Egalité et Réconciliation
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Retour de vendanges

Il est toujours agréable de revoir les sympathiques collines du Beaujolais, en cette période de Septembre et en traversant pour la énième fois les villages de Cercié, Odenas où l’on aperçoit depuis la route nationale quelques troupes déjà à l’œuvre depuis quelques jours.

Ces vendanges 2010 ne seraient pas exceptionnelles, le vigneron l’avait déjà déploré par téléphone. La grêle de mi-juillet avait en effet ruiné près de la moitié de la récolte. Pour se préserver d’un tel coup du sort, il aurait fallu prendre des assurances mais celles-ci ne sont pas à la portée de la plupart des bourses des viticulteurs. Le fatalisme du vigneron lui avait fait ainsi répéter des évidences paysannes : « on va faire avec » par exemple, cette soumission au destin autant capable de préserver sa récolte que de la gâter considérablement.

Les vendanges sont la période la plus festive pour le vigneron, la plus stressante aussi, c’est à ce dernier aspect que ne songe guère le post-lycéen chevelu s’apprêtant à cirer par intermittence les bancs des amphithéâtres de sociologie ou le semi-racaille désœuvré tous deux prêts à s’enivrer. Ces derniers ne prennent guère la mesure de cette crise profonde et durable que traversent les petits vignobles.

Raillant « la ministre de la santé-RoseBonbon » dont il « a oublié le nom », le viticulteur me répétait le profond mépris qu’il a pour les classes dirigeantes alors que « 3 jeunes se sont suicidés dans la commune en 1 an ». S’étendant un peu sur cette histoire de vaccination, il exprime sa conviction que c’est l’hygiène qui a préservé des maladies.

Cette année, la troupe était internationale : un Turc de 40 ans, en recherche de travail, ayant grandi entre la Turquie, l’Allemagne et la France. Une Chinoise et une Vietnamienne, deux asiatiques donc, qui ont trouvé des locaux pour compagnons au fil de leurs pérégrinations : des bosseuses, élevées à la dure qui faisaient par ailleurs l’effort de parler une langue dont elles étaient si éloignées.

Un Tchèque de 29 ans, amené fièrement par sa petite amie l’ayant rencontré au détour d’une soirée Erasmus en Pologne, tentait d’établir le contact grâce aux quelques mots d’anglais qu’il connaissait.

Les habitués ne manquaient pas à l’appel, une vendangeuse fêtait sa 28ème saison et dissertait le soir sur ses dernières lectures : Onfray, le freudisme, Georges Bataille. Un autre habitué, fort sympathique au demeurant, revenait pour la 14ème fois, n’ayant guère progressé en breton, la langue et l’identité dont il se revendique pourtant : la seule expression qu’il connaît « Y’a Mad » (« à la tienne ») était inlassablement répétée, lui permettant de s’oublier encore et toujours dans l’alcool. « Qu’importe le flacon pourvu qu’on ait l’ivresse » disait Musset

Le besoin de se raccrocher à une structure identitaire ou culturelle par les temps qui courent n’est pas étonnant, encore faut-il ne pas réduire une culture à ses vieux démons soiffards et donner paradoxalement raison à « l’humaniste » BHL qui vomissait la France profonde, « l’esprit biniou.. », les alcooliques dans « L’idéologie francaise ».

En effet, il y aurait bien de quoi se cacher les yeux, se prendre la tête dans les mains : une récolte famélique, la crainte permanente d’un contrôle inopiné, le dépérissement de l’ambiance typique dans une région où pourtant la machine à vendanger n’a pas encore chassé les quelques irréductibles cueilleurs. Cette année, nos chères instances répressives avaient redoublé d’inventivité : surveiller les troupes par hélico et photographier les vendangeurs pour savoir si leur nombre correspond à celui déclaré par le vigneron.

Par ailleurs, les engins agricoles, les cuisines, les plats peuvent à tout moment être inspectés pour notre Bien, cela va de soi. Certes, des viticulteurs, en Beaujolais notamment, ont bien eu la vie facile en vendant le désormais fameux Beaujolais Nouveau chaque automne pendant des années en surfant sur la vague. Certains se sont achetés des appartements dans le midi…Or, depuis quelques temps, ils ont décidé d’élaborer du vin de cuve de qualité. Les Fleury, les Juliénas, les Chiroubles,..d’excellents produits abordables mêmes pour des gens modestes qui préfèrent souvent la bière bon marché possédée par Pernod-Ricard.

Qui de ce conglomérat financier ou des petits récoltants de Gaillac, du Beaujolais justement, ou des Pyrénées, est-il responsable de la mort de nos jeunes en sortie de boîte de nuit ? Autre leitmotiv : le Beaujolais est de la picrate ! Il faudrait enfin souligner qu’un Fleury (du village de Fleury donc) a été élu meilleur vin du monde en 2009 par un ribambelle d’œnologues et d’experts. Sans doute, si un Mouton-Cadet de la famille Rothschild avait eu les faveurs des pronostics, le consommateur moyen aurait été bercé de cette nouvelle formidable pour la viticulture française et se serait précipité dans les rayons pour acheter le nectar du grand Capital.

Pendant ce temps, la femme du vigneron, officiellement chef d’exploitation après la retraite de son mari, touche 350 euros par mois de la coopérative locale, le reste étant indexé sur les ventes des vins, bien maigres donc.

Le vigneron, persévérant dans son abnégation et son optimisme bridé, se dit que « la récolte prochaine ne pourra pas être plus mauvaise ». Paraît-il, les vins fruités du Beaujolais s’accommodent bien de la cuisine chinoise et des débouchés vers l’Empire du Milieu seraient envisagés, une manière peut-être de bénéficier de cette Mondialisation-Marchandisation destructrice du vieux socle gaulois. Prenant le chemin du retour, je contemplais , un peu chagriné, une dernière fois les vignes arrachées, en compensation des 6000 euros par hectare, sur les collines du Mont Brouilly.