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Les Palestiniens entre représentation politique et lutte de pouvoir entre factions

Surmonter les batailles internes et reconstruire une lutte nationale est une étape ardue mais nécessaire pour parvenir à une vraie unité palestinienne et accéder enfin à l’autodétermination.

La signature au mois d’avril d’un « accord de réconciliation » par les factions palestiniennes fut accueillie en Cisjordanie par un scepticisme généralisé. Au milieu de la méfiance grandissante du public à l’égard des partis politiques et un sentiment de découragement profond quant à la capacité des différents acteurs de parvenir à mettre fin au projet colonial d’Israël, peu de gens semblaient croire que l’accord donnerait lieu à un changement tangible. Les événements récents en Cisjordanie montrent que les dissensions internes sont aussi préjudiciables à la cause nationale palestinienne aujourd’hui qu’elles l’ont été avant la signature de l’accord de réconciliation à Gaza.

Le 11 novembre, pour commémorer la dixième année de la mort de Yasser Arafat, des milliers de palestiniens ont rempli la Moqata’a, ancien quartier général de Yasser Arafat et qui abrite sa tombe. L’enceinte a été remplie de drapeaux jaunes du Fatah. L’évènement ressemblait plus à une commémoration de la mort d’un leader du Fatah que celle d’un leader national ou d’ancien chef de guérilla. Les drapeaux des autres factions ont brillé par leur absence et les drapeaux nationaux étaient rares.

Cette scène contrastait nettement avec celle de la deuxième Intifada où le président Yasser Arafat, assiégé, était entouré des Palestiniens et des drapeaux de toutes les factions. Des figures comme Yasser Arafat et Cheikh Ahmed Yassine du Hamas étaient considérées au cours de leurs vies respectives comme des leaders nationaux, tandis qu’aujourd’hui, ils sont célébrés comme des icônes de factions.

Des évènements récents ont dressé des parallèles similaires. En septembre, une fête célébrant l’Eid Al-Adha a été organisée à Al-Bireh pour les enfants des prisonniers politiques et des martyres. Tout comme l’évènement commémoratif récent d’Abou Ammar [Yasser Arafat], la fête a eu lieu sous une couche épaisse de drapeaux jaunes comme si ces questions nationales étaient devenues aujourd’hui des pions dans le jeu des factions.

Depuis la signature de « l’accord de réconciliation », des membres du Hamas ont réapparu, affichant ouvertement leurs couleurs lors d’évènements publiques en Cisjordanie. Pendant le bombardement de Gaza par Israël cet été, les partisans du Hamas ont été visiblement actifs lors des manifestations mais restaient souvent dans leur groupe dans des manifestations plus grandes, et ce semble-t-il à cause des rumeurs selon lesquelles l’Autorité Palestinienne poursuivait les arrestations politiques.

Les récentes attaques contre la mosquée Al-Aqsa et contre les Palestiniens de Jérusalem ont fourni une nouvelle arène pour le développement cynique de la lutte de pouvoir entre factions dans les rues de Cisjordanie. Au début du mois de novembre, un appel populaire fut lancé depuis le camp de réfugiés de Qalandia pour une manifestation près du point de contrôle du même nom. Émanant de la communauté du camp elle-même, l’appel a été soutenu par toutes les organisations et les groupes politiques présents sur le camp. Plusieurs centaines, au-delà du clivage politique des factions, ont rejoint la manifestation. Israël a répondu par la violence.

Deux jours plus tard, les factions de l’OLP lancèrent officiellement un appel pour « un jour de colère » au point de contrôle de Qalandia. Contrairement à la manifestation populaire précédente qui avait réuni des centaines de participants, les quelques 50 journalistes venus pour couvrir l’évènement étaient plus nombreux que ceux qui avaient répondu à l’appel. Les gens avaient ainsi manifesté leur mécontentement en rejetant tout appel à l’action qui vient des factions. Cette même idée a renforcé la tendance récente de la résistance à Jérusalem, en grande partie menée par des communautés ou par des individus et non par des factions.

