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Ergenekon, stratégie de la tension à Ankara

L’affaire Ergenekon qui fait actuellement les choux gras de la presse turque s’est déroulée en deux temps : arrestation spectaculaire de 23 personnes, le 1er juillet dernier, puis inculpation de certaines d’entre elles (en particulier deux militaires de haut rang à la retraite, les généraux Sener Eruygur et Hursit Tolon), le 5 juillet.

Si l’on en croit les déclarations oficielles, la Turquie a, grâce à la vigilance d’un procureur et de son équipe, échappé de justesse à une tentative majeure de déstabilisation : le 7 juillet, des opérations devaient être déclenchées dans 5 provinces par les membres d’Ergenekon, des manifestations violentes organisées par l’Association pour la pensée d’Atatürk dans une quarantaine de villes devaient mettre le feu aux poudres et des appels à l’interdiction du parti islamiste modéré au pouvoir devaient être lancés au cours de celles-ci. Mais surtout, une équipe de tueurs commandée par Osman Gürbüz, figure connue des « milieux d’extrême droite », devait ouvrir le feu contre les manifestants et assassiner une série de personnalités à travers le pays, dans le but de semer le chaos. La presse alliée aurait ensuite pris le relais pour pousser l’opinion à soutenir un coup d’Etat.

Les médias européens ont parlé immédiatement de réseau Gladio (1), sans chercher à comprendre ou a expliquer ce qui se passait.

Or s’il y a bien eu une barbouzerie en l’affaire, elle n’est nullement celle que l’on veut nous faire croire.

Les meilleurs analystes des quotidiens turcs y ont vu un montage du parti au pouvoir qui était sous l’épée de Damoclès d’une dissolution par la Cour constitutionnelle afin de mettre la pression sur ses adversaires pro-laïques. L’affaire Ergenekon et les très larges arrestations auxquelles elle a donné lieu, serait un message adressé par le parti islamiste à l’establishment de la justice et de l’armée indiquant que le rapport de force a changé et lui montrant que même ses plus importants responsables peuvent physiquement en faire les frais. Cette menace pénale visant l’armée et l’establishment serait ainsi le contrepoids des menées du camp laïque contre le parti majoritaire et le gouvernement, et permettrait, de surcroît, à ce dernier de se poser comme le défenseur de la « démocratie » face à d’éventuels putschistes.

Mais ce n’est pas tout, on se rend compte en effet rapidement que les arrestations, si elles concernent bien des personnalités laïques ne visent pas n’importe lesquelles et que l’événement ne peut pas être considérée comme étant uniquement une affaire intérieure turque. Comme le relève le site Evrazia.org de notre camarade Alexandre Douguine, les arrestations récentes ont touché exclusivement des personnalités considérées comme pro-russes et hostiles tant aux USA qu’à l’Union européenne. Ce qui explique le profil très « rouge-brun » du groupe des inculpés où les nationaliste kémalistes côtoient les communistes du Parti des travailleurs de Dogu Perinçek (2).

Le réseau Gladio a donc bien été à l’œuvre à Ankara, mais il n’était pas celui qu’on nous désigne, et son but n’était pas de faire un coup d’État, mais tout au contraire d’y permettre le maintien d’une équipe favorable à l’OTAN et à l’UE.

Christian Bouchet

Source
 : http://www.voxnr.com


Notes :

1 – On utilise le terme générique de Réseau Gladio pour nommer les réseaux de stay behind organisés par les services secrets des USA pour organiser la résistance et l’espionnage sur les arrières des troupes soviétique en cas d’invasion. Sous la direction de la CIA, Gladio a mené des actions occultes pour influencer la politique de certains pays, notamment l’Italie, la Grèce et la Turquie.

2 – Ceux voulant découvrir l’influence des réseaux eurasistes en Turquie liront : Marlène Laruelle, Russo Rapprochement trough the Idea of Eurasia. Alexander Dugin’s Network in Turkey, The Jamestown foundation, april 2008.