Egalité et Réconciliation
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La crise sur les colonies israéliennes est aussi irréelle que le processus de paix

Alors que le vice-président américain Joe Biden était en visite dans la région pour relancer les négociations, le gouvernement israélien a annoncé la construction de nouvelles colonies. Depuis, on parle de crise dans les relations entre les Etats-Unis et Israël. La situation est-elle si grave ? Les choses vont-elles changer ? Pourquoi Netanyahu a-t-il fait son annonce à ce moment précis ?

Depuis l’annonce d’un nouveau programme de construction dans la Jérusalem-Est occupée au cours d’une visite du vice-président américain Joe Biden la semaine dernière, Israël est vertement fustigé, aussi bien par ses alliés que par ses détracteurs. Joe Biden s’était rendu à Jérusalem pour réaffirmer le soutien américain à Israël et pour lancer les "pourparlers de proximité" entre ce pays et l’Autorité palestinienne de Ramallah. Or, l’annonce du programme israélien l’a plongé, ainsi que l’administration américaine, dans un profond embarras ; certains hauts responsables l’ont qualifiée d’"insulte" et d’"affront ". On parle même de la pire crise qu’aient connue les relations israélo-américaines depuis des dizaines d’années.

Ceux que le silence américain sur les violations constantes du droit international commises par Israël révolte pourraient s’en réjouir, mais en fait, cela revient à pas grand chose.

Juste avant la visite de Joe Biden, un compatriote, George Mitchell, avait été envoyé dans la région pour organiser les pourparlers de proximité. Il semblait qu’avec le soutien diplomatique apporté par la Ligue arabe au chef de l’Autorité palestinienne, Mahmoud Abbas, pour qu’il participe aux pourparlers durant une période limitée de quatre mois, le dernier obstacle avait été écarté. Pourtant, c’est ce moment qu’Israël a choisi pour annoncer les nouvelles implantations, une information qui a eu l’effet d’une bombe et a réduit tous les efforts à néant.

Auparavant déjà, le round de négociations était fortement controversé. Les sceptiques faisaient remarquer que quelques mois supplémentaires de discussions indirectes ne mèneraient à rien : vingt ans de négociations directes –avec des gouvernements israéliens aux lignes ostensiblement moins dures– n’avaient eu pour effet que de nourrir de vains espoirs. D’autres considéraient les pourparlers comme une capitulation manifeste de la part des Etat-Unis et de la communauté internationale face à l’intransigeance israélienne, mais dont la forme permettait aux Américains de camoufler l’échec total de leur tentative d’amener Israël à accepter la condition d’un véritable gel des colonies pour la reprise des négociations directes. L’annonce de la construction de 1600 colonies a confirmé les pires craintes.

Il aurait été scandaleux pour les Palestiniens – même pour une autorité aussi faible et en aussi mauvaise posture que celle d’Abbas – de s’engager dans ces conditions. L’Autorité palestinienne a émis de fortes objections et posé comme condition à son retour à la table des négociations le retrait du plan israélien. Apparemment, on retournait à la case départ.

Mais il ne s’agit là que d’une partie de l’affaire. Si les pourparlers ont avorté, la Maison Blanche en porte au moins autant la responsabilité qu’Israël. Commençons par un rappel des événements. Le 8 mars, juste avant la visite de Joe Biden, Israël annonce la construction de 112 logements supplémentaires dans la colonie de Beitar Illit, près de Bethlehem –en violation du moratoire de 10 mois décrété par le gouvernement lui-même pour l’ensemble de la Cisjordanie, hormis ce qu’il considère comme Jérusalem. Le négociateur en chef de l’Autorité palestinienne, Saeb Erekat, publie alors une déclaration de routine, mais l’organisation ne menace aucunement de boycotter les négociations.

Qui plus est, les Etats-Unis semblent apporter leur soutien à la manœuvre israélienne ; le porte-parole du Département d’Etat, Philip Crowley, déclare à des reporters que la décision concernant Beitar Illit "ne viole pas le moratoire annoncé par les Israéliens", avant de concéder que "les deux parties doivent manier ces sujets avec une très grande précaution au moment où ont lieu les discussions parallèles".

