Egalité et Réconciliation
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La fabrique de l’ennemi du peuple

Criminaliser les résistances à l’ordre marchand, les traquer et les capturer publiquement permet au gouvernement de se mettre en scène comme protecteur de la population tout en facilitant l’avancée du capital. Les montages médiatico-policiers menés depuis un an contre des militants au Pays basque doivent être analysés sur ce principe. Ils constituent un rouage important de l’appareil répressif qui accompagne la marchandisation du territoire.

Un montage médiatico-policier consiste à désigner un « ennemi du peuple » et à promouvoir « l’esprit de défense dans la population », il dérive d’une coopération approfondie entre des réseaux de journalistes, de magistrats, de policiers et de politiciens. Le but étant de rationaliser et de rentabiliser le quadrillage politique, d’inciter à participer à la surveillance, à sous-traiter la répression, à se dissocier des « suspects », à s’auto-contrôler. En pratique, cela revient à médiatiser sur la longue durée l’existence d’une « mouvance clandestine, cachée dans la population et risquant de passer à l’action », d’interpeller périodiquement des « présumés terroristes » puis d’organiser un « gros coup », une rafle collective dont la couverture médiatique aura été rigoureusement réglée.

La forme de ces montages a un lien avec la manière dont on veut contrôler, séparer le peuple et éparpiller ses forces. Les figures de « l’islamiste » et du « casseur » tentent de légitimer loccupation, la division et la rénovation (destruction) des quartiers populaires, elles doivent dissuader le reste de la population de soutenir les résistances qui s’y développent. Pour soumettre la radicalisation des luttes et empêcher la jonction des révoltes des quartiers et des universités, on a brandi la figure de « l’ultra-gauche ». L’« affaire de Tarnac » a notamment permis de ficher massivement les soutiens aux incarcérés.

Les rafles des jeunes militants basques de SEGI et de la gauche abertzale ont été réalisées publiquement mais peu médiatisées au niveau national, elles doivent pourtant être considérées sur le même plan : étouffer la campagne Euskal Herria ez da salgai (Le Pays Basque n’est pas à vendre), détourner l’attention pendant que le capital continue de s’approprier le territoire, effrayer et ficher la nouvelle génération de militants, empêcher l’association des luttes pour l’autonomie et des luttes pour l’égalité. Aujourd’hui comme hier, les machines de la violence d’État tentent de légitimer le souverain en divisant le cheptel, mais elles dysfonctionnent lorsque l’État n’est plus légitime, c’est-à-dire partout où s’organisent l’entraide et la solidarité entre opprimés.

Mathieu Rigouste

Docteur en socio-histoire et chercheur à Paris 8. Auteur de L’ennemi intérieur. La généalogie coloniale et militaire de l’ordre sécuritaire dans la France contemporaine, La Découverte, 2009.