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A Benghazi, la guerre est ouverte entre les islamistes et les fédéralistes soufi

par Bernard Lugan

Les évènements qui se déroulent depuis le 21 septembre à Benghazi, capitale de la Cyrénaïque, sont d’une extrême importance pour l’avenir de la région et plus généralement pour celui de toute la Libye.

Lassés d’être pourchassés par les fondamentalistes islamistes, les fédéralistes soufi semblent en effet avoir décidé de se débarrasser de ces salafistes-wahhabites financés par le Qatar et l’Arabie Saoudite et qui veulent transformer la région en émirat.

Qui va l’emporter ? Il est encore trop tôt pour le dire mais, à travers ces évènements, l’essentiel est de voir que les vraies fractures de la société libyenne apparaissent désormais au grand jour. Et elles sont bien loin des « droits de l’homme » chers aux niaiseux d’Occident…

Clés d’explication :

1) Le 6 mars 2012, à Benghazi, Ahmed Zubair al-Senoussi, parent de l’ancien roi Idriss et membre important de la confrérie senoussiste, fut élu émir par les chefs des tribus de Cyrénaïque. Cet acte politique était un signal fort envoyé aux autorités de Tripoli puisqu’il signifiait que la région se prononçait pour une orientation très fédérale de la future Libye. Cette revendication fédéraliste récurrente explique d’ailleurs pourquoi la Cyrénaïque s’était soulevée dès le début de l’année 2011 contre le colonel Kadhafi et son pouvoir perçu comme tripolitain.

2) Impitoyablement pourchassés par le régime du colonel Kadhafi, les islamistes, dont le fief était la ville de Derna - aujourd’hui véritable émirat taliban dirigé par Abdou Hakim Al Assadi - rallièrent la rébellion de la Cyrénaïque dès les premières semaines de l’année 2011 afin de s’introduire dans le jeu politique local.

3) Une fois le colonel Kadhafi renversé par l’OTAN, ces islamistes ont, par la terreur, cherché à « coiffer » les fédéralistes ; ils furent d’ailleurs tout près de réussir. Mais, comme je l’ai déjà expliqué dans un communiqué en date du 18 février 2012, ils ont commis une erreur qui risque de leur coûter cher : ils ont en effet attaqué les confréries soufies dont le poids régional est plus qu’important puisqu’elles constituent l’armature tribalo religieuse de la région.

Dans toute la Cyrénaïque, les fondamentalistes se sont mis à pourchasser les soufis qu’ils considèrent comme des hérétiques. Le 13 janvier 2012, à Benghazi, ils ont ainsi passé un cimetière au bulldozer et profané une trentaine de tombes de saints -les marabouts du Maghreb - dont ils ont dispersé les ossements. Comme pour les fondamentalistes du Mali qui ont détruit des lieux saints à Tombouctou, les rassemblements autour des tombeaux ne sont rien d’autre que de l’idolâtrie.

A travers ces actes insupportables aux habitants de la Cyrénaïque, les fondamentalistes cherchaient à briser les structures traditionnelles d’encadrement des populations afin de prendre le contrôle de ces dernières. L’assassinat de l’ambassadeur américain à Benghazi entrait dans leur stratégie de conquête du pouvoir régional.

Désormais, que peut-il se passer ? Trois grandes options se présentent :

1) Les fondamentalistes l’emportent sur les fédéralistes soufi et la Cyrénaïque entière devient un émirat avec toutes les conséquences que l’on peut imaginer sur la géopolique régionale et sahélienne.

2) Les fédéralistes soufi liquident les fondamentalistes. Ayant renforcé leur pouvoir ils seront donc en mesure d’imposer à Tripoli la reconnaissance de la très large autonomie de la Cyrénaïque.

3) Il n’y a ni vainqueur, ni vaincu et chaque camp cherche des appuis ailleurs qu’en Cyrénaïque, ce qui peut permettre au « pouvoir central » de revenir dans le jeu et qui, dans tous les cas débouchera sur l’anarchie.