On imagine aisément que Benyamin Netanyahu puisse avoir été surpris par la virulence de la réaction américaine, ainsi que par celle de l’UE, des Nations Unies et de hauts fonctionnaires internationaux – qui n’ont fait entendre leurs "vives" critiques qu’après avoir obtenu le feu vert des Etats-Unis. En effet, jusqu’ici, aucun d’entre eux ne s’était beaucoup soucié de l’expansion des colonies. Pourquoi ce cas les intéressait-il tant ? Pourquoi à ce moment ? Somme toute, Israël n’a jamais parlé de geler la construction d’implantations dans le "Grand Jérusalem" !

M. Netanyahu a beau nier qu’il était au courant du projet avant son annonce, il s’agissait manifestement d’un message d’Israël aux acteurs du processus de paix, afin de préciser certaines choses. Premièrement, que la reprise des négociations ne ralentirait pas la colonisation des territoires occupés. Deuxièmement, que la définition de Jérusalem donnée par Israël ne saurait faire l’objet d’aucune négociation. Troisièmement, que M. Netanyahu n’a pas besoin des négociations, qui ne lui servent qu’à occulter la colonisation ; il peut se permettre de risquer qu’elles périclitent puisque la réaction des Etats-Unis ne dépassera pas, dans le pire des cas, la remontrance verbale.

M. Netanyahu a tout de même reconnu qu’annoncer une implantation majeure alors que M. Biden était justement en visite afin de réitérer le soutien américain à Israël était une erreur stratégique. Mais une erreur de timing uniquement. Sur le fond, il persiste. En effet, les violentes critiques américaines qui ont plu tout le week-end ne l’ont pas empêché d’annoncer lundi [15 mars NDLR], que les chantiers continueraient à être menés à Jérusalem et dans le reste de la Cisjordanie comme ils l’ont été au cours des 43 dernières années. Depuis 1967, les colonies et leur réseau d’infrastructures qui abritent maintenant un demi million de Juifs israéliens ont accaparé plus de 46% de cette région.

Pendant toutes ces années de colonisation doublée d’agressions, de confiscations de territoires, de nettoyages ethniques et de déplacements de population, la communauté internationale n’a guère exprimé sa réprobation à l’encontre d’Israël, si ce n’est dans d’occasionnelles déclarations sans portée, avant de s’en retourner à ses occupations habituelles.

L’Organisation de libération palestinienne puis l’Autorité palestinienne ont passé des années à négocier avec Israël et à signer des accords pendant que la terre était colonisée ouvertement et le peuple palestinien persécuté en permanence et déraciné insidieusement. Les pays arabes aussi ont négocié puis signé des traités de paix, sans pour autant que l’occupation se modère ou que la construction de colonies ralentisse.

Après 43 ans d’occupation et de colonisation ininterrompues passés sans que la communauté internationale ne sorte de son mutisme meurtrier et lâche, pourquoi un tel ramdam à propos de 1600 nouveau logements ? Ce projet n’est ni le premier, ni le dernier. D’ailleurs, les Etats-Unis s’insurgent haut et fort, mais ils n’ont pas insisté pour qu’Israël annule le projet. Jamais ils n’oseraient. D’ici quelques jours, ils feront pression sur l’Autorité palestinienne pour qu’elle retourne à des négociations futiles, et les implantations se poursuivront.

Vous souvenez-vous de Jabal Abu Ghneim, la colline boisée non loin de Bethlehem, que M. Netanyahu avait décidé d’urbaniser dans les années 1990 en dépit des objections émises par les Etats-Unis et la communauté internationale américaines, qui prévenaient que cette entreprise "détruirait le processus de paix" ? Aujourd’hui, il ne reste pas un arbre ; on ne trouve que des immeubles à appartements israéliens. Quant au "processus de paix", cette mascarade, cette supercherie, il suit son cours comme si rien ne s’était passé. La crise actuellement mise en scène va elle aussi s’apaiser et la colonisation continuera implacablement sa progression.