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Trump et la critique du libre-échange

Le Président Donald Trump n’a guère attendu son entrée en fonction, le 20 janvier 2017, pour commencer à mettre en œuvre une partie de son programme économique, essentiellement à travers des pressions protectionnistes et la remise en cause des accords de libre-échange.

 

Qu’il s’agisse du Traité transpacifique, de l’ALENA (signé il y a plusieurs décennies avec le Mexique et la Canada), voire de mesure remettant en cause l’autorité de l’OMC, c’est bien à une offensive généralisée contre le principe même du libre échange à laquelle on assiste. Cette offensive suscite des nombreuses questions quant à sa pertinence, et à la politique commerciale que le Président Trump veut mettre en œuvre pour les États-Unis. Mais elle permet aussi de poser tout une série de questions quant à la rationalité du libre-échange qui est devenu de nos jours non plus une théorie mais bien une idéologie, non une simple idéologie mais une religion.

 

La mondialisation n’est pas heureuse

Il est aujourd’hui significatif que le libre-échange soit remis en cause par les États-Unis, par un président américain, et qui plus est par une personne connue pour être proche du monde des affaires. De fait, les critiques contre le libre-échange provenaient plutôt des pays du « Sud » et de gouvernement considérés comme de gauche ou à tout le moins comme populiste. Les États-Unis ont été, depuis près de quarante ans et même avant (que l’on se souvienne de la politique dite de la « porte ouverte » en Asie), la force motrice dans les traités de libre-échange.

La défense de la « liberté du commerce » pouvait être considérée comme l’un des marqueurs essentiels de la politique étrangère de ce pays. Certes, ces propositions avaient, il faut le dire, rencontré un fort bon accueil dans le cadre de l’Union européenne. Cette organisation partageait avec les États-Unis la croyance que le libre échange était la voie de l’avenir. L’histoire d’amour que les dirigeants de l’Union européenne ont développée avec le libre-échange interpelle, car elle est en réalité contradictoire avec les raisons initiales de la construction européenne. Cette histoire d’amour est devenue aujourd’hui un point du dogme européiste et l’Union européenne est même devenue aujourd’hui le point de repli de tous les thuriféraires de cette religion qu’est le libre-échange.

Cette position d’ailleurs s’enracinait dans une conception très idéologique des vertus du libre-échange, censé apporter le bien-être aux plus pauvres, la paix en ce monde, ou du moins la fin des conflits. On sait très bien qu’il n’en fut rien.

Mais, ces vingt dernières années ont été loin d’apporter de l’eau au moulin des partisans du libre-échange. De fait, ce dernier n’a pas fait disparaître les conflits. Les progrès du libre échange se sont arrêtés avec la crise de 2008-2010. Le cycle de Doha s’est avéré être un échec. Le nombre de mesures protectionnistes prises dans les différends pays depuis 2010 ne cesse d’augmenter. Aussi, le tournant pris par les États-Unis sous la direction de Donald Trump, pour spectaculaire qu’il soit, est-il moins étonnant que ce que l’on aurait pu croire.

Non, la globalisation ou la mondialisation ne fut pas, et ne fut jamais, « heureuse ». Il convient de le dire et de le répéter. Elle ne fut pas « heureuse » non pas du fait d’imperfections que l’on pourrait corriger mais en raison même de sa forme de constitution.

Le mythe du « doux commerce » venant se substituer aux conflits guerriers a été trop propagé pour ne pas laisser quelques traces… Mais, à la vérité, ce ne fut qu’un mythe. Toujours, le navire de guerre a précédé le navire marchand. Les puissances dominantes ont en permanence usé de leur force pour s’ouvrir des marchés et modifier comme il leur convenait les termes de l’échange. La mondialisation que nous avons connue depuis près de quarante ans a résulté de la combinaison de la globalisation financière, qui s’est mise en place avec le détricotage du système hérité des accords de Bretton Woods en 1973, et de la globalisation marchande, qui s’est incarnée dans le libre-échange. À chacune de leurs étapes, ces dernières ont imposé leurs lots de violences et de guerres. Nous en voyons aujourd’hui le résultat : une marche généralisée à la régression, tant économique que sociale, qui frappe d’abord les pays dits « riches » mais aussi ceux que l’on désigne comme des pays « émergents ». Elle a conduit à une surexploitation des ressources naturelles plongeant plus d’un milliard et demi d’êtres humains dans des crises écologiques qui vont chaque jour empirant. Elle a provoqué la destruction du lien social dans un grand nombre de pays et confronté là aussi des masses innombrables au spectre de la guerre de tous contre tous, au choc d’un individualisme forcené qui laisse présager d’autres régressions [1].

