Egalité et Réconciliation
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Diplomatie et armée

De la nécessaire cohérence entre objectifs diplomatiques et capacités militaires

Est-il encore possible en 2011 de gagner une guerre ? Et d’ailleurs qu’appelle-t-on guerre ? Quelles sont les conditions nécessaires pour ce faire ? et suffisantes… La cohérence entre objectifs diplomatiques et capacités militaires en constitue-t-elle une ?

Nous nous proposons de reformuler le sujet comme suit : de la nécessaire cohérence entre politique de défense et politique étrangère en limitant le champ de l’étude au seul cas de la France, posant pour base qu’il n’existe pas de nation ni de défense ni d’armée européennes bien que ces concepts fassent depuis plusieurs décennies l’objet de débats permanents.

Pour ce qui est de la guerre, nous prendrons ce mot dans une acception englobant outre les grandes actions militaires dans les trois dimensions, celles ayant trait à tous les domaines permettant de porter atteinte à la capacité combattive de la nation. Dans le même temps nous écarterons de cette conception les habituelles opérations extérieures auxquelles la France participe depuis 20 ans sous son drapeau et plus souvent sous un autre.

Nous tenterons en conclusion une évaluation de la situation où se trouve notre nation en 2011.

Politique étrangère et politique de défense

Nous posons en axiome que la politique de défense d’une nation constitue un sous-ensemble de celui plus vaste de la politique étrangère ; ces politiques ne devraient pas ressortir de l’appartenance à la droite, au centre ou à la gauche de ceux qui gouvernent mais être celle de la France, car elles ont en commun de devoir s’inscrire dans le long terme et de n’avoir pour seul objet que le préservation et la promotion des intérêts de notre nation, en premier lieu sa sécurité et sa souveraineté, admettant le principe gaullien sous-jacent qu’une nation n’a pas d’amis, elle n’a que des intérêts.

Pourquoi le long terme ? Pourquoi pas d’amis ? Tout simplement pour éviter de reproduire les erreurs passées ou corriger les dérives présentes !

Quand l’incohérence prend le pas…

En 1918 la France et ses alliés ont gagné la guerre, mais à quel prix ! Ont-ils pour autant gagné la paix alors que les traités de Versailles et de Trianon portent en eux les germes des conflits à venir ? En 1924, c’est l’euphorie du traité de Locarno co-signé, parmi d’autres, par la France, l’Italie et l’Allemagne, la certitude que la grande guerre est bien « la der des ders » et que la SDN voulue par le Président Wilson allait être le lieu de règlement de tous les conflits, tandis que la France signe des accords d’assistance mutuelle avec la Tchécoslovaquie et la Pologne ressuscitées lors de la disparition des empires de l’Est.

Avec une Armée considérée comme la première au monde, la France se dote alors d’une politique de défense en contradiction avec ses engagements à l’est, axée sur la défensive, complétant la protection naturelle constituée par les Pyrénées, les Alpes, le Rhin et 6000km de côtes, par quelques centaines de kilomètres d’ouvrages militaires, la ligne Maginot du nom du ministre de la guerre qui l’a promue, toutefois interrompue le long de la frontière belge…pour ne pas blesser ce pays ami et neutre de surcroît.

Face à une Allemagne en mal de produire du beurre mais disposant de canons, la suite est connue. Après avoir laissé le champ libre à Hitler et à Mussolini pour aider à la mise en place d’un régime dictatorial en Espagne, après la réoccupation de la Rhénanie et l’invasion de la Tchécoslovaquie par l’armée allemande sans réaction de la France, l’alliance de revers avec l’URSS fit défaut ; après neuf mois d’une drôle de guerre immobile, la Wehrmacht balaya nos défenses. Quels pays avaient donc été les amis de la France à part la Grand Bretagne qui avait eu à ce stade un intérêt commun au nôtre à combattre le troisième Reich ?

Plus de cohérence…

A contrario, la quatrième République, tout en étant aux prises à des guerres coloniales, fut plus cohérente. Membre de l’OTAN, la France mit clairement ses forces sous la coupe du commandement intégré pour faire face à la menace principale, celle des armées du pacte de Varsovie. A l’abri du parapluie dissuasif des forces nucléaires stratégiques américaines, les armées françaises stationnées en Allemagne participaient au dispositif de combat et son Armée de l’Air mettait même en œuvre sous contrôle américain des armes atomiques. Le SHAPE était installé à Fontainebleau et des bases aériennes américaines et canadiennes dans l’est, le nord et jusqu’au centre de la France. La sécurité et, pour une large part, les intérêts des Français furent de cette façon assurés jusqu’en 1958 au prix toutefois d’une allégeance aux Etats Unis quotidiennement présentés comme les amis et les libérateurs de la France.

