Egalité et Réconciliation
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À propos des accointances de l’antifascisme avec le pouvoir

Ci-contre, un billet de la Confédération Nationale du Travail, syndicat anarchiste aux antipodes de nos positions, réagissant à une polémique sur les liens de l’ "antifascisme" avec les services secrets britanniques et différentes structures gouvernementales européennes.


En mai 2008, à l’occasion de la venue en France d’antifascistes russes, une polémique a éclaté sur internet concernant les liens entre un certain antifascisme et l’Etat. Il n’est pas toujours facile de s’y retrouver dans la nébuleuse antifasciste (qui n’est peut-être pas nébuleuse pour rien...), mais les points soulevés sont particulièrement clairs et précis et les questions qu’ils soulèvent cruciales d’un point de vue militant. Des compagnons ont donc jugé nécessaire, comme dans toute polémique, d’étudier les arguments des uns et des autres, à commencer par vérifier leur véracité. Puis, vu les questions soulevées, de porter le débat sur la place publique.

La polémique a éclaté lorsqu’un internaute (avec lequel les rédacteurs de l’article n’ont rien à voir) a dévoilé que les fameux antifascistes russes invités en France avaient des liens avec "Searchlight", magazine britannique qui affiche certes un bel antifascisme mais dont le rédacteur en chef reconnaît avoir des liens avec les services secrets de son pays. Ce même internaute faisait par ailleurs remarquer que le mouvement qui faisait venir en France ces Russes (en l’occurrence le conglomérat "Réflex", "Scalp", "Réseau no pasaran"), fait partie d’un réseau appelé United (auquel appartient également Searchlight).


Qu’est-ce donc que cet United ?


C’est, d’après ce qu’affirme son site, "le plus grand réseau pan-européen antiraciste". Il regroupe 560 organisations et lutte contre le nationalisme, le racisme, le fascisme et pour les droits des immigrants et des réfugiés. Très bien jusque là. Sauf que, si l’on se donne seulement la peine de lire ses rapports d’activité, on a directement connaissance de la liste des organisations qui financent United. C’est là qu’on rigole. Dans le rapport d’activité 2006, on relevait en vrac, parmi les généreux donateurs : la Commission Européenne, le Conseil de l’Europe, le Conseil mondial des Eglises (!), le Conseil culturel de Suède, le Groupe parlementaire européen des Verts, le Groupe parlementaire européen Socialiste, le Groupe parlementaire européen Communiste, le Ministère des affaires étrangères Suisse, etc. Bien pire, deux ministères de la police (au moins) financent directement United : le ministère de l’intérieur britannique et le ministère de l’intérieur néerlandais. Et c’est bien de ce réseau que Reflex (auquel appartient le Scalp) est membre !

Ces révélations qui appelaient soit un démenti formel (si elles étaient fausses) soit, dans le cas contraire, des explications politiques ont certes soulevé une vive polémique, mais les explications se font toujours attendre.

Ainsi le principal mis en cause, le réseau No-Pasaran (auquel appartient Reflex, tout comme le Scalp) s’est fendu d’un communiqué tonitruant (dont nous reproduisons plus loin les principaux extraits) mais qui, sur le fond, se garde bien de donner quelque explication que ce soit.

Remarquons tout d’abord que le Scalp-no pasaran se garde bien de démentir formellement les deux accusations qui ont lancé la polémique :

  • - à savoir tout d’abord qu’ils participent eux-mêmes à un réseau financé par la police
  • - ensuite que le directeur de la revue Searchlight est en relation avec la police secrète britannique.

Ne démentant pas formellement, ils tentent de noyer le poisson en parlant "d’allégations fumeuses". Reconnaissons que ces deux termes sont fort habilement choisis : une allégation, c’est une affirmation quelconque (le terme allégation en lui-même n’implique pas qu’elle soit vraie ou fausse), et quelque chose de fumeux est simplement quelque chose d’approximatif. Bref, après avoir lu le communiqué, on ne sait pas si le Scalp affirme qu’il s’agit de mensonges ou s’il reconnaît que c’est la vérité, simplement approximative... Les rédacteurs du communiqué ont ainsi fait preuve, avec finesse, de beaucoup de prudence. Ils ont eu grandement raison. Car non seulement les deux allégations sont fondées, tout à fait exactes, mais de plus elles n’ont rien de fumeux puisque chacun peut en trouver confirmation sur les sites suivants, qui sont réputés pour leur sérieux et leur fiabilité :

