Egalité et Réconciliation
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Faillite pour la FNAR

Basques, Corses ou Palestiniens, c’est trop souvent leur fin : le 28 mai, il est minuit et demi, explosion à Clichy, Frédéric Rabiller est victime de son propre produit. Frédéric aurait pu, comme beaucoup de jeunes et de moins jeunes, choisir la botanique plutôt que la chimie mais non, son jardin secret à lui n’était pas une plante illicite. Frédéric préférait le détonnant au stupéfiant, il avait choisi de fuir la réalité à sa manière…


Qui est Frédéric Rabiller ?

Frédéric était, peut-être et même sans doute à lui seul, la FNAR (Fraction nationaliste armée révolutionnaire), l’enfant incestueux du FN et de la FAR (la Fraction armée rouge d’Andreas Baader), le fameux « monoscule » bourreau de ces radars automatiques perçus comme des pompes à fric. Il l’a avoué à demi conscient aux pompiers qui le transportaient vers l’hôpital…

Son pronostic vital est « gravement engagé », traduction médicale de « si Dieu le veut ». Il aura en tous cas perdu les deux mains dans l’aventure. Alors qui est Frédéric Rabiller ? Un paramilitaire d’extrême droite à la Timothy Mc Veigh (auteur de l’attentat d’Oklahoma City) ? Un écumeur de squats anarcho-marxiste comme la bande à Rouillan (Action Directe) ?

Rien de tout ça juste un homme seul, seul dans sa vie, seul dans l’action. Un postier de pas trente ans, bosseur, courtois avec ses collègues. Bref un mec ordinaire : âge moyen, taille, situation, allure moyennes. Tout pareil, le même calibre : moyen, incolore, le gars lambda, votre voisin, le mien, vous ou moi.

Quand bien même, ça bouillonnait chez Frédéric, il était indigné mais pas organisé, juste révolté sans être syndiqué ou même politisé. Il voulait « tout péter » mais il y a tellement de Français qui ont la colère de la même eau, que ses collègues, ses seuls amis, n’y ont pas fait attention.

En bon fonctionnaire, il avait ses week-ends pour lui. Il prenait sa petite auto, sa carte où il avait pris soin de noter l’emplacement de ces foutus radars et surtout sa marmite à artifice. A l’heure où les nationales sont vides et les boîtes de nuit pleines, Frédéric capitaine de soirée d’un genre nouveau, fixait bien serré son engin infernal et l’abandonnait (avec en cadeau quelques traces ADN pour la police dite scientifique).

Dix machines à flasher du même type visées, deux échecs seulement : une minuterie déficiente et une autre repérée puis neutralisée, soit 80% de réussite, bon point pour l’artificier amateur. Le mécanisme est jugé simplissime par les spécialistes mais visiblement ça reste efficace…

Nous sommes loin du Brabant…

Dégager ces grands blocs tristes et vigilants de nos routes, on peut rêver mieux et plus sérieux mais on risque surtout de faire pire… Vous vous souvenez ? L’équipée sauvage de Florence Ray et Audry Maupin ? Le couple du carnage, proches de la CNT, anti-racistes militants qui avaient fini par mettre un pruneau dans le dos d’un taxi africain. Faîtes ce que je crie mais surtout pas ce que je commets ! Pour son attentat, franchement raciste pour le coup, Michel Lajoye s’était au moins contenté de rayer d’une bombinette le zinc d’un bar fermé.

Tout ça pour dire que nous sommes loin du Brabant et de ses tueurs, loin d’Andreas Baader, de Carlos ou de Max Frérot mais en pleine terreur amateur. A ce jeu dangereux, Fred le postier était sans doute le plus doué, assurément le moins salaud… En frappant la machine, en visant les symboles d’une fiscalité cachée sous la sécurité, Fred l’isolé a renoué avec des traditions bien de chez nous : nos canuts, nos révolutionnaires qui brisaient les fourches patibulaires. Antifiscales, nos jacqueries l’étaient la plupart du temps. Peut-être sans le savoir, Frédéric a les deux pieds dans notre Histoire, celle de la colère populaire… Limiter tout ça à un néo-poujadisme petit-bourgeois, c’est faire une grande injustice… Frédéric Rabiller, c’est un Raymond la Science paumé, avec des jeux vidéo mais sans sa bande à Bonnot…

