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La confiscation du pouvoir politique

Selon la célèbre formule attribuée à Abraham Lincoln « la démocratie c’est le gouvernement du peuple par le peuple et pour le peuple ». Cette maxime pose une double exigence : le gouvernement doit être organiquement associé au peuple d’une part et il doit œuvrer dans le sens de l’intérêt général d’autre part.

Dans aucun pays capitaliste, il n’existe de démocratie au sens plein du terme. Le pouvoir est invariablement détenu et transmis au sein d’un groupe particulier. Toute une partie de la population se trouve exclue des appareils de pouvoir au bénéfice d’une classe privilégiée qui s’arroge un monopole de savoir, d’éducation, et de la sorte de direction politique et économique.

Il y a un transfert de la souveraineté de la majorité à une minorité qui défend ses intérêts spécifiques.

Dans l’idéal démocratique tel que perçu par Spinoza, l’individu transfert à la société « toute la puissance qui lui appartient de façon à ce qu’elle soit seule à avoir une souveraineté de commandement ». Cet Etat est démocratique en ce sens que chacun concède son pouvoir décisionnel non à un autre individu, ou à groupe déterminé, mais à la société dont il constitue une composante.

Le système représentatif, dans sa forme actuelle, favorise a contrario la confiscation du pouvoir par une classe qui assure sa reproduction en même temps que la domination du capital sur le travail. Pour Noam Chomsky, « la démocratie requiert une classe d’élite pour s’occuper de la prise de décisions et fabriquer l’assentiment de l’ensemble de la population envers des politiques qui sont supposées dépasser ce qu’elle est capable de développer et de décider par elle-même ».

Le suffrage universel ne représente pas l’acte citoyen par excellence mais sa parfaite négation ; dans l’urne, l’électeur se dessaisit de son pouvoir politique jusqu’à la prochaine échéance électorale. Qu’il vote ou qu’il s’abstienne, le système prétend avoir donné à chacun l’occasion d’exprimer sa volonté. Paradoxalement, le vote n’est pas le moment de l’irruption dans l’arène politique de la société entière mais celui de sa dépossession.

Ce qu’on nomme démocratie devrait être nommé en toute rigueur, pour reprendre l’analyse d’Alain Badiou, de capitalo-parlementarisme. Le capitalo-parlementarisme n’est pas un espace de conflictualité, entre mouvements hégémoniques et mouvements contre-hégémoniques, mais un lieu qui institue l’ordre bourgeois et gère l’existant. C’est certes un système multipartiste mais à caractère uniclassiste. La qualification de « démocratie » pour un tel système n’est qu’une mystification aliénante.

Les citoyens n’ont pas dans les faits la même faculté d’agir réellement en politique, ce que confirme la répartition sociale inique du parlement français. Désarmé matériellement culturellement, le prolétariat n’a pas la possibilité d’accéder aux leviers du pouvoir. Déjà Aristote était conscient de l’intérêt de maintenir le peuple à l’écart des affaires publiques : « Il est aussi dans l’intérêt d’un tyran de garder son peuple pauvre, pour qu’il ne puisse pas se protéger par les armes, et qu’il soit si occupé à ses tâches quotidiennes qu’il n’ait pas le temps pour la rébellion ».

Selon une étude récente publiée par l’observatoire des inégalités, employés et ouvriers représentent la moitié de la population active, mais à peine 6 % des députés. De plus, ces élus d’extraction sociale ouvrière ou employée n’exercent plus leur profession d’origine depuis de longues années. A l’inverse, les cadres et professions intellectuelles supérieures représentent 59 % de l’ensemble. Avec les professions libérales, ils forment les trois quarts des députés.

Les dynasties politiques sont l’expression la plus manifeste de ce phénomène de reproduction des élites. Les lignées politiques révèlent majestueusement les vices du système électoral, la compétence réelle ne constituant pas une exigence pour être élu. En pratique, le système intronise les plus habiles en communication-manipulation, pourvus des fonds nécessaires pour se faire valoir. A ce jeu, les héritiers, tout imprégnés de la culture du pouvoir, ont la faculté de compter sur les ressources et les relais sociaux de leurs parents.

Il y a des dynasties politiques aux Etats-Unis comme en Europe, en Afrique comme en Asie ; au niveau national comme au niveau local. Ce phénomène concerne autant le Gabon de Bongo, l’Inde de Gandhi, que la Belgique où les mandats politiques se lèguent de père en fils. Aux Etats-Unis, les aristocraties électives sont légion : Roosevelt, Kennedy, Bush, Clinton,… Le ferment de l’ambition politicienne est l’alliance entre les milieux politiques, économiques et financiers. Il y a en effet une corrélation étroite entre la puissance financière et le pouvoir politique, l’une alimentant l’autre.