Engagée mais seule dans la guerre d’Indochine, elle participe à celle de Corée ; dans le cadre des combats contre la rébellion algérienne soutenue par la communauté arabe du Caire jusqu’à Rabat, lorsque la France alliée à la Grande Bretagne tente de jouer la carte militaire contre l’Egypte, elle se heurte rapidement au veto de Washington pour cette fois d’accord avec Moscou. Notre nation découvre alors les limites de ses amitiés et de sa souveraineté. Le discours prononcé à Chicago en 1956 ou 57 par le sénateur et futur Président J.F.Kennedy sur la politique de la France en Algérie, territoire aux ressources pétrolières nouvellement exploitées, fut une autre indication des limites de l’amitié franco-américaine.

Au bilan, La France avait perdu une guerre de 7ans en Extrême Orient, conduite sans le soutien populaire, combattue de l’intérieur par un parti Communiste fort de 25 % de l’électorat, sans le soutien non plus de nos alliés et « amis ». En 1958 elle conduisait toujours seule ce qui ressemblait de plus en plus à une guerre d’indépendance avec la réprobation quasi générale de l’ONU et un soutien loin s’en faut d’être général de la nation pourtant mobilisée ; mais sur le front de la guerre froide, elle participait avec ses alliés à une résistance dissuasive face à la menace soviétique.

Encore plus de cohérence…

Avec le retour du général De Gaulle, la France modifia de façon harmonieuse l’ensemble de ses deux politiques, les fondant sur une autonomie génératrice d’une souveraineté reconquise. La politique de Défense, centrée sur un arsenal nucléaire de dissuasion du faible au fort avec en concomitance la sortie des forces armées du commandement intégré de l’OTAN, allait servir une politique étrangère ambitieuse ouvrant notre nation sur le monde en la dégageant de la rivalité paralysante de l’antagonisme Est – Ouest et de l’engagement systématique auprès d’Israël. Ouverture sur les pays non-alignés, reconnaissance de la Chine de Pékin, indépendance des colonies et de l’Algérie, renaissance d’une politique Arabe, la France apparaît aux yeux du monde avec ses 60 millions d’habitants comme une référence respectée, ses intérêt servis, sa sécurité aussi assurée que jamais, au prix toutefois du départ d’Algérie d’un million de nos compatriotes et d’une guerre de huit ans militairement gagnée mais politiquement perdue. La France a des alliés mais ne compte pas sur ses amis et n’a pas d’ennemis ouvertement déclarés sauf épisodiquement ceux qui, comme la Libye, cherchent noise à l’un ou l’autre des pays auxquels la lie un traité de coopération en matière de défense.

La France ne reconnaît que des Etats mais pas le droit d’ingérence humanitaire et elle n’hésite pas lorsqu’elle l’estime nécessaire à donner son opinion à propos des actes de guerre de ceux de ses alliés dont elle ne partage pas les buts, les Etats Unis au Viet Nam ou Israël en lutte avec ses voisins.

Notre stratégie de dissuasion nucléaire est efficacement complétée par une stratégie dite d’action indirecte consistant à placer préventivement des unités des trois armées dans les zones sensibles et dans les DOM/TOM : c’est la politique du seau d’eau pour arrêter le feu avant qu’il ne se transforme en incendie.

Ayant ainsi établi par ces trois exemples de notre histoire récente la nécessaire cohérence entre Défense et Diplomatie c’est à dire entre capacités militaires et objectifs diplomatiques, nous en venons à répondre à la question de savoir si la France de 2011 a la capacité de vaincre dans une guerre qu’elle aurait à affronter.

Situation présente

Quelle est la situation de la France ? Quelle a été son évolution depuis 1974 ? Quelle politique ont suivie les quatre chefs d’Etats qu’elle a connus ?

De la politique étrangère, on peut dire qu’elle est axée sur la construction européenne et le renforcement du pilier franco-allemand avec toujours plus de pouvoirs dévolus aux organismes européens y compris les pouvoirs régaliens de battre monnaie, de rendre la Justice et de légiférer. Dans le même temps s’est effectué le désengagement progressif de notre présence dans les pays dits « du champ », autrement dit des pays africains issus de nos anciennes colonies. A une politique arabe s’est substituée une politique de suivisme de celle que conduit Washington au Proche Orient allant en 1991 jusqu’à combattre par les armes l’Irak diabolisé puis participer en plein cœur de l’Europe à la guerre de dépeçage de la Yougoslavie, reniant ainsi une amitié séculaire avec le peuple serbe pour la plus grande satisfaction d’une Allemagne réunifiée et revancharde. En dépit de la fin de l’URSS et du pacte de Varsovie, la France souscrivit à la pérennisation du traité de l’Atlantique Nord lors des festivités de son cinquantenaire en 1999, organisées à Washington, et à son renforcement alors que tout candidat à l’entrée dans la communauté européenne commençait par adhérer à ce traité et à son organisation militaire.