Une semaine après, c’est au tour du Hamas d’appeler à une manifestation de solidarité publique au centre de Ramallah. En organisant l’évènement au centre-ville, le Hamas voulait tenter de rehausser son image publique auprès des Palestiniens plutôt que de se confronter à l’occupant. Pas plus de 200 personnes ont répondu à l’appel lancé par le Hamas à travers le district de Ramallah.

Alors que le Fatah et le Hamas ont échoué récemment à mobiliser un soutien populaire significatif pour la résistance ou pour des actions de solidarité en Cisjordanie, d’autres factions sont restées invisibles. La gauche palestinienne reste en plein désarroi, prise dans un bourbier entre une rhétorique radicale occasionnelle et l’OLP, plus conservateur, ainsi que ses différentes ONG. Cela a poussé quelques activistes à former des « groupes » indépendants qui collaborent sur des actions spécifiques mais ils le font en dehors du cadre des factions habituelles qui sont perçues par certains comme une partie du problème et non la solution.

Des craintes d’éclatement de la violence sont apparues récemment dans la lutte pour le pouvoir au niveau de la rue. Suite à la déclaration de [l’ex-]président de L’AP, Mahmoud Abbas où celui-ci dénonçait « tout acte de violence » en faisant allusion aux évènements récents de Jérusalem, quelques partis de gauche et des représentants de la société civile palestinienne ont appelé à une manifestation contre Mahmoud Abbas, ses commentaires étant perçus comme une dénonciation de la résistance armée. Attendant la manifestation au centre de Ramallah, près de 200 jeunes partisans du Fatah se sont déployés dans les rues de Ramallah décidés à empêcher leurs adversaires politiques d’atteindre la moqata’a bien que la manifestation contre M. Abbas ait été annulée. Des activistes du Fatah ont insinué que la manifestation a été mise hors course pour éviter des affrontements potentiels entre partisans de différentes factions.

Pour certains, les étiquettes politiques semblent aujourd’hui avoir été adoptées dans la lutte pour l’identité. Il y a certainement beaucoup de personnes aujourd’hui en Cisjordanie qui se disent partisans du Fatah sans pour autant soutenir les politiques de longue date du parti ou son commandement bien établi. Parmi la nouvelle génération, ces « affiliations » peuvent simplement être héritées des aînés des familles. Pour un peuple à qui l’on a longtemps nié une identité nationale, à plus d’un niveau, l’identité est peut-être en train de se définir ailleurs. Pourtant même pour ceux qui portent encore ces étiquettes, il semble que beaucoup n’ont plus la conviction politique nécessaire pour tenir compte des appels à l’action venant des partis.

Les divisions à l’intérieur des peuples dominés ont toujours été bénéfiques à leurs oppresseurs. Dans le cas d’Israël, la stratégie de diviser pour mieux régner porte différents masques dont celui du processus d’Oslo, qui a été fondamental dans la consolidation du projet colonial israélien en Palestine et dans l’augmentation des divisions à la fois physiques et sociétales parmi les Palestiniens. Une direction palestinienne faible et achetée lors des accords d’Oslo continue à soutenir ces accords aujourd’hui au détriment d’une lutte révolutionnaire. Aussi bien le Fatah que le Hamas ont été aux commandes du Conseil législatif palestinien, engendré par les accords d’Oslo. Trouver un support populaire pour les Accords d’Oslo aujourd’hui dans la rue palestinienne c’est comme « chercher une aiguille dans une botte de foin ».

Le cadre des accords d’Oslo avait créé un système dans lequel la rhétorique des leaders de factions à propos du « peuple palestinien » a été remplacé par une lutte interne entre les factions qui rivalisent pour une influence politique étendue uniquement sur les frontières de 1967. Les Palestiniens dans les territoires occupés en 1948 ont été mis sur la touche par ce processus et les Palestiniens en exil ont été balayés d’un revers de la main.