L’institution parlementaire est la forme de gouvernement la plus aboutie pour assurer l’hégémonie de la bourgeoisie et priver le peuple de sa prétendue souveraineté. Karl Marx considérait l’Etat comme le résumé officiel de l’antagonisme de classes, comme un instrument d’oppression visant à assurer la domination d’une classe sociale sur une autre dans un mode de production donné. Le système électoral ne sert qu’à sélectionner parmi les membres de la classe dominante lesquels exerceront les fonctions dirigeantes. Dans tous les cas de figure et quelles que soient les résultats des élections, c’est la bourgeoisie en tant que classe qui triomphe.

On ne peut réduire la démocratie à un procédé et confondre ainsi moyen et fin. Pour réaliser la démocratie, il ne faut pas seulement que les décisions soient prises en accord avec la majorité mais qu’elles soient prises pour la majorité. La démocratie ne peut trouver son accomplissement que dans une société où les hommes, librement associés, autodéterminent leurs finalités et exercent activement leur souveraineté, sans s’en faire dépouiller par d’insidieux dispositifs politiques.

 






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5 Commentaires

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  • #1013
    Le 25 janvier 2011 à 10:44 par Étienne Chouard
    La confiscation du pouvoir politique

    Bonjour.

    PAS DE DÉMOCRATIE SANS TIRAGE AU SORT.

    Tant que les progressistes et autres résistants aux abus de pouvoir resteront attachés à l’ÉLECTION, les peuples resteront le jouet des oligarchies capables d’acheter les candidats.

    Aucune critique du phénomène oligachique (processus universel et tendance probablement éternelle) n’a la moindre chance d’aboutir une solution concrète, si elle fait l’impasse (si elle rate) LA procédure JURIDIQUE qui fait le LIEN entre puissance ÉCONOMIQUE et puissance POLITIQUE : l’élection.

    Toujours et partout, l’élection permet aux riches du moment d’acheter le pouvoir politique.

    Cherchez la cause des causes.
    Hippocrate (480 av. JC).

    Cordialement.

    Étienne Chouard

    http://etienne.chouard.free.fr/Euro...

    http://etienne.chouard.free.fr/Euro...

     

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  • #1016
    Le 25 janvier 2011 à 12:03 par Durand Benoit
    La confiscation du pouvoir politique

    Je me réjouis qu’ Étienne Chouard soit des lecteurs du site !

     

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  • #1018
    Le 25 janvier 2011 à 12:59 par amok
    La confiscation du pouvoir politique

    Ecoutez ce morceau de Rockin’squat (ex-Assassin) si vous voulez comprendre ce qui se passe dans les hautes sphères. Son rap dénonce toutes les formes d’asservissement du peuple et nous éclaire sur les vrais coupables de la destruction de toutes nos libertés et de nos nations.
    http://www.dailymotion.com/video/xd...

     

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  • #1064
    Le 26 janvier 2011 à 16:56 par Frederic MAUCHERAT
    La confiscation du pouvoir politique

    Etienne CHOUARD en conférence à SIX-FOURS les plages (Var) le 20 février 2011 au bar des sports PMU, rue de la république, de 14h à 18h.

    Thème : Création monétaire et nouvelle constituante

    Conférence organisée par "Culture Libre"

     

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  • #1068
    Le 26 janvier 2011 à 18:18 par anonyme
    La confiscation du pouvoir politique

    Le tirage au sort est un peu trop populiste. Il faut un certain talent pour gouverner, cela ne s’improvise pas. Il serait plus judicieux de tenter au préalable une démocratie plus directe en mélangeant à la fois élites et peuple (la partie peuple pouvant être tirée au sort), à hauteur d’un tiers de représentatitivé par les élites (car il n’y a pas besoin d’en avoir des quantités astronomiques) et de deux-tiers pour le peuple : de ce fait, l’élite étant obligée de composer avec la majorité "monsieur tout le monde" élue (bien qu’elle puisse être politiquement divisée), l’instruction, l’éducation et les débats sans concessions seront rendus obligatoires, et tout le système sera tiré par le haut, tournant au ridicule de république bananière n’importe quelle supposée démocratie parlementaire, fusse t-elle suisse.
    D’autre part, un roulement régulier des élus réduira l’intérêt de tentatives de corruption à long terme.

    Qu’a t-on à perdre ? Rien. En douzaines de millénaires de civilisations, nous avons tout à fait le droit d’essayer cette méthode. Nous verrons bien ce qu’il en resortira. De toute façon nous avons fait le tour du reste et ce n’est guère heureux.

     

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