Egalité et Réconciliation
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Les USA, le Canada et le Mexique arment l’ALENA

par Stephen Lendman*, Laura Carlsen*, Constance Fogal*

Plusieurs articles, primés par Projet Censuré en 2009, ont mis en évidence le projet de militarisation de la zone de libre échange d’Amérique du Nord. Ce programme essentiel de l’administration Bush a été passé sous silence par les médias dominants. Et pour cause : il sert les intérêts de quelques multinationales, incluant des consortium de presse. Bien que durant sa campagne électorale présidentielle Barack Obama ait publiquement émis des réserves sur la poursuite de l’ALENA, son administration n’a rien changé au dispositif.

Des dirigeants du Canada, des Etats-Unis et du Mexique ont tenu des réunions secrètes visant à élargir l’Accord de libre échange d’Amérique du Nord (ALENA) (en anglais : North American Free Trade Agreement —NAFTA). Ce bloc commercial qui fixe une zone de libre échange est entré en vigueur en janvier 1994 avec l’« intégration approfondie » d’une force trinationale et poursuit des objectifs de militarisation au nom de la « sécurité intérieure ».

La Société dite « de sécurité et de prospérité » (SPP) qui a pris corps sous ces gouvernements, dans le plus grand secret et en dehors de toute considération d’ordre public —elle a établi ses bureaux centraux à Washington—, se propose de regrouper les trois pays en un seul bloc politique, économique et militaire.

La SPP a été créée lors d’une réunion entre les présidents George W. Bush (USA), Vicente Fox (Mexique) et le Premier ministre Paul Martin (Canada) à Waco, au Texas, le 31 mai 2005. Le site Web officiel des Etats-Unis décrit la SPP comme « une initiative entre les Etats-Unis, le Canada et le Mexique dirigée par la Maison-Blanche pour renforcer la sécurité et accroître la prospérité… » La SPP n’est le fruit ni d’une loi, ni d’un traité, ni d’un d’accord. N’importe laquelle de ces définitions exigerait une discussion publique, et la participation de parlementaires.

La SPP a vu le jour sous l’ère de la « guerre contre le terrorisme », et traduit le souci excessif de la sécurité, tel que l’interprète le Département US de la sécurité de la Patrie. Ses accords autorisent des actions militaires frontalières, l’entraînement de policiers, la modernisation de l’équipement et l’adoption de nouvelles technologies, le tout dans la logique de la croisade contre le terrorisme menée par les Etats-Unis. La secrétaire à la Sécurité de la Patrie, la secrétaire d’Etat et le secrétaire aux Finances sont les trois hauts fonctionnaires désignés pour assister aux conférences ministérielles de la SPP.

Les mesures destinées à coordonner la sécurité ont exercé une pression sur le Mexique pour l’obliger à militariser sa frontière sud. Les forces militaires US qui opèrent déjà au Mexique, ainsi que les effectifs de la DEA (Drug Enforcement Administration) et du FBI, organisent des programmes d’entraînement pour l’armée mexicaine (actuellement impliquée dans la guerre contre les drogues), la police fédérale et les unités de renseignement. Le journaliste Stephen Lendman explique qu’une page du manuel d’instruction du Pentagone suggère une invasion de ce pays par les Etats-Unis en cas de déstabilisation, ou si le gouvernement mexicain se trouvait menacé d’un renversement provoqué par un « chaos économique et social généralisé », susceptible de compromettre les investissements des Etats-Unis, l’accès au pétrole, le fonctionnement mondial du commerce, et de déclencher une émigration massive vers le Nord.

L’influent département de la Défense nationale du Canada, avec son nouveau chef d’état-major de la défense et le ministre de la Défense sont également alignés sur cette position. Ils sont contraints d’accroître les dépenses militaires du pays et de suivre les USA dans leur « guerre contre le terrorisme »

La SPP a créé le Conseil pour la compétitivité d’Amérique du Nord (NACC) qui fonctionne comme un groupe officiel de travail trinational. Il réunit des représentants d’une trentaine de compagnies géantes d’Amérique du Nord, dont General Electric, Ford Motors, General Motors, Wal-Mart, Lockheed-Martin, Merck et Chevron.

Les recommandations du NACC sont axées sur la « participation du secteur privé », considérée comme « un facteur décisif pour améliorer la position concurrentielle des Etats-Unis sur les marchés du monde et comme un catalyseur de l’innovation et de la croissance ». Le NACC a insisté sur l’importance de la mise en place d’une politique destinée à maximiser les gains.

L’agenda fixé par les USA privilégie l’accès sans entrave des compagnies pétrolières aux ressources naturelles canadiennes et mexicaines, notamment au pétrole et à l’eau. Le Conseil de compétitivité US stipule que « la prospérité des Etats-Unis se base essentiellement sur un approvisionnement sûr en énergie importée ». La sécurité énergétique des USA est considérée comme une priorité absolue, si bien qu’on incite le Canada et le Mexique à autoriser la privatisation des entreprises gérées par l’Etat, comme la compagnie pétrolière publique du Mexique Pemex –Petroleos Mexicanos. En janvier 2008, Halliburton [la multinationale anciennement dirigée par le vice-président Dick Cheney] a signé un contrat avec Pemex d’un montant de 683 millions de dollars pour le forage de 58 nouveaux puits de pétrole dans les Etats de Chiapas et de Tabasco, ainsi que pour superviser l’entretien des oléoducs. Il s’agit du plus récent des contrats, pour un montant de 2 milliards de dollars, décroché par Halliburton avec Pemex sous les gouvernements de Calderon et de Fox, ce qui, de l’avis de l’opposition, n’est que la façade publique de la privatisation prônée par le capital monopoliste US. La politique des Etats-Unis cherche aussi à s’assurer un accès illimité aux ressources hydriques du Canada.

