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Les "Farces armées" afghanes, selon le magazine Time

L’hebdomadaire américain Time Magazine publie cette semaine un article à la fois très critique et très informé sur l’Armée nationale afghane (ANA). Un ton qui change de ce que l’on peut entendre auprès des sources militaires françaises, dont le discours rappelle celui des Soviétiques, tendance Commissaire politique pré-Gorbatchev, parlant de leurs camarades afghans...

Sous le titre Armed Farces, Time décrit une réalité plus prosaïque. Attention, c’est du brutal ! Former une armée nationale ? "C’est presque mission impossible. Neuf recrues sur dix ne savent pas lire le manuel d’emploi de leur fusil ou conduire une voiture, selon des formateurs de l’Otan. Le corps des officiers est fracturé par les rivalités : les vétérans de l’ère soviétique vs les anciens rebelles moudjahidines qu’ils combattaient dans les années 80, Tadjikds vs Ouzbeks, Hazaras ou Pachtounes.

Les commandants volent régulièrement les soldes de leurs hommes. Les soldats rackettent les civils aux check-points et revendent au bazar , et parfois aux Talibans, les bottes, couvertures et armes fournies par les Américains. Sans surprise, les Afghans s’enfuient quand ils voient l’armée arriver. Les recrues désertent après leur première permission, alors qu’un quart de ceux qui restent sont sous l’emprise du haschish ou de l’héroïne, selon une enquête interne de l’ANA. Un officier letton de l’Otan raconte que trois officiers afghans se sont tirés des balles dans le pied pour être évacués lorsqu’ils ont appris que leur bataillon allait être réengagé".

En avril 2010, les effectifs de l’ANA étaient de 119.400 hommes, alors que l’objectif de l’Alliance est d’atteindre 171.600 en octobre 2011. L’homme responsable de cette montée en puissance est le général américain William Caldwell. Pour y arriver, il a déjà été décidé de raccourcir la durée de formation de base des soldats afghans, qui passe de dix à huit semaines (contre quatorze pour un militaire américain). Les soldes des militaires afghans ont été augmentées : elles sont aujourd’hui de 165 dollars par mois, plus une prime de combat de 45 dollars. Un revenu attractif qui se traduit par une augmentation du recrutement et une baisse des désertions (entre 20 et 25%).

Le coût de la mise en place de cette ANA s’élève déjà à 26 milliards de dollars ! Et la somme augmente d’un milliard tous les mois... Sans compter le coût de l’entrainement, Time assure que le simple entretien (soldes, habillement, nourriture...) revient à six milliards de dollars par an. L’impôt sur le revenu rapporte à peine un milliard au gouvernement de Kaboul...

L’armée ne parvient pas à recruter chez les Pachtounes du sud : "3% de ses effectifs, se lamentent les officiers de l’Otan". Lors du reportage de Time, sur 125 hommes d’une compagnie, seuls deux étaient des Pachtounes du sud.

L’ambition de constituer une armée de 172.000 était-elle crédible ? Certains militaires alliés interrogés par Time en doutent. Le débat oppose deux écoles : privilégier la quantité ou la qualité ? Les bataillons commandos donnent satisfaction : ils se battent bien, sont mieux payés (300 dollars) et les désertions sont très rares (2%). De son côté, le théoricien de la contre-insurrection John Nagl estime qu’il faudrait un militaire ou policier pour cinquante habitants, si l’on veut obtenir un résultat sur le terrain. Soit près de 600.000 hommes !

Enfin, Time décrit les violentes querelles qui opposent le ministre de la Défense Abdul Rahim Wardak et le chef d’état-major de l’armée Bismillah Khan et que l’actuelle ouverture de Karzaï vers les insurgés pourrait renforcer.

Reprenant les propos anonymes de plusieurs responsables de la coaltion, l’hebdomadaire américain estime que l’armée afghane pourrait "s’effondrer comme un chateau de cartes".