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Russie : vers un nouveau modèle politico-économique ?

Le Forum Gaïdar s’est tenu en Russie du 16 au 19 janvier 2013. Comme chaque année, les participants au forum ont pu discuter de l’avenir économique de la Russie et envisager des scénarios de développement pour le pays. Le forum s’est notamment axé sur les questions d’intégration économique et de choix des partenaires commerciaux de la Russie.

Certains intellectuels libéraux ont ouvertement envisagé comme voie inévitable pour la Russie une forme d’« intégration à l’Union Européenne » pendant que des intellectuels de la gauche russe comme le directeur de l’institut de la mondialisation Michael Deliaguine pensent au contraire que « l’Europe n’a pas besoin d’une intégration avec la Russie ». Le gouvernement russe, via le premier ministre Dimitri Medvedev, a lui réaffirmé ses objectifs prioritaires d’intégration eurasiatique pour faire de cette nouvelle hyper-région du monde un pont entre l’atlantique et le pacifique, tout en relevant le défi de la modernisation du pays dans les domaines de la politique, de l’économie et du social.

Les participants au forum ont tous admis que le monde était au bord de changements majeurs, ce que le président russe annonçait en décembre dernier en affirmant : « L’ensemble du monde s’engage dans une époque de transformations radicales et peut-être même de grands chocs. ». L’un des signes de ces transformations radicales en cours semble être « l’éclatement de l’Occident » selon les mots d’Alexandre Melnik. Un éclatement qui se matérialiserait selon lui par la transformation de l’Amérique puissance transatlantique en une puissance transpacifique happée par l’Asie conquérante, par l’isolement de l’occidentale Australie au sein d’un Pacifique de plus en plus asiatique, mais aussi par l’incapacité de l’Europe à faire face à la globalisation, ce qui lui fait prendre le risque de sortir de l’histoire par une porte dérobée. À ce titre, les dernières nouvelles politiques d’Angleterre semblent indiquer que la première étape de ce phénomène (un monde sans Union européenne) est peut être bien déjà entamée.

Cette évolution vers un monde désoccidentalisé et « asiatisé » laisse penser que les intentions de la Russie de se placer comme partenaire européen prioritaire de l’Asie et comme pont entre la région Asie-Pacifique et la région euro-atlantique sont non seulement un choix stratégique majeur mais aussi un choix essentiel pour la survie économique et culturelle de la Russie.

Cette option de la Russie pourrait fournir des débouchés, mais aussi une porte de survie à l’Europe, vers l’Asie et le continent eurasiatique. Le président russe, lors de son discours annuel en décembre dernier, a affirmé (il faut s’en rappeler) que l’Asie constituerait la priorité de développement de la Russie pour les prochains 25 ans. Sur le plan des hydrocarbures, la Russie projette de réaliser en Asie-Pacifique 22 % à 25 % de ses exportations pétrolières et 20 % de ses exportations de gaz d’ici à 2020.

Le basculement du monde y compris la Russie vers une Asie en pleine expansion pourrait modifier le mode de gouvernance en Russie puisque selon l’ancien premier ministre Evgueny Primakov, la période dite du tandem (soit l’Alliance entre deux hommes : Vladimir Poutine et Dimitri Medvedev) pourrait prendre fin. Non pas que les deux hommes soient en guerre comme cela a trop souvent été envisagé, mais parce que la situation politique interne et externe est devenue différente. Les impulsions libérales et modernisatrices de Dimitri Medvedev ont été insufflées à la gouvernance russe, mais celle-ci n’a plus besoin d’être vue comme un tandem qui assure l’alternance politique pour apparaître plus démocratique, selon les mots de l’ancien premier ministre.

Enfin un nouveau visage est apparu au premier plan durant la dernière campagne présidentielle de Vladimir Poutine : le très patriote Dimitri Rogozine, proche en son temps du général Lebed et ancien « Monsieur Russie » à l’OTAN. Il est devenu vice-Premier ministre chargé du complexe militaro-industriel et il est partisan d’une ligne politique de reconstruction nationale avec l’appui de l’état. Récemment, il a affirmé que le complexe militaro-industriel russe devait et allait devenir la locomotive de l’économie russe.

