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Idéologie : Le renouveau de la médecine raciale

Le lancement aux Etats-Unis du premier médicament destiné exclusivement aux Noirs rouvre le débat sur l’opportunité de pratiquer une médecine différente pour chaque "race".

Le premier médicament destiné uniquement aux Noirs vient d’être breveté aux Etats-Unis (voir Courrier international n° 726, du 30 septembre 2004). Indiqué contre l’insuffisance cardiaque et baptisé BiDil, ce produit s’adresse à une population africaine-américaine qui, selon le magazine Science, présente dix fois plus de risque d’insuffisance hépatique que les Blancs, trois fois plus d’hypertrophie cardiaque, et deux fois plus de diabète. Des données susceptibles de justifier le bien-fondé d’une médecine fondée sur la race.

Sally Satel, psychiatre et professeur à l’université Yale, a d’ailleurs proclamé dans le New York Times Magazine : "Je fais de la médecine raciale", affirmant que prendre en cause la race du patient lui permet d’améliorer le diagnostic et le traitement. Ainsi, quand elle prescrit du Prozac à un Noir, elle commence avec de plus faibles doses parce que "les données cliniques et la recherche pharmacologique montrent que de nombreux Noirs métabolisent plus lentement les antidépresseurs que les Caucasiens ou les Asiatiques", peut-on lire dans le magazine EMBO Reports.

"Personne ne conteste que certaines maladies touchent plus particulièrement certains groupes ethniques", concède Science. Et, comme le déclare Catarina Kiefe, de l’université de l’Alabama, "la couleur de la peau transmet certaines informations utiles, comme un risque plus élevé d’anémie falciforme ou une plus grande probabilité de réponse aux hypertenseurs". Mais la scientifique poursuit : "Dans notre société, la couleur de la peau est aussi le véhicule de [nombreux] préjugés. […] Satel fait preuve d’une étonnante absence de compréhension de cette complexité."

Il y a des précédents, remarque le New York Times : "La notice d’utilisation du Cozaar, un médicament contre l’hypertension, explique que la diminution de la pression artérielle est ’plutôt moindre’ chez les Noirs et qu’il n’y a pas de preuve que le médicament réduise le risque d’infarctus et de décès […] chez les Noirs".

Science signale qu’un test en cours, sponsorisé par le laboratoire AstraZeneca, vise à étudier les effets d’un médicament anticholestérol (le Crestor) chez les Américains originaires d’Asie du Sud. Les Indiens (c’est d’eux qu’il s’agit) sont en effet beaucoup plus sensibles à un certain nombre de maladies cardio-vasculaires, en particulier celles liés au cholestérol.

Au pays de la discrimination positive, ces travaux ne sont pas nécessairement racistes. Les minorités concernées s’en réjouissent même. NitroMed, le lanoratoire qui produit le BiDil, a ainsi réussi à convaincre l’Association des cardiologues noirs de cosponsoriser l’étude, et, pour ne citer que lui, Prakash Deedwania, de l’université de Californie à San Francisco, se réjouit dans le New York Times du test d’AstraZeneca : ce sera la plus grande étude de ce genre jamais réalisée sur des Indiens, avec environ 800 sujets répartis dans 150 centres médicaux.

Mais, pour certains médecins, c’est aussi l’occasion de revenir sur la question de la race. George Gill, professeur d’anthropologie à l’université du Wyoming, pense que "les anthropologues médico-légaux [comme lui] soutiennent dans leur très grande majorité l’idée d’une réalité biologique des races humaines". Selon lui, "le déni de l’idée de race" n’est pas fondé sur la science mais sur des partis pris sociopolitiques.

Ce n’est pas l’avis de Craig Venter, qui a achevé le séquençage du génome humain : il affirme que ce séquençage – c’est-à-dire les données les plus récentes sur la génétique humaine – prouve qu’il n’existe pas de races humaines. Et Peter Bach, de l’Institut du cancer Sloan-Kettering de New York, d’ajouter : "Dans les cancers, et dans de nombreuses autres maladies, la biologie a toujours été utilisée pour expliquer les faibles résultats [de la médecine] chez les minorités", sous-entendant qu’il existe des facteurs sociaux qui auraient plutôt dû être mis à contribution.

Les préjugés sont sans doute bien difficiles à éliminer. Les entreprises pharmaceutiques ont également du mal à reculer devant la perspective d’un nouveau débouché pour leurs molécules. Mais le fonctionnement de la science elle-même contribue aussi à expliquer ce brusque intérêt pour cette médecine raciale. Comme l’explique David Goldstein, de l’University College de Londres, "la pharmacogénomique en est encore à sa petite enfance. La grande question est celle de la stratégie intermédiaire : comment utiliser les données généalogiques ?"

En d’autres termes, les chercheurs savent désormais qu’il existe des gènes prédisposant à certaines maladies ou à certains traitements. Ils savent que ces gènes sont répartis de façon différente parmi les populations. Telle mutation est plus fréquente autour du bassin méditerranéen, telle autre en Asie du Sud-Est. Mais on ne dispose pas encore de tests génétiques efficaces et surtout d’un coût raisonnable et leur utilisation pose par ailleurs de nombreux problèmes éthiques. Certains médecins se contentent donc d’approximations : telle personne d’origine indienne ou afro-américaine possède statistiquement plus de chance de posséder tel ou tel gène.

Même si ces approximations sont souvent grossières, elles ne sont pas toujours fausses, même s’il ne faut pas négliger les facteurs sociaux. Mais, surtout, cette pratique ne peut à elle seule légitimer le recours à un terme aussi chargé historiquement que celui de "race". Et, bien sûr, elle ne lui donne aucune justification scientifique.


Olivier Blond

Source : http://courrierinternational.com