député de ce parti, Karim Al-Sammaraï, interrogé par téléphone. Le responsable, c’est ce gouvernement qui persiste à nous tenir à l’écart du processus politique, notamment en ce qui concerne les questions sécuritaires."

Dans l’immédiat, la majorité dont dispose M. Maliki pour faire passer ses réformes n’est pas menacée. Mais cette défection des ministres arabes sunnites a néanmoins porté un coup dur à la crédibilité de celui qui s’était engagé à promouvoir la réconciliation. Le 6 août, c’était au tour des cinq ministres de la Liste irakienne unifiée (parti chiite laïque) de se désolidariser en boycottant le gouvernement pour donner "un avertissement au premier ministre qui doit suivre le programme de réconciliation nationale".

Ce climat de défiance s’est également emparé de l’armée irakienne dont le chef d’état-major, le kurde Babaker Zebari, a démissionné, le 31 juillet, avec neuf autres généraux, pour protester contre les "interférences de Maliki dans notre domaine de compétence". Quant aux relations du premier ministre chiite avec le commandant de l’armée américaine, le général Petraeus, elles sont réputées exécrables.

Le bilan militaire américain en Irak n’est guère plus brillant. La sécurité à Bagdad, ne s’est pas améliorée. Si les attaques d’Al-Qaida ont diminué dans la province rebelle d’Al-Anbar avec l’aide locale des chefs de tribus sunnites, elles ont redoublé ailleurs, dans la province de Diyala et dans la périphérie de la capitale irakienne.

Sur le volet politique, Washington avait mis le premier ministre irakien sous pression dès l’annonce de la "nouvelle stratégie". " M. Maliki a promis que les interférences politiques et communautaires ne seront plus tolérées, avait alors déclaré George Bush. Nous avons été clairs (avec lui), l’engagement de l’Amérique n’est pas illimité. Si le gouvernement ne respecte pas ses promesses, il perdra le soutien du peuple américain."

Après le départ des ministres sunnites, le président Bush a renouvelé sa mise en garde au gouvernement irakien lors d’une vidéoconférence : "Nous avons besoin d’actes, pas de paroles." Ce à quoi le premier ministre irakien a rétorqué : "J’ai bien compris. Nous sommes en train d’agir."

"Un fusible prêt à sauter" : tel est le sort que promettent à M. Maliki beaucoup d’Irakiens, notamment dans les rangs arabes sunnites, persuadés que la montée des tensions entre les Etats-Unis et l’Iran joue contre le premier ministre chiite. C’est même l’espoir de Mohammed Ad-Dayni, député sunnite du Comité du dialogue national (11 sièges au Parlement), qui a été récemment convié à parler devant le Congrès à Washington.

"C’était la première fois qu’un député sunnite antiaméricain s’exprimait devant les membres du Congrès, a-t-il confié au Monde. "Je leur ai dit : vous êtes en pleine contradiction, vous soutenez le gouvernement de Nouri Al-Maliki qui est, à nos yeux, sectaire et pro-iranien tout en condamnant les ingérences de l’Iran en Irak." M. Dainy a jugé la réaction américaine à ses propos "positive". "Les Américains, ajoutait-il, m’ont assuré que le gouvernement Maliki n’allait pas durer. Que le compte à rebours avait commencé."



Cécile Hennion
Le Monde - Article paru dans l’édition du 15.08.07


Source : http://www.lemonde.fr