Ces déclarations ont fait écho à celles de Serguei Glaziev, ancien candidat à la présidentielle et désormais conseiller financier de Vladimir Poutine.Ce dernier a récemment alerté les autorités russes sur ce qu’il appelle « la guerre financière totale » que mènent les pays industrialisés et occidentaux contre la Russie aujourd’hui. Selon lui, les principales puissances monétaires mondiales, notamment les États-Unis, le Japon, la Grande-Bretagne et les pays de l’UE, accroissent actuellement leur émission monétaire en vue d’acquérir des actifs en Russie, ce qu’il dénonce comme étant « la guerre de la planche à billets ». Il propose donc des mesures pour permettre à l’état russe de s’opposer au rachat massif d’actifs russes par des sociétés étrangères, via notamment une taxe sur les opérations avec les monnaies étrangères en vue de limiter les transactions spéculatives. Hasard ? Ce conseiller financier est un ancien du parti « Rodina » (Patrie) et un ancien bras droit de Dimitri Rogozine.

Vladimir Maou, recteur de l’Académie de l’économie nationale et de la fonction publique de Russie, a lui conclu au forum Gaïdar que « les changements consécutifs à une crise importante conduisent à un changement des équilibres géopolitiques et géoéconomiques et à la formation de nouvelles doctrines économiques ».

Est-ce qu’il faut s’attendre à un changement de tendance politique et économique majeur au sein de la gouvernance russe ? On peut le penser alors que vient d’être d’annoncé la rédaction d’une nouvelle Doctrine de politique étrangère qui devrait renforcer la « souverainisation » de la politique nationale russe, et que le ministère russe du Développement économique vient aussi de publier très récemment trois scénarios de développement socio-économique de la Russie pour l’horizon 2030.

Comprendre la vision russe du monde, avec Kontre Kulture :

 






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7 Commentaires

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  • #338902
    Le 23 février 2013 à 11:27 par Thémistoclès
    Russie : vers un nouveau modèle politico-économique ?

    Tout cela me semble très cohérent et plus stratégique que le forum de Davos.

    La logique voudrait qu’en réponse à cette guerre de l’Argent (pas des monnaies), la Russie et tous ses alliés fondent leurs propres organismes internationaux (inter-bancaire, aérien, tribunaux commerciaux ...) qui soient EXCLUSIFS de SWIFT, du GATT, du contrôle aérien international ...
    Et qu’ils définissent clairement les territoires géographiques et maritimes de leurs ambitions futures.

    Parenthèse : cela pourrait en outre nous sauver du Ciel Unique Européen qui constitue pour la France une terrible menace.

    A méditer

     

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  • #338960
    Le 23 février 2013 à 12:24 par nicheren
    Russie : vers un nouveau modèle politico-économique ?

    face à cette volonté pour l’instant impressionnante c’est le vide et l’absence totale de reflexion geopolitique en France et dans le reste de l’Europe.De plus, ce compte rendu fait contrepoids aux analyses de Meyssan sur l’accord américano russe voulant décrocher la Russie de la Chine donc du Pacifique pour l’ancrer dans le bourbier du Proche Orient

     

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  • #339108
    Le 23 février 2013 à 14:33 par Jérémie
    Russie : vers un nouveau modèle politico-économique ?

    « la guerre financière totale » que mènent les pays industrialisés et occidentaux contre la Russie aujourd’hui.




    Donc la Russie se doit de riposter pour sa défense. Il n’y a aucun projet mondialiste là-dedans.

    L’UE paralyse la politique de ses pays membres, conformément à la volonté des USA.
    Le centre de l’Eurasie est la clé pour gouverner le monde (d’après Brezinski), c’est pourquoi la Russie s’oppose aux USA qui tentent de s’emparer de cette région.
    Pierre Hillard se trompe sur le cas des dirigeants russes. La Russie contrecarre les projets impérialistes des USA en les coiffant au poteau. Mais à la différence qu’une influence Russe est bien moins violente qu’un empire US, car il est fini le temps de l’union soviétique, il ne reste plus que les USA pour imposer, en plus d’un modèle économique et politique, leur culture idiote pour asservir les esprits.

    L’avenir des pays européens est dans cette alliance eurasiatique, car avec l’UE ils n’ont aucun avenir. Avec un axe Paris-Berlin-Moscou c’en est fini de l’empire US, et le 21ème siècle appartient à l’Eurasie.

     

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    • #339195
      Le Février 2013 à 15:55 par Thémistoclès
      Russie : vers un nouveau modèle politico-économique ?

