Egalité et Réconciliation
https://www.egaliteetreconciliation.fr/
 

Le PPP surfe sur le martyr Benazir Bhutto, Pascal BONIFACE par Sylvain Lapoix

La " succession dynastique " de Benazir Bhutto à la tête du Parti du peuple pakistanais finit d’entacher l’image d’une femme élevée au rang d’icône. Pour Pascal Boniface, son mouvement espère que l’aura du martyr durera assez longtemps pour influer sur les élections.

La plupart des médias européens et américains pleurent la disparition d’une icône de la démocratie pakistanaise : Benazir Bhutto a-t-elle réellement tant apporté à son pays en termes de liberté politique ?

Son assassinat en dit beaucoup sur le Pakistan et un peu sur la façon dont les Occidentaux traitent l’actualité. Si on ne peut que très vivement déplorer son assassinat et les circonstances politiques dans lesquelles il a lieu, il n’est pas non plus nécessaire de tomber dans un manichéisme absolu et de parer Benazir Bhutto de toutes les vertus du simple fait des circonstances de sa mort. D’autant plus qu’elle était loin d’être au dessus de toute critique : elle a fait l’objet de sévères accusations de corruption et, sous son mandat, beaucoup d’observateurs ont constatés une véritable régression des libertés civiles. De nombreuses réserves avaient déjà été formulées au Pakistan. Quant à la transition " dynastique " à la tête du Parti populaire pakistanais (PPP), elle n’est pas digne des exigences de ce mouvement du point de vue des normes démocratiques.

La prise de fonction du fils et du mari de Benazir Bhutto, nommés respectivement président et vice-président du PPP, peut-elle avoir des conséquences sur l’influence de ce mouvement au Pakistan ?


L’effet recherché est probablement le report de la qualité de martyr sur le fils afin que, l’émotion aidant, la famille puisse capitaliser sur la mort de la présidente. Mais en plaçant à la tête du parti un jeune homme qui n’a d’expérience que son nom et un homme expérimenté mais paré d’une réputation sulfureuse, le parti s’éloigne un peu plus des normes démocratique. Si le PPP réclame le maintien de la date originale du scrutin présidentiel, c’est seulement parce qu’il s’inquiète de ce que " l’effet de martyr " ne puisse s’épuiser si elles étaient repoussées de deux ou trois mois. Dans la plupart des démocraties, notamment en France, l’usage veut qu’en cas d’indisposition d’un des candidats l’élection soit repoussée pour permettre aux autres partis de s’adapter à la nouvelle donne.

Condolezza Rice a enjoint le PPP de ne pas boycotter l’élection malgré le meurtre de sa présidente pour maintenir son influence dans le pays : les Etats-Unis sont-ils à ce point dépendant de ce parti au Pakistan ?


Ils ne disposent pas réellement d’alternative dans le pays : le PPP reste le principal parti pakistanais, les Américains font avec ce qui existe et c’est la seule alternative dont ils disposent face au régime militaire. Benazir Bhutto était d’ailleurs revenu dans son pays pour jouer cette carte et, même si l’effet est grossier, entretenir l’illusion d’une société civile libre. Le Pakistan est une zone clé pour les Etats-Unis et pas seulement en terme de stratégie régionale : pour assurer leur présence militaire sur place, ils n’auraient aucun mal à nouer des accords avec l’Inde. Outre la question de l’Afghanistan, le pays est en lui-même un enjeu majeur.

Le journaliste américain Lawrence Wright, récompensé par le prix Pullitzer 2007 pour son ouvrage La guerre cachée, déclarait au Journal du Dimanche que le Pakistan était la forêt que cachait l’arbre d’Al Qaeda dans le terrorisme international. Pensez-vous que ce soit le cas ?

Je ne dirais pas cela. A Madrid, les réseaux pakistanais n’étaient pas du tout impliqués, tandis qu’à Londres, les poseurs de bombe invoquaient avant tout la guerre en Irak. Mais entre sa position d’avant-poste de l’Afghanistan, le progrès des Talibans et la possession de l’arme atomique, le Pakistan est un Etat clé sur le plan stratégique où une dégradation supplémentaire de la situation pourrait avoir des conséquences terribles. Cette tension explique la réserve des gouvernements occidentaux vis-à-vis de Pervez Musharraf qui pourrait leur rétorquer qu’il est le seul rempart contre Al Qaeda. Il doit estimer que la partie n’est pas fini pour lui et qu’il a encore un avenir politique dans le pays ainsi que quelques cartes à jouer, y compris vis-à-vis des Etats-Unis.

Source : http://www.iris-france.org