Dans la pratique, la représentation « nationale » d’aujourd’hui limite son contexte à l’ « État palestinien » et non au « peuple palestinien » - réduisant instantanément une population fragmentée de 12 millions de personnes à moins de 5 millions. Le système - produit des accords d’Oslo - qui sert de cadre dans lequel les factions principales opèrent, ne permet pas le changement de cet état de fait. Il semble également que même dans les territoires occupés en 1967, un vrai soutien politique à l’égard des factions - le genre de soutien qui peut stimuler l’action plutôt que simplement encourager le port d’une étiquette politique- est en train de disparaître rapidement à mesure qu’augmente la frustration du public palestinien face à l’échange constant d’accusations et de lutte pour le pouvoir entre factions rivales.

Surmonter ces batailles internes débilitantes et reconstruire une lutte commune incluant tous les Palestiniens est une étape ardue mais nécessaire qui implique de donner une forme à la représentation politique palestinienne plutôt que de signer des accords entre factions dans le cadre tel qu’il est aujourd’hui. C’est au peuple palestinien qu’il appartient de dicter la forme que son futur prendra. C’est une nécessité qui ne sera pas remplie sans une représentation incluant tous les Palestiniens.

Le peuple palestinien a été dispersé dans le monde entier, à cause des politiques sionistes et ce depuis plus de 66 ans, mais c’est ce corps géographiquement fragmenté, comprenant tous les réfugiés et la population déplacée, qui doit avoir le droit de jouer un rôle dans la formation de son destin si la lutte pour ses « droits » reste l’objectif ultime, et non « le pouvoir d’une élite ».

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4 Commentaires

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  • #1063069

    Si les Elites etaient en premiere ligne durant les batailles, je parierai qu’ils y aurait moins de divisions. Le probleme est que beacoup de ces elites n’ont pas bataille sur les champs de bataille.
    Ceux de Gaza ont eu la "chance" d’avoire des leaders qui se sont battus par le passe sur le terrain.
    Pour nous ici, avec ce qu’Alain Soral et Dieudonne ont subi ( en premiere ligne !!!), on comprend pourquoi ils sont si unis.

     

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  • #1063099

    Bonsoir,si je puis me permettre,même si certains vont me cracher à la gueule,la pleurniche par-delà les frontières,c’est une forme de mondialisme aussi...personnellement je ne connais pas de Palestiniens et on a déjà de sacrés défis à surmonter en France,alors la sagesse voudrait que l’on s’occupe d’abord de nos fesses et ensuite on pourra jouer aux bons samaritains à l’étranger...c’est du bon-sens,c’est tout(et je suis certains que les mecs du Hamas approuveraient ce point-de-vue)...Féthi

     

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    • #1063435

      Il est intéressant d’observer les deux types de résistances à l’empire (le sionisme étant l’une de ses facettes) diamétralement opposés : celui des palestiniens et celui des européens.
      A Gaza en particulier la lutte est directe, sans fard, et les acteurs sur le terrain contraints de se cantonner à leurs fondamentaux vitaux, à travers leur identité religieuse en particulier.
      Ici la résistance est plus diffuse. Le bras de fer entre dissidents et pouvoir en place échappe à des masses qui de toute façon sont quelque part des victimes consentantes (ou mollement révoltées) d’une oligarchie scélérate, celle qui a la mainmise sur la destinée des peuples de l’Europe de l’Ouest.
      Allez, au plaisir de lire vos (tes) anecdotes toujours intéressantes.

       
  • Eh oui, ces crapules d’oligarques sévissent même en Palestine occupée !

    L’auteur de l’article parle de "représentation politique". Il est clair que ce n’est pas un démocrate, car il n’y a pas de représentation politique dans une démocratie. Les représentants sont des voleurs de souveraineté.

     

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