      Bien vu Jérémie,

      l’axe France-Allemagne-Russie est STRATEGIQUE.

      Restent à convaincre de cela les 2 ou 3 pays qui assureraient la continuité géographique.

       
    • #339208
      Le Février 2013 à 16:10 par Tremah
      Russie : vers un nouveau modèle politico-économique ?

      Je vous rappelle que l’axe Paris-Berlin-Moscou a été enterré (sans doute à titre définitif) en 2003 quand l’Allemagne s’est couchée devant les USA, et quand la Russie s’est alignée sur la politique étrangère américaine.

      A l’époque, Poutine s’affichait partout avec George Bush. Pas vraiment par ralliement stratégique, il est vrai, mais par opportunisme politique (règlement de la crise tchétchène). A sa décharge, la Russie était alors encore trop affaiblie pour peser réellement dans les affaires du monde, Poutine a donc tranché en faveur d’un calcul de politique intérieure.

      Je vous rappelle la fameuse et très instructive phrase de Donald Rumsfeld :

      "Il faut ignorer l’Allemagne, pardonner à la Russie et punir la France"

      Les conséquences pour la France ont été très importantes. Les partisans de l’union continentale (Chevènement, etc.) ont été désavoués et marginalisés politiquement : sur tous les plateaux télé on voyait des analystes nous rappeler, avec la larme à l’oeil, l’importance de "l’amitié franco-américaine". Le NON à l’ONU était vivement critiqué, et les "continentaux" n’ont reçu aucun appui politique.
      Dès lors, un boulevard médiatique s’est ouvert pour les euro-atlantistes (Pierre Lelouche à droite, Moscovici à gauche) et on a assisté à la montée en puissance de l’atlantisme qui a entraîné le basculement progressif de la politique étrangère française dans "l’axe du bien", définitivement entériné par l’élection de Sarkozy et le ralliement à l’OTAN.

      Pierre Hilard a raison. La Russie ne "concurrence" pas les USA, elle veut être reconnue par les USA comme puissance régionale légitime.

      L’Eurasie est une autre chimère pour européens soumis ; ce serait simplement une Europe plus ou moins assujettie à la Russie, promulguée "contrôleur régional", tandis que les USA s’arrimeraient politiquement à la sphère pacifico-asiatique.

      Je ne comprendrais jamais pourquoi certains veulent à tout prix se diluer dans un empire de substitution. Passer en gros de l’hégémonie américaine à l’hégémonie russe. Au contraire, la période de troubles qui s’annonce devrait être saisie par la France pour recouvrer son indépendance nationale vis à vis des "blocs" (de nombreux américains se laisseraient aller, paraît-il, à la nostalgie de la guerre froide).

      Nous avons (encore) un empire maritime, un espace économique et culturel honteusement ignoré (la francophonie), et, comme alternative à l’UE vérolée, le monde méditerranéen, carrefour de trois continents.

       
      • #339422
        Le Février 2013 à 20:27 par Jérémie
        Russie : vers un nouveau modèle politico-économique ?

        Mais je ne désire pas un empire russe à la place de celui des ricains.
        Il semblerait qu’actuellement la Russie soit internationaliste, donc ce pays cherche des alliés, des partenaires et non des vassaux, et cela pour former un contre-empire eurasiatique et aussi apporter son soutien à d’autres, dont l’UNASUR (P.Hillard se trompe aussi sur son cas, mais F.Asselineau voit juste). Cela dit les choses peuvent toujours évoluer si des futurs dirigeants russes aux dents longues ont une bouffée de mégalomanie.

        Pour l’instant je compte les points et les projets impérialistes des USA s’en prennent plein la tête, dernier en date : l’échec pour renverser Bachar. On observe également un début repli sur soi des US (moins de guerres directes), ou du moins une perte d’influence et la volonté de moins soutenir ses vassaux, dont l’entité sioniste. Brezinski doit enrager de voir ses projets impérialistes s’éloigner de la réalité.

         
  • #339666
    Le 24 février 2013 à 04:14 par goy pride
    Russie : vers un nouveau modèle politico-économique ?

    Et bien entendu l’Europe et particulièrement la France rate le coche et va tout droit vers une longue et douloureuse agonie et tout ceci pour les beaux yeux d’une secte de fanatiques...

     

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