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Etats-Unis : l’état de l’armée inquiète les militaires américains

Ce n’est pas un sondage ordinaire sur l’état de l’armée américaine : le parti pris de la revue Foreign Policy et de l’institut d’études Center for a New American Security a été de choisir un échantillon de 3 437 officiers supérieurs en activité et à la retraite, à partir du grade de commandant. Leurs réponses permettent de brosser un tableau plutôt sombre de l’état de préparation des forces armées des Etats-Unis, en raison de leur très forte mise à contribution en Irak et en Afghanistan.

Si, dans l’ensemble, la haute hiérarchie militaire continue de croire que le moral des soldats reste fort (64 % sont de cet avis), 60 % des officiers estiment qu’en raison des conflits irakien et afghan, l’armée américaine est plus faible aujourd’hui qu’elle ne l’était il y a cinq ans. 88 % d’entre eux jugent que ces deux théâtres d’opérations ont dangereusement sollicité les effectifs, et 80 % des officiers estiment qu’il serait "déraisonnable" d’attendre de l’armée, compte tenu de son "stress" actuel, qu’elle se lance dans une troisième guerre majeure avec des chances de succès.

Parmi les différentes armes, l’état de l’armée de terre et du corps des marines (en première ligne sur les fronts irakien et afghan) est jugé le plus préoccupant, alors que la Navy et l’armée de l’air apparaissent relativement épargnées. Sur une échelle de 1 à 10, l’armée de terre n’atteint pas la moyenne s’agissant de sa capacité à être rapidement déployée sur le terrain. Les marines franchissent tout juste ce seuil, mais ils sont aisément dépassés par la Navy et l’armée de l’air.

Cette enquête de Foreign Policy a été menée alors qu’à la date du 2 mars, l’armée américaine comptait 3 973 morts au combat en Irak, et environ 25 000 blessés. Bien qu’elle ait été critiquée pour avoir mélangé officiers d’active et à la retraite, cette enquête est l’une des plus complètes de ce genre réalisées depuis plusieurs décennies. Elle donne de précieuses indications sur les jugements que porte la haute hiérarchie militaire sur les décideurs politiques.

Une large majorité d’officiers (66 %) pense que les hommes politiques américains sont plutôt mal ou très mal informés à propos de l’armée. Leur confiance dans le Congrès est très faible (2,7 sur une échelle de 1 à 10), alors que le chef de la Maison Blanche et le ministère de la défense obtiennent tout juste la moyenne (respectivement 5,5 et 5,6). Ils sont ainsi très critiques sur certaines décisions prises à propos de l’Irak, 77 % d’entre eux estimant que les responsables politiques ont fixé des objectifs irréalistes aux forces armées dans la période post-Saddam Hussein.

Le fait d’avoir démobilisé l’armée irakienne est jugé très négativement, de même que la décision d’abaisser le seuil des critères de recrutement exigés pour intégrer l’armée américaine. Dans les faits, il s’agit d’admettre des recrues ayant commis des délits graves, afin de compenser la crise du recrutement. En 2003, l’armée de terre avait accordé 4 644 de ces "dispenses morales", contre 12 057 en 2007. Pour relever le défi des effectifs, les officiers sont favorables à l’incorporation de jeunes d’un niveau scolaire inférieur et au renforcement des primes d’engagement. Ils sont 78 % à préconiser un allégement des conditions permettant aux immigrés de servir dans l’armée en échange de l’obtention de la citoyenneté américaine. 38 % souhaitent un retour de la conscription, et 22 % se disent d’accord pour que les gays et les lesbiennes puissent servir ouvertement.

Sans surprise, les officiers ne pensent pas que les tâches de reconstruction soient du ressort des militaires, et ils ont une opinion mitigée sur le rôle des sociétés privées en Irak. Ils ne sont que 4 % à estimer que les membres des sociétés de sécurité (comme Blackwater) doivent patrouiller dans les villages, et 23 % seulement à approuver le fait qu’ils assurent la sécurité dans la "zone verte" de la capitale. S’agissant de la torture, les opinions sont moins tranchées : 53 % estiment qu’elle n’est "jamais acceptable", alors que 44 % ne sont pas d’accord avec ce jugement. De même, alors que 46 % pensent que le "waterboarding" (simulation de noyade), relève de la torture, 42 % sont d’un avis contraire.

Laurent Zecchini

Source
 : Le Monde