Connie Fogal, du Parti Canadian Action, a déclaré : « Le SPP est une prise de possession franchement hostile de l’appareil du gouvernement démocratique… Un coup d’Etat dirigé contre les opérations des gouvernements du Canada, des USA et du Mexique ».

Mise à jour de Stephen Lendman

La 4e Réunion de la SPP s’est tenue à la Nouvelle Orléans du 22 au 24 avril 2008 en présence de George Bush, du Premier ministre canadien Stephen Harper, et du président mexicain Felipe Calderon. Un groupe de manifestants a organisé ce qu’ils ont appelé le « Sommet du peuple », avec des meetings dans les rues et des ateliers de discussion dans les centre de travail pour informer les gens du caractère destructeur de la SPP, renforcer les liens organisationnels et les contacts, maintenir l’information en ligne sur ses activités, encourager les efforts pour rallier davantage de soutien et exprimer leur détermination de continuer de résister à une politique extrêmement répressive et financée par les sociétés corporatives.

Cette coalition a des alliés au Congrès. En janvier 2007, le représentant républicain Virgil H. Goode et ses six coparrains ont présenté la Résolution concurrente nº 40 de la Chambre des représentants, qui traduit « le sentiment du Congrès, selon lequel les Etats-Unis doivent s’abstenir de s’impliquer dans un système d’autoroutes [en établissant un NAFTA] ou d’entrer dans la NAU avec le Mexique et le Canada »

Le Sommet d’avril a confirmé les intentions de la SPP de créer une Amérique du Nord sans frontières, de dissoudre la souveraineté nationale, d’asseoir le contrôle des géants corporatifs et de réserver la meilleure part du gâteau aux grandes compagnies US. Il propose également de transformer l’Amérique du Nord en une forteresse par la militarisation du continent sous le commandement des Etats-Unis.

La SPP a un site Web montrant des « succès importants » depuis août 2007, mis en jour en date du 22 avril 2008. L’information est trop détaillée pour cette mise à jour, mais on se référera au document téléchargeable au bas de cette page.

Ce site offre une liste assez complète : principes adoptés, accords bilatéraux conclus, négociations engagées, évaluations d’études publiées, accords signés sur le « libre flux des informations », activités ayant trait à l’accomplissement de la loi, efforts liés à la propriété intellectuelle, au transport routier aux frontières et sur de longues distances, procédures pour les permis d’importation, affaires relatives à la sécurité des produits et de l’alimentation, thèmes liés à l’énergie (axée essentiellement sur le pétrole), développement de l’infrastructure, gestion des situations d’urgence, et bien d’autres informations. Le tout exposé sur un ton apparemment modéré pour bien dissimuler l’objectif continental : permettre une exploitation corporative améliorée dans la plus grande discrétion possible.

La militarisation concerne le Commandement Nord (Northcom), activé en octobre 2002, dont la zone d’opération comprend l’espace aérien, terrestre et maritime sur le continent sans que soient pris en compte les limites du Posse Comitatus, qui ne sont plus appliquées, ou les frontières souveraines qui sont facilement effaçables. Le département de la Sécurité de la Patrie (DHS) et le Bureau d’immigration et du contrôle des douanes (ICE) jouent également un rôle important. Tout comme le FBI, la CIA et toutes les agences d’espionnage des USA, la police locale et fédérale militarisée, les forces de la Garde nationale et les mercenaires paramilitaires en provenance de Blackwater USA. Ils sont dépêchés dans n’importe quel point du continent avec l’autorisation d’opérer aussi librement qu’en Irak ou dans la Nouvelle Orléans d’après le passage de l’ouragan Katrina. Ils pourraient transformer toutes les rues du continent en nouvelles versions de Bagdad et créer des conditions pour vivre sur la lune, le cas échéant.

Il existe d’autres processus de militarisation. Le 14 février 2008, les Etats-Unis et le Canada sont convenus d’autoriser la présence de troupes US au Canada. Les citoyens canadiens n’ont pas été mis au courant de cet accord, dont le brouillon a été rédigé en 2002. Le document n’a pas non plus été discuté au Congrès ni à la Chambre canadienne des Communes (Canadian House of Commons). L’accord prévoit l’« intégration bilatérale » des structures de commandement militaire pour l’immigration, la police et le renseignement, ou toute autre structure que le Pentagone ou Washington souhaiterait. En des termes plus généraux, il s’inscrit dans la « guerre contre la terreur » et la militarisation du continent. Pour le rendre « plus sûr » pour les affaires et faire face à toute forme d’opposition civile.

Le Mexique est un autre objectif, avec un « Plan Mexique » annoncé en octobre 2007. Il s’agit d’un plan de sécurité pour le Mexique et l’Amérique centrale baptisé « Initiative Mérida », qui se monte à 1,4 milliard de dollars en assistance. Le Congrès se prononcera bientôt sur cette initiative, probablement avant que cet article ne soit publié. Il