Egalité et Réconciliation
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Comment l’empire du Milieu fait les yeux doux à la belle Hellène

La Chine a commencé son shopping en Europe. En plein sommet Europe-Asie. Priorité à la Grèce dans laquelle l’Empire du Milieu entend bien renforcer ses positions, dans la plupart des secteurs de l’économie. Avant de voir plus loin. Une stratégie d’infiltration par le maillon faible du continent déjà éprouvée en Afrique.

Après l’Afrique, c’est désormais à la Grèce que la Chine a dévoilé ses charmes tout en yuans sonnants et trébuchants. Pas farouche, en ces temps difficiles, la belle Hellène a immédiatement succombé. L’empire du Milieu a largement éprouvé ses méthodes en Afrique, investissant le continent par ses pays les plus affaiblis, prioritairement des domaines abandonnés par les anciennes puissances coloniales, en particulier le secteur des infra-structures et des matières premières. Les échanges entre l’Afrique et la Chine ont été multipliés par dix depuis 2000, dépassant allègrement les 100 milliards de dollars. Face à la montée des mécontentements sociaux constatés (cf. les émeutes de Yaoundé en février 2008 où des magasins chinois avaient été pillés et des habitants agressés ou bien ceux survenus à Alger en janvier 2009) et surtout soucieux de ne pas mettre tous leurs œufs dans le même panier, les dirigeants chinois sont en quête de nouveaux investissements stratégiques.

Entamant ce week-end une tournée européenne, ce n’est pas par hasard si le premier Ministre Chinois, Wen Jiabao, bien décidé à renforcer ses positions dans le pays, a choisi de poser son premier pied sur le sol grec. Dans ses bagages une délégation de onze entreprises privées et de deux entreprises d’état. En quelques mois, Pékin est devenu le troisième partenaire commercial de la Grèce.

La ruée vers les ports

C’est par ses ports d’attache que la Chine a investi la Grèce. Correspondant de Libération à Bruxelles, Jean Quatremer a fait l’inventaire des investissements chinois : « En novembre 2008, Cosco Pacific, la filiale de gestion portuaire du groupe chinois Cosco, a décroché la concession pour 35 ans de deux terminaux de conteneurs du port d’Athènes, Le Pirée, et l’autorisation d’en construire un troisième, pour un investissement total de 4,35 milliards d’euros. L’appétit de la Chine, qui veut faire de la Grèce sa porte d’entrée en Europe du Sud-est, ne s’arrête pas là : elle veut investir dans tous les ports grecs, mais aussi dans la chaine de transport, que ce soit les chemins de fer (OSE), dont la privatisation à hauteur de 49 % est en cours, ou le transport routier, dont la libéralisation est annoncée, afin d’assurer la circulation de leurs marchandises. La Chine a aussi mis un pied dans la téléphonie grecque, la télévision, la construction (avec un projet d’un complexe hôtelier au Pirée qui en est dramatiquement dépourvu) et même… l’exportation d’huile d’olive. »

Plus récemment encore dans le bâtiment, le tourisme, l’importation de matières grecques comme le marbre, ou l’échange de technologies dans les télécoms. Et le « meilleur » reste à venir. Selon le Wall Street Journal, Cosco entend également se porter acquéreur d’un nouvel aéroport en Crète et d’installations portuaires en voie de privatisation à Thessalonique. Surnommé « Capitaine Wei » par la presse grecque lors de ses visites dans le pays, le président de Cosco envisagerait même de déplacer son siège européen de Hambourg à Athènes. Tout un symbole.

Commentant les chiffres des investissements chinois en Grèce, le très sérieux journal Foreign Policy en venait même à se demander, non sans une certaine ironie : « Pourquoi les Chinois achètent-ils tant de ports grecs ? ». D’un point de vue purement pratique, les énormes bateaux chinois ne sont pas toujours adaptés aux ports européens et Pékin entend créer un « Hub » au Pirée pour redistribuer ses marchandises en Europe.

La Chine fait le boulot que l’UE n’a pas su faire

Une autre partie de la réponse se trouve actuellement à Bruxelles où se tenait les 4 et 5 octobre un sommet Asie-Europe pour déterminer les futurs rapports monétaires entre l’euro et le yuan. La question a dominé les débats laissant même affleurer quelques tensions : les Occidentaux soupçonnent, en effet, la Chine, de maintenir artificiellement leurs devises sous-évaluées. A court terme, l’apport de capitaux peut être appréciée pour la stabilité financière de la Grèce et donc de la zone euro. Mais outre que la garantie chinoise n’est pas, on l’a vu, altruiste, elle trahit en même temps le vide politique du projet européen : « l’UE est en train de louper une nouvelle phase de son intégration, celle de l’intégration par l’investissement » estime d’ailleurs François Godement, professeur à Sciences-Po.

Papandreou exulte, on le comprend, accueillant à bras ouverts ses riches amis. Le quotidien grec de référence Kathimerini, marqué à droite et propriété d’un armateur grec, est plus circonspect, craignant l’accueil des syndicats de dockers : « Les Chinois ont déjà prouvé, avec leur énorme investissement dans un terminal de fret au port du Pirée, que leur intérêt pour la Grèce est à la fois durable et d’une importance stratégique pour le pays. Mais, l’Autorité portuaire du Pirée est une partie de l’appareil d’Etat, qui a fabriqué ses propres lois. Il n’y a qu’une seule solution à un problème comme celui-ci : le Premier ministre Georges Papandréou doit expliquer aux membres les plus réactionnaires du syndicat qu’il ne peut plus y avoir de jeux quand il s’agit de plans d’investissements chinois en Grèce ». Ambiance.

La Grèce, l’Europe du Sud et après...

Hâter la comparaison avec l’Afrique serait hasardeux. Quand les plus angéliques voient là une « aide désintéressée », les esprits avisés des marchés financiers filent la méthode guerrière, appelant Sun Tzu, ridiculement intronisé gourou du management moderne, à la rescousse de leur démonstration pour dénoncer déjà une « annexion » sournoise du pays. Plus simplement. La Chine fait ce que les Européens ont été incapables de faire. Le projet de construction d’un port à containers sur la côte sud de la Crète a bien provoqué des protestations des habitants, qui craignent « la perte d’un mode de vie », et des syndicats ont accusé le gouvernement socialiste de vendre une Grèce affaiblie à la Chine. De là à envisager un rejet massif des populations… Une éventualité que rejette l’exécutif : « Nous ne vendons pas le pays, nous lui donnons de la puissance car nous parlons ici d’investissements qui sont et seront productifs en Grèce ».

D’ici à 2015, les échanges commerciaux pourraient se monter à 6 milliards d’euros. « Avec ses réserves de change, a déclaré Wen Jiabao, la Chine a déjà acheté et a l’intention d’acheter des nouveaux bons du trésor grecs ». L’opération pourrait être répétée en faveur de l’Espagne, du Portugal ou de l’Irlande. Avec l’Islande en ligne de mire. La Chine s’implante également dans les pays d’Europe centrale et orientale, en Hongrie et en Pologne notamment. Des pays baltes aux Balkans, en passant par l’Ukraine, la Biélorussie ou la Moldavie, des sociétés chinoises investissent dans l’immobilier, l’industrie électronique ou l’industrie chimique. S’affirmant comme investisseur providentiel, la Chine place ses pions en Europe. En attendant que les Grecs, et les autres Européens, découvrent que les banques chinoises détiennent, comme les banques occidentales, des dizaines milliards de créances pourries. Le mirifique scénario du renflouement chinois de l’Europe pourrait alors s’effondrer comme un vulgaire paquet de subprimes.