En 2003 le refus français de participer à une nouvelle guerre contre l’Irak, constitue le dernier sursaut de la France pour affirmer sa pleine souveraineté et son indépendance comme membre permanent du conseil de sécurité. L’espoir qu’il a alors suscité dans le monde est de fait resté sans lendemain.

Quant à la politique de Défense, son évolution suit un parcours parallèle.

Dans le domaine nucléaire, la fermeture du centre d’essai du Pacifique décidée par le Président Mitterrand fut suivie, sous la présidence de Jacques Chirac, de la réduction de la permanence à la mer du nombre de SNLE et du retrait du service de la composante terrestre de la force de dissuasion, mise en œuvre par les Armées de Terre et de l’Air (missiles du plateau d’Albion) . Enfin avec le Président Sarkozy, il est fait état de projets de mise à disposition de la CE de la force nationale de dissuasion tandis qu’un traité de coopération a été signé avec la Grande Bretagne dans le domaine de la recherche qui lui est associé.

Pour ce qui concerne l’abandon de l’armée de conscription, le processus fut entamé en 1991 par une émission de télévision – Ciel ! mon mardi – faisant apparaître au yeux du public trois personnages en uniforme de « seconde classe » affublés d’une cagoule et présentés comme des « appelés » refusant d’aller combattre en Irak. Le conseil des ministres du lendemain entérinait la chose, seuls les appelés volontaires des trois armées étaient dès lors susceptibles de participer à des opérations, cette décision ayant pour effet immédiat de semer la confusion dans les unités. Elle devait aboutir sous la présidence de J.Chirac à la professionnalisation de l’ensemble des armées de la République, préalable à un retour dans les structures du commandement intégré de l’OTAN et à l’usage de l’anglais comme langue de travail, en contravention avec l’article 2 de la constitution, retour effectué sous le mandat du Président Sarkozy.

Toutes ces décisions touchant au cœur de ce qui constitue la sécurité et la souveraineté du peuple de France, furent prises avec une remarquable continuité par trois chefs d’Etat qui sont aussi chefs des Armées, sans débat public et sans référendum. Après l’échec de celui sur la constitution européenne, la ratification du traité de Lisbonne par le Congrès acheva d’inscrire la politique étrangère et de défense de notre pays dans un conglomérat européen lui même assujetti et englobé dans une communauté euro atlantique que James Baker, en juin 1991 à Berlin, destinait dans les 20 ans à venir à s’étendre de Vancouver à Vladivostok. L’OTAN en constitue à la fois le cadre politique et le bras armé des desseins belliqueux de Washington.

En février 1982, le gouvernement britannique se croyait en paix avec les états dictatoriaux sud-américains et négociait la vente de son porte-avions flambant neuf à l’Australie et de ses grands transports de débarquement à l’Argentine : deux mois plus tard le Royaume Uni entamait une guerre sans merci contre…l’Argentine.

Bien sûr en 2011 la France n’a pas d’ennemis déclarés à ses frontières. N’était-ce pas exactement ce que l’on croyait en 1924 à Locarno ? Bien sûr l’OTAN est une organisation pérenne . N’était-ce pas jusqu’en 1990 ce qui se disait du Pacte de Varsovie ? Les Etats Unis et la Grande Bretagne sont d’exemplaires démocraties. C’est ce qui ce qui pouvait se dire de l’Allemagne et de l’Espagne et de l’Italie au début des années 30. Mais ceux qui ont la responsabilité de voir au-delà de la prochaine échéance électorale, au-delà de l’horizon de l’actualité quotidienne doivent avoir conscience que si la science et les techniques progressent, il n’en va pas vraiment de même du genre humain, des peuples et de ceux qui les gouvernent, qu’une démocratie qui a dans son arsenal de lois les Patriot Act 1 et 2 n’est pas à l’abri de devenir un état totalitaire, qu’une montée de ce que l’on nomme l’extrême droite dans l’électorat de nos voisins d’outre-Rhin peut se transformer très vite en le rétablissement de ce que l’on a déjà connu. Avoir cette conscience, ce serait faire en sorte de compter avant tout sur nous-mêmes pour notre Défense et notre Diplomatie en considérant que ce sera trop tard pour ce faire quand les masques tomberont s’ils viennent à tomber. Ce serait somme toute ne pas confondre alliance et inféodation, intérêts communs d’un moment et intérêt national pérenne. Ce n’est à l’évidence pas le cas. C’est pourtant bien là la leçon à tirer de l’histoire récente et de la guerre des Malouines.