Les responsables de ce gâchis sont ceux qui, dans l’ignorance bétonnée du dossier, ont, pour des raisons toujours bien obscures, décidé de s’immiscer dans une guerre civile qui ne les concernait en rien et qui ont obstinément refusé d’écouter les sages conseils prodigués par le président Idriss Déby :

« Depuis le début des opérations de l’Otan en Libye et jusqu’à la chute de Kadhafi, je n’ai cessé de mettre en garde quant aux conséquences non maîtrisées de cette guerre. J’ai trop longtemps prêché dans le désert (…) les nouvelles autorités libyennes ne contrôlent toujours pas leur propre territoire (…). Plus généralement, quand je regarde l’état actuel de la Libye, où chaque localité est gouvernée sur une base tribale par des milices surarmées ou par ce qu’il reste des forces fidèles à Kadhafi, ma crainte a un nom : la somalisation » (Idriss Déby, président de la République du Tchad, dans Jeune Afrique, le 23 juillet 2012).

Le numéro d’octobre de l’Afrique Réelle que les abonnés recevront début octobre contient un important dossier consacré à la question libyenne.

 






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15 Commentaires

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  • "les fondamentalistes se sont mis à pourchasser les soufis qu’ils considèrent comme des hérétiques"

    Ca m’étonne qu’à peine... Les Soufis ne sont pas soumis à Dieu, ils sont en relation avec lui, alors forcément, ça doit pas plaire. On dirait presque que c’est chrétien comme approche de la religion. C’est peut être même un reste historique de la présence chrétienne dans la région...

     

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    • c’est le retour de baton ou le principe d’action - réaction

      le sous-fifre tonne puis le soufi ratonne.

       
    • "Les Soufis ne sont pas soumis à Dieu, ils sont en relation avec lui, alors forcément, ça doit pas plaire"

      Faut pas dire n’importe quoi quand meme, le soufisme c’est l’approche esoterique de l’islam, c’est "le coeur battant" de l’islam...Alors s’il est vrai qu’une partie de l’Afrique du Nord fut chretienne, il ne faut pas faire d’anachronisme.

      Le soufisme est une initiation esoterique commence dans l’islam par le prophete et ses compagnons...aujourd’hui le soufisme est present partout dans le monde musulman : les soufis s’appellent les Faqirs en Inde, les Derviches en Asie Mineure, et les Marabouts en Afrique septentrionale...

      Un musulman par definition est soumis a Dieu...le probleme c’est que les imperio-musulmans font feu de tout bois pour servir leur visees politique.

       
    • La méconnaissance que les gens (musulmans et non musulmans) ont du soufisme m’exaspère.... Vous ne connaissez vraisemblablement pas le sujet pour faire des erreurs pareils..
      De plus être en relation avec Dieu ne signifie pas ne pas être soumis à lui, au contraire ça va ensemble, et je pense que vous comprenez le mot soumis dans le sens (vidé de spiritualité) des salafistes/wahhabites ce qui est aussi agaçant, le soufisme, c’est l’islam qui a gardé sa spiritualité originel mais qui contrairement aux idées reçus respecte scrupuleusement la loi divine, On appelle le soufisme "l’école de la purification de l’âme, il est vrai qu’il existe certains groupes (rare) se revendiquant du soufisme et qui n’ont pas forcément grand chose avoir avec l’islam, mais ça vient du fait que le soufi à une philosophie de vie et une spiritualité universelle qui a pus attiré des non musulmans.
      Les soufis sont avant tout musulman c’est pourquoi il ne peuvent rien faire qui s’oppose à l’islam et à sa loi divine, et c’est ce qu’il font dans leurs grande majorité, le soufisme s’oppose au wahhabisme parce qu’il s’agit de l’islam traditionnel, les plus grands savants de l’islam étaient tous des soufis : El ghazali, El Souyouti, l’imam Malik (un des 1ers imams qui a fondé l’école malikite en vigueur dans tout le monde musulmans en particulier la Lybie qui a d’ailleurs déclaré : "Celui qui étudie la jurisprudence (tafaqaha) et n’étudie pas la soufisme (tasawwuf) est un pervers (fasiq) ; et celui qui étudie le soufisme et qui n’étudie pas la jurisprudence est un hérétique) et biens d’autres grandes figures de l’islam.
      C’est d’ailleurs les wahhabites qui essaient de détruire le soufisme, l’islam traditionnel en rependant des mensonges pour se substituer à lui, quand on sait ce qu’est le wahhabisme don tle but est de détruire l’islam ce n’est pas étonnant.
      Je rajouterai que quiconque à étudié le soufisme sait qu’il à influencé de nombreux courants spirituels Chrétiens, par le biais du soufisme il y a eu au cours de l’histoire de nombreux échange entre musulmans et chrétiens.

       
    • #228544

      Faudrait savoir, il paraîtrait que les chrétiens doivent déjà tout au judaïsme...

       
    • @Nyma

      Faut pas dire n’importe quoi dans l’autre sens non plus !

      Le christianisme est venu avant l’islam, comment pourrait il "tant devoir" a l’islam et au soufisme ?

      C’est plutot le contraire, les intellectuels musulmans se sont positionnes par rapports aux philosophes grecs et aux positions des chretiens...

      Il y a eu des echanges dans les deux sens, ca c’est certain...

      Vous noterez que les tenants de la Tradition des toutes les religions s’entendent tres bien entre eux, alors que les "litteralistes" ceux qui font du mot a mot dans les ecrits saints, se foutent sur la gueule quelque soit les religions...

       
    • Il faut rétablir la vérité sur le tasawwuf (soufisme). Le tasawwuf EST l’islam sunnite originel dans toute son authenticité. L’idée comme quoi que ce serait une adjonction hétérodoxe à l’islam (bid’a) fait partie de la propagande pseudo-salafiste (wahabite) et aussi de certains "pseudo-savants musulmans" de l’ère contemporaine, et est même relayée sournoisement par les médias occidentaux par le biais de "documentaires" en nous présentant certains mouvements "space" mais qui n’ont rien à voir avec le tasawwuf, tout ça pour désinformer et semer un peu plus la confusion dans la tête des gens.

      Succintement, le tasawwuf est une voie pour amener le musulman à la purification de son coeur, pour veiller à la pureté de ses intentions et faire en sorte que toutes ses actions soient faites strictement pour Allah (te’âlâ), se débarasser en quelque sorte de son égo.

      Cela n’a rien à voir avec du polythéisme (ou associationisme=shirk) comme c’est trop souvent présenté par les différentes propagandes contemporaines (wahabites et autres ..) : la visite de la tombe d’un musulman considéré comme très pieux et bien-aimé des gens, n’est pas lui rendre culte en l’associant à Allah (te’âlâ).

      Les wahabites et autres contemporains utilisent la peur comme technique de propagande : ils effraient en particulier les jeunes en leur disant que c’est une voie de l’égarement qui mènera en enfer (hadith sur les 73 sectes).

      Tous les grands ’ulamas et fuqahas (grands savants) des siècles précédents unanimement aimés et reconnus comme les Suyuti, Nawawi, Ghazali, Bukhari, Al Asqalani les grands imams des premières générations (les Imam Malik, Abu Hanifa, Shafi, Ahmad) pour ne citer qu’eux, sont tous des gens sunnites du tasawwuf. Même les wahabites les citent quand ça les arrange dans le sens de leur doctrine !! ( comme avec Nawawi).

      Rappelons aussi que l’islam sunnite traditionnel sage de jurisprudence malékite des grands parents et des arrières grands parents de nos jeunes "rebels" d’origine maghrébine, est du tasawwuf et était enseigné dans les zaouias. Malheureusement, ces jeunes de nos jours apprennent l’islam par le bouche à oreille et leur instruction religieuse est trop souvent récupérée par les mouvements réformateurs contemporains (aussi bien modernistes que pseudo-salafistes) : leur littérature est financée, peu chère et abondante, leurs doctrines sont bien relayés par les médias arabophones.

      Les jeunes musulmans doivent mieux se cultiver pour ne pas tomber dans les pièges.

       
    • on croit dormir debout , tu as lu un peu le soufisme ou rencontré des soufis ? tu es dans le délire complet mon ami "ils sont en relation avec Dieu" tu peux développer stp. Qu’y a-t-il de Chrétien dans tout ça ? bien à toi

       
    • Ne me faites pas dire ce que je n’ai pas dit, j’ai dit "il a influencé de nombreux courants spirituels Chrétiens"
      Je n’ai pas dit Le Christianisme ,(c’est absurde de penser que le soufisme serait à l’origine du christianisme...) mais "Courants spirituels chrétiens" ce qui est différent donc aucun anachronisme puisqu’au cours des siècles aussi bien avant et après l’islam il y a eux plusieurs mouvement, ordres différents avec des approches spirituels différentes et pourtant tous chrétiens avec les mêmes dogmes principaux (ils ne sont évidemment pas tous nés en même temps sinon il n’y aurait ni de catholiques de coptes, d’orthodoxes, de protestants et pas de différentes approches spirituels mais un seul Christianisme), et ce dont je parle est d’un point de vu spirituel et bien entendu postérieur à l’islam. Je vous donne un exemple, celui d’une grande figure féminine du soufisme au VIIIiéme siécle Rabi’a al Adawiyya qui un jour courait dans sa ville natale (Basra)tentant dans une main un sceau rempli d’eau et de l’autre une torche allumée qui quand on l’interpella répondit "Je veux verser de l’eau dans l’enfer et mettre le feu au Paradis afin que disparaissent ces deux tentures et que les hommes cesse de prier Dieu par peur de l’enfer ou par espoir de renter au Paradis, mais uniquement pour Sa Beauté éternelle" C’est une histoire qui a fini par se frayer un chemin dans le monde Chrétien au XIIIe siècle à la cours du roi Saint Louis par son chroniqueur et ami Joinville. Celui-ci cite le Dominicain Yves Le Breton, arabisant, qui avait rencontré à Acre au XIIIe siècle une femme tenant le même langage sur l’amour divin que Râbi‘a ‘Adawiyya, la sainte musulmane la plus renommée en terre d’islam. Cette sainte irakienne n’est pas identifiée par Joinville, mais sa figure mythifiée va nourrir le débat théologique sur l’amour de Dieu qui agite la France, et elle suscite l’admiration des partisans du Pur Amour : il faut aimer Dieu ni par désir de Son paradis ni par crainte de Son enfer.
      Je n’ai jamais dit que le Christianisme devait quelque chose au soufisme, ce que je voulais dire c’est que l’amour de Dieu n’est pas exclusivement d’origine Chrétienne et que le soufisme à pu apporter des choses spirituels qui on dépassé les barrières religieuses et l’inverse est possible et même déjà fait. En Islam, l’amour de Dieu est considéré comme faisant parti de la Sunna éternel et est censé se retrouver dans toutes les révélations divines.

       
  • #228527

    Questions à Bernard Lugan :

    " 1) Les fondamentalistes l’emportent sur les fédéralistes soufi
    2) Les fédéralistes soufi liquident les fondamentalistes "

    - Lequel de ces groupes a le soutien de l’OTAN ?
    Aucun peut être...
    - Quels sont les intérêts des israéliens dans ce conflit, le chaos ?

    Merci pour votre éclairage dont la précision ne laisse pas de doute quant à votre connaissance géopolitique de la Libye.

    Pierre

     

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    • #228583

      Je pense que les Israéliens s’en foutent complètement. Maintenant que Kadhafi est tombé, l’avenir de la Libye ne les regarde pas, puisque de toute manière le pays n’a plus les moyens de retrouver la moindre influence diplomatique avant au moins 5 ou 6 ans...

       
    • D’après Imram Hossein, au contraire la Cyrénaique est hautement stratégique pour les sionistes ; au cas ou ça tournerai mal pour leurs intérets en Egypte. A force de se la jouer "grand démocrate", l’Empire va finir par se retrouver avec un vrai antisioniste à la tête de l’Egypte. On en est pas là, mais si ça arrivait, faut absolument que la Cyrénaique soit sous contrôle, comme base arrière pour l’Empire.

       
  • r aurelien362

    le pays n’a plus les moyens de retrouver la moindre influence diplomatique avant au moins 5 ou 6 ans...

    La libye n’existent plus tout court.

     

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  • Mais que fait donc notre BHL national ?

    Ou se cache-t-il cet infâme têtard ?

    Se pourrait-il qu’il ai un jour à répondre devant la justice internationale d’avoir incité le gouvernement français à provoquer une guerre qui pourrait s’avérer illégale et qui a amené au pouvoir des fanatiques islamistes ?

     

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  • @Fifty miles,

    Ils doivent pas tout, ils doivent juste beaucoup.

     

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