Egalité et Réconciliation
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Ce n’est qu’un début…

Rarement une décision de la Fed aura suscité dans le monde entier un tel tollé des gouvernements, ainsi qu’autant de réactions favorables des marchés en sens opposé.

Canal habituel de réaction du gouvernement chinois vers l’étranger, l’éditorial du China Daily a commenté l’annonce du plan de 600 milliards de dollars avec une sévérité inaccoutumée : « Il est irresponsable pour le pays ayant la principale monnaie de réserve mondiale de maintenir la devise notre argent, votre problème » , poursuivant « …il est injuste pour une économie riche de diluer ses dettes aux dépens de la stabilité de l’économie mondiale et de son système financier ».

Alors que nous sommes à une semaine de l’ouverture du G20 de Séoul, qui promet d’être animé, Cui Tiankai, vice-ministre des Affaires étrangères et négociateur en chef de la préparation de celui-ci a déclaré que « les Etats-Unis nous doivent une explication ». Sous entendu : avant que le G20 ne commence.

Guido Mantega, ministre des finances Brésilien a remarqué que si « tout le monde souhaite le rétablissement de l’économie américaine, ce n’est pas une bonne manière que de jeter des dollars d’un hélicoptère », faisant allusion au surnom du président de la Fed : Helicopter Ben. Le ministre des finances thaïlandais, Korn Chatikavanij, annonçait qu’il était en étroites discussions avec les autres banques centrales de la région afin de « prévenir une spéculation excessive. » De nouvelles mesures de contrôle des capitaux sont désormais attendus en Asie.

Ministre allemand des Finances de la seconde puissance exportatrice mondiale, l’Allemagne, Wolfgang Schäuble a de son côté déclaré : « Je ne crois pas que les Américains vont résoudre leurs problèmes de cette manière, ils vont poser des problèmes supplémentaires au monde ». En termes plus contournés, Christine Lagarde a déploré que « l’euro porte le poids de cette mesure ».

La guerre des monnaies a été comme prévu relancée. Les tentatives de Tim Geithner d’engager un processus négocié et ordonné de réduction des déséquilibres commerciaux ont fort peu de chance de progresser dans le contexte crée par l’annonce à contre-temps de la Fed. Mais celle-ci avait-elle les moyens de différer ?

Enfin, se singularisant d’une manière particulièrement incongrue, prisonnier d’un personnage qu’il cultive mais qu’il aura des difficultés à tenir jusqu’à la fin de son mandat, Jean-Claude Trichet a affirmé contre vents et marées ne pas avoir « d’indication qui pourrait me faire changer d’opinion sur le fait que la Fed et le gouvernement américain ne suivent pas une stratégie du dollar faible »…

Si l’on se tourne vers les marchés, qui ne l’entendent pas ainsi, un sentiment d’euphorie est partout rencontré, en raison des bonnes affaires qui sont attendues. Pétrole, Or, actions : tout monte allègrement.

En attendant que le même phénomène touche d’autres secteurs des matières premières, le pétrole a poursuivi son envolée de ces derniers jours. La poursuite de la dépréciation du dollar rendant plus attractifs pour les investisseurs utilisant d’autres devises les achats de pétrole, qui sont libellés en dollars. Le baril à 90 dollars devrait être atteint d’ici à la fin de l’année.

D’une manière générale, on s’attend à ce que la spéculation touche les produits alimentaires, se glissant discrètement dans le sillage de variations des cours dues à des tensions momentanées pour les accentuer fortement. Totalement décorrélés des fondamentaux de l’offre et de la demande qui n’expliquent plus rien.

Dans un mouvement d’ensemble, de Wall Street à Tokyo et de Francfort et Paris à Shanghai, les bourses ont sans tardé salué les prochaines émissions des centaines de milliards de dollars. Les investisseurs engageant leurs fonds sans même les attendre. La bourse de Londres a ainsi retrouvé son niveau d’avant l’effondrement de Lehman Brothers. Cela a été aussi le cas des principaux indices de la bourse de New York, le Nasdaq et le Dow Jones.

Les valeurs liées aux matières premières ont été en vedette. Le secteur des métaux précieux n’a pas été en reste. L’once d’or a pour la première fois franchi le seuil de 1.390 dollars. Sur le plan monétaire, si l’euro continuait de grimper par rapport au dollar, atteignant son cours le plus élevé depuis dix mois, ce n’était pas le cas du yen, dont la hausse du cours avait largement anticipé les événements.

Les banques centrales, toutes réunies dans la foulée de la Fed au cas où, se sont contentées de maintenir dans l’immédiat leur dispositif et, dans le cas des Japonais et des Britanniques, de se préparer à suivre celle-ci en s’engageant à leur tour dans des programmes d’émission monétaire. La Fed aura donné le coup d’envoi de mesures qui, mêmes mesurées, en appelleront d’autres de même nature.

Enfin, le marché obligataire à moyen terme – le secteur où il a été annoncé que la Fed allait engager des acquisitions – en a tiré de premières conséquences : le rendement du bon du Trésor à 10 ans a chuté à 2,484% contre 2,619% mercredi soir. C’est encore trop timide, mais cela indique la tendance.

Tous les effets attendus du démarrage de la planche à billet américaine sont donc sans surprise excessive au rendez-vous. En attendant qu’elles ne s’amplifient.

Au chapitre des réactions sur ses effets positifs, il n’a pu être enregistré jusqu’alors que la déclaration de Paul Volcker, conseiller de Barack Obama et ancien président de la Fed : « Je ne pense pas que ce soutien à la croissance sera très étendu ». Ainsi que celle de Caroline Atkinson, porte-parole du FMI, qui a estimé qu’il « pourrait être modeste ». C’est maigre.

Jamais en retard d’une occasion d’illustrer son excellence présumée dans le domaine de l’analyse des marchés, Goldman Sachs vient pour sa part de prédire qu’après QE 2, QE 3 devra être lancé. Entendez : que la Fed devra s’engager au-delà, en accentuant son programme d’émission monétaire. Une option qu’elle n’a pas écarté formellement, en expliquant qu’elle allait scruter la réaction de l’économie au fur et à mesure de ses achats mensuels de bons du Trésor.

Dans un éditorial particulièrement critique, le Financial Times concluait son analyse des mesures de la Fed en craignant qu’elles ne soient pas assez « radicales ». Evoquant la nécessité d’adopter des objectifs d’inflation plus élevés, une option considérée comme trop « risqué » après avoir été évaluée. Selon le FT, la Fed pourrait être obligée d’y revenir prochainement.

Une phrase sans appel émerge de l’article : « Les Etats-Unis sont embourbés dans la mère de toutes les trappes à liquidité »…