Professionnalisées, et féminisées aussi, dotées de matériels en trop faibles quantités et d’hommes en effectifs trop réduits au regard de l’emploi qui en est fait dans des opérations multiples et coûteuses dites du maintien de la paix à moins que ce ne soit dans des opérations de guerre contre le terrorisme ou pour la promotion de la Démocratie sacralisée, les armées de notre république sont peu à peu usées et coupées de la nation dont elles ne sont plus le creuset où, toutes classes et origines confondues, se retrouvait la jeunesse du pays dans un service national, occasion de déceler illettrisme et carences sanitaires mais aussi de découvrir quelques valeurs civiques et la signification du drapeau.

Tandis que la désindustrialisation du pays s’accélère, que le communautarisme s’établit par villes ou par régions, que l’immigration non contrôlée accélère le phénomène, c’est la notion même d’appartenance à une république une, indivisible et laïque qui est mise en péril et peut à court ou moyen terme ouvrir des brèches dans l’unité de la nation. Pour ceux dont l’objectif serait – ou bien est ? – la disparition de la plus ancienne des nations en Europe, c’est là une bonne occasion si l’opportunité apparaissait ou la nécessité se faisait sentir, de susciter des troubles et de les envenimer. Serait-il impensable de voir se produire ce qui s’est passé dans les Balkans et d’imaginer une Moldavie alsacienne, un Kosovo languedocien, une Bosnie provençale, une Macédoine bretonne ou une Croatie catalane ? Aurions-nous la capacité militaire et la force morale de contrer de tels évènements dans un pays dont plus de la moitié de l’électorat, ne se reconnaissant plus dans ses élites politiques, constitue le plus grand parti, celui des abstentionnistes ?

Pour conclure

En guise de conclusion, posons nous la question de savoir si tout cela n’est pas l’aboutissement d’une guerre de 68 ans que nous aurions perdue, touchant aux domaines de la culture et de la langue par medias interposés, des finances, de la monnaie, de l’industrie, de l’agriculture et de la recherche, guerre que conduisent les Etats Unis contre une nation qui ne cesse de les importuner dans leurs efforts d’établir une Europe fédérale modelée culturellement sur le modèle nord américain, celui d’une société imprégnée de l’idéologie du libéralisme et de l’individualisme. Une Europe vassalisée où règnerait la pax americana. En somme l’Europe de 2011 qui pourrait être améliorée en la remodelant selon de nouvelles régions déjà redessinées dans les officines de l’assemblée européenne.

Roosevelt n’avait–il pas organisé en 1944 un après-guerre pour une France dotée d’un gouverneur américain, une monnaie dont les billets étaient imprimés et quelques provinces de l’Est et du Nord détachées de l’hexagone pour constituer une entité séparée ?

Enfin, comme cela s’est déjà produit dans l’histoire de France, pour que notre pays retrouve sa capacité à gagner une guerre et à reprendre celle qu’il est en passe de perdre, il lui faudra au préalable connaître un sursaut qui ne pourra venir que des profondeurs de son peuple pour vouloir encore exister en propre, dans le respect de ses valeurs séculaires, de son art de vivre et de sa culture, ce qui commence par le respect de sa langue. Une France ayant retrouvé confiance en elle et en l’avenir saura alors reconstruire l’outil de sa défense et établir avec le reste du monde des relations plus en accord avec sa philosophie, loin de la vision binaire du Bien et du Mal de ceux qui au prétexte de lutte contre un terrorisme dont l’éradication passe à l’évidence par un traitement politique, portent la guerre aux quatre horizons de notre planète.

Nous terminerons par cette citation qui nous semble adaptée à la France d’aujourd’hui, extraite de « Grampus » d’Edouard Peisson.

« Toutes les joies, toutes les peines, toutes les excitations, tous les enthousiasmes, toutes les désillusions, toutes les déceptions, toutes les défaites mais aussi toutes les victoires t’ont façonné un nouveau visage. (…)Tu as le visage meurtri, couturé d’un Stjin qui sa vie durant s’est battu avec Grampus. »

« Qui a gagné ? »

« Tu n’as pas été vaincu puisque tu continues à te battre. »