C’est que ses revendications sentent le bon garçon. Moins confuses que les autorités n’ont voulu le dire (1), elles n’ont rien d’un salmigondis de droite et de gauche. On ne refera pas ici l’Histoire des idées, celle du nationalisme-révolutionnaire en particulier, puisqu’il semble s’en inspirer. Vous trouverez de quoi vous rassasier sur le site voxnr.com. Le contrôle des prix et des loyers n’est pas le monopole de la gauche, qui lui a généralement préféré la toujours lointaine « socialisation des moyens de productions ». De notre Révolution, on connaît la très libérale Loi le Chapelier, il faudrait aussi se remémorer la loi du maximum (des prix). La lutte contre l’immigration, qui n’est pas lutter contre les immigrés, n’avait rien jusqu’à une date très récente de spécifiquement droitier. Si la CGT de 1934 considérait que « le principe de solidarité ouvrière doit fléchir au profit des seuls nationaux ». Nous pensons nous que refuser les délocalisations comme l’importation de main d’œuvre, c’est au contraire du meilleur internationalisme. Notre postier maîtrisait tout ça. Il avait débrayé avec ses camarades de son centre de tri pour protester contre un cas de racisme. Derrière le politique, il y a l’humain, on devrait toujours s’en souvenir avant de réclamer l’expulsion de son voisin, ça Frédé l’a un peu oublié… Si l’immigration de masse n’est pas tolérable, chasser les enfants sans papiers dans les écoles n’est pas acceptable. C’est aussi ça l’honneur d’une Nation, la nôtre en particulier…

Il y avait du facho et du coco…

Impossible de passer sur la ritournelle indigne des pisse-copies dans le sillage des fouilles policières, cet inventaire morbide, cette archéologie de bistrot. On a retrouvé du facho, on a exhumé du coco chez Frédéric (2), le bricolage rouge-brun est vite monté. Qui peut sérieusement s’intéresser au dernier siècle de notre continent en négligeant 1917, en occultant 1933 ? Nos écrans eux-mêmes sont occupés par des publicités pour DVD guerriers ou vantant les mérites de panzers en plastique. En tous les cas, à vingt-neuf ans, il possédait des livres et pas qu’un. Avouons-le, pour l’époque, un trentenaire qui lit et pas du Marc Lévy, c’est louche… D’ailleurs Fred le lettré a utilisé dans sa revendication un joli mot : « vulnérant ». Ils ne sont pas nombreux, ceux de sa génération, la mienne, qui ont eu vent de ce mot… Il était aussi gros consommateur de jeux vidéo, là encore dans la tranche des célibataires de vingt-cinq à trente-cinq ans, il n’a rien d’un original… Bref un garçon normal, rien d’un marginal. Pour l’État, ses flics et ses journalistes, là est sans doute le plus inquiétant…

Salut à toi Frédéric !

Impossible de ne pas penser à un autre employé des postes, facteur à temps partiel et invité chez Drucker. Si Besancenot n’était pas devenu un bébé bobo, chouchou des plateaux, s’il n’avait pas été écouté, pas relayé, s’il n’avait pas même trouvé un parti où militer ? Serait-il passé à l’action directe, avec ses références et ses demandes à lui ? Frédéric pose le problème des idées ostracisées et méprisées, ces convictions frustrées qui débouchent sur la violence, pas celle d’une montée en puissance politique, mais la violence « impasse », la violence « faute de mieux »… Il les méprise probablement, mais Fred la victime n’est pas très différents des jeunes, plus jeunes, qui mettent le feu aux poubelles et aux voitures. Lui possède quelques références, mais de pas de bande. C’est la guérilla « petit-blanc » : plus isolée mais moins mal ciblée…

En fréquentant certains milieux, il aurait pu terminer contractor, ces mercenaires cachés d’une société militaire privée, cette plaie qui sous-traite le génocide irakien. Il aurait perdu ses jambes au lieu de ses bras. Autre dérive, Frédéric était terroriste à « l’anglo-saxonne », un combattant du dimanche au propre comme au figuré. Il agissait sans groupe, sans concertation. Comme ces individus lambda qui décident un beau jour de grimper en haut d’une tour équipés d’un fusil ou d’envoyer une lettre piégée à leur patron, leur voisin, leur ex-femme… C’est ce que les milieux néo-nazis, toujours très au fait de la misère personnelle, appelle un lonewolf. Ce « loup solitaire » constitue de fait plus une conséquence sociale et sociétale qu’un choix stratégique délibéré. C’est la version dure et perdue de l’individualisme libéral, de la société sans lien. Alors « messieurs les censeurs », avant de jeter l’anathème sur une idée, avant de prononcer la dissolution d’une organisation ou même de refuser une salle, pensez à Frédéric. Pensez à tous les Frédéric que vous allez engendrer. Certains pourraient ne pas se contenter de radars automatiques.

Salut à toi Frédéric, soldat perdu, perdu pour nous. Nous n’avons pu t’offrir mieux que ton impasse… Ta faute, c’est un peu la nôtre. Si nous passions plus de temps à la solidarité qu’à la chicotte, nous t’aurions donné d’autres débouchés. Que ton drame serve au moins de leçon, à tous ceux qui rêvent chez nous de guérilla. Pas parce qu’elle n’est pas respectable la guérilla mais parce qu’ici et maintenant, elle n’est pas pertinente. Pire, elle est nuisible…

Thomas Tribout

Source : http://www.voxnr.com