 

Le grand retournement

On assiste donc aujourd’hui à un grand retournement sur cette question. Et, ce qui est particulièrement intéressant est que ce retournement ait les États-Unis comme origine. En fait, à la base même de ce retournement on trouve le décrochage des revenus des classes moyennes-inférieures et de la classe ouvrière. Or, ce décrochage est dans une large mesure imputable à la mondialisation [2].

Cet écart entre les 1 % les plus élevés et les 90 % les plus bas s’est largement ouvert depuis les années 1980. Ce décrochage a été confirmé par une autre étude datant de 2015 [3]. Cet écart se lit aussi dans le décrochage entre le rythme de gains de la productivité du travail et celui des salaires horaires. Si les deux courbes apparaissent quasiment parallèles de 1946 à 1973, ce qui implique que les gains de productivité ont également profité aux salariés et aux capitalistes, on constate qu’il n’en est plus de même après 1973. Depuis cette date, les salaires horaires ont augmenté nettement plus lentement que la productivité du travail, ce qui implique que les gains de productivité ont, désormais, essentiellement profité aux profits des entreprises et des actionnaires. Cette situation s’est aggravée dans les années 1990, visiblement sous l’effet de la mondialisation et de l’ouverture des frontières [4].

Aux États-Unis, cette évolution a été psychologiquement fondamentale, car elle a signifié la « fin » du rêve américain pour une vaste majorité de la population. Ceci a été marquée par la différence très nette entre les rythmes d’évolution du revenu moyen, qui a continué à progresser, et le revenu médian [5]. Mais, les États-Unis n’ont pas été le seul pays où cette situation s’est manifestée. Il faut noter qu’elle est aussi présente en Grande-Bretagne, ce qui n’est pas politiquement sans conséquences [6].

On a aussi assisté à une évolution similaire dans le cas de la France, en particulier à partir du « tournant de la rigueur » pris par François Mitterrand dès 1983. Le « plan Delors » a eu les mêmes effets quant aux gains de productivité pour la France que ce que l’on constate aux États-Unis. Et il n’est pas innocent que Jacques Delors soit allé sévir, après cet épisode, à Bruxelles.

Il est donc clair que le libre-échange n’a pas eu sur les économies, et sur les travailleurs qui vivent dans ces économies, les conséquences bénéfiques qu’en promet la théorie économique « mainstream ». Pourtant, les économistes du courant dominant, ceux que l’on appelle les « orthodoxes » n’ont de cesse de prétendre que le libre-échange est le futur, nécessairement radieux, de l’humanité.

Lire la suite de l’article sur russeurope.hypotheses.org

Notes

[1] Voir J. Généreux, La Grande Régression, Seuil, 2010.

[2] Bivens J., “Globalization, American Wages, and Inequality” Economic Policy Institute Working Paper, Washington DC, 6 Septembre, 2007.

[3] Mishel L., Gould E et Bivens J., « Wage stagnations in 9 charts », Economic Policy Institute, Washington DC, 6 janvier 2015.

[4] See G. Irvin, “Growing Inequality in the Neo-liberal Heartland,” Post-Autistic Economics Review, 43 (September 15, 2007), pp. 2–23, http://www.paecon.net/PAEReview/iss...

[5] US Congress, State Median Wages and Unemployment Rates, prepared by the Joint Economic Committee, table released by the US-JEC (June 2008).

[6] Brewer M., A. Goodman, J. Shaw, and L. Sibieta, Poverty and Inequality in Britain : 2006, Institute for Fiscal Studies (London, 2005).

Approfondir le sujet avec Kontre Kulture :

Jacques Sapir, sur E&R :

 
 






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2 Commentaires

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  • #1670779
    Le 22 février 2017 à 10:07 par Robespierre
    Trump et la critique du libre-échange

    Le doux commerce et l’opulence pour tous grâce à la finance, dans un monde apaisé, sera l’avenir radieux de l’humanité.

     

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  • #1670807
    Le 22 février 2017 à 11:03 par anonyme
    Trump et la critique du libre-échange

    "Il est donc clair que le libre-échange n’a pas eu sur les économies, et sur les travailleurs qui vivent dans ces économies, les conséquences bénéfiques qu’en promet la théorie économique"...
    ...Ce qui est complètement ’logique’ puisque ça n’est pas à leur avantage qu’il est organisé, mais à celui de qui le promotionnent. Avec le discours vaselinatoire qui va bien. Très fondamentalemnt nous ne pouvons rien les uns pour les autres (il faut bien l’admettre) et si travail il doit y avoir c’est celui qu’on fait sur soi qui est le plus performant quand on souhaite améliorer sa condition.

     

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