http://www.libcom.org et http://www.katesharpleylibrary.net


Relevons, à notre tour, une allégation, cette fois-ci parfaitement mensongère dans ce fameux communiqué : ce n’est pas à l’avocat de la victime que les invités russes du Scalp apportent leur aide mais... au Procureur. Il y a là plus qu’une nuance ! La preuve est ici aussi facile à administrer, et par la même méthode. Sur le site des amis des intéressés, on peut lire en effet : "Here in St Petersburg, anti-fascists have actively helped the public prosecutors as expert witnesses since the early 1990s and have run some successful campaigns." Or, sans conteste possible, "public prosecutors" se traduit en français par Procureur, certainement pas par avocat. Ce passage de la revue Searchlight est donc parfaitement limpide : "Ici, à Saint- Pétersbourg, les anti-fascistes aident activement le procureur du ministère public [l’équivalent de notre Procureur de la République] comme témoins experts depuis le début des années 1990 et mènent des campagnes efficaces." Bref, c’est au Procureur, à l’émissaire direct du ministère de la justice d’un pays très autoritaire (pour ne pas dire plus...) que les invités russes du Scalp apportent tout leur soutien actif depuis 18 ans. Une paille.

Maintenant, direz-vous, que viennent faire Zyed et Bouna dans cette galère  ? Qu’ont-ils à voir avec des militants qui ont choisi de collaborer avec les Procureurs ? Rien. Ils sont là, eux aussi, pour noyer le poisson. Mais, au-delà de la stupidité de la mention de leur prénom en des circonstances qui n’ont rien à voir avec eux, c’est une véritable insulte à leur mémoire. Surtout si l’on veut bien se rappeler que le Scalp n’a pas été capable de se fendre ne serait-ce que d’un communiqué en soutien à la jeunesse qui se révoltait à la suite de leur mort (il ne l’a fait que bien plus tard).

Revenons maintenant aux trois affirmations morales que le conglomérat Scalp-No pasaran-Réflex martèle dans son communiqué. Un bref commentaire suffira :

  • "La solidarité - lit-on dans le communiqué - [c’est] mettre en place un réseau de contacts et d’échange." En soi, le propos est intéressant. Mais quand le "contact" et "l’échange" s’étendent jusqu’à la police, chacun comprendra qu’un révolutionnaire préfère couper les ponts !

  • "L’internationalisme - lit-on ensuite - [c’est] accepter et comprendre la réalité à laquelle sont confrontés nos camarades étrangers." Et la "réalité" à laquelle sont confrontés - camarades ou pas - les étrangers, c’est celle des expulsions organisées par ... les ministères de l’intérieur ... ceux-là mêmes qui financent le réseau international des rédacteurs du communiqué. A ce stade d’incohérence, est-il besoin de s’appesantir ?

  • - Enfin, nous dit-on, "L’antifascisme ce n’est pas traquer chez les antifascistes qui agissent d’hypothétiques défaillances". Qualifier de simple défaillance une collaboration clairement établie avec le Procureur, c’est un euphémisme particulièrement pervers. D’autant que ces défaillances ne sont pas hypothétiques.

Au lieu de répondre aux principales questions que posent ces révélations (à savoir, est-il légitime qu’un groupe antifasciste collabore avec l’Etat  ? Surtout dans le cas présent, l’Etat russe, qui n’a pas grand chose à envier aux Etats fascistes ; est-il normal qu’un réseau antifasciste perçoive des financements de la police ?) ce communiqué est un numéro de criailleries. Cette affaire devrait interroger tous ceux qui ont, à un moment où à un autre participé à des manifestions du Scalp-no pasaran, ce qui est d’ailleurs le cas de divers militants de la CNT-AIT, dont les auteurs de ces lignes. Aussi, aux questions ci-dessus, nous voyons nous dans l’obligation d’en ajouter au moins deux autres :

  • - Comment se fait-il que ces données aient pu rester cachées si longtemps ?
  • - Les membres "de base" du Scalp étaient-ils au courant ?

Nous attendons la réponse.

Des militants

Source
 : http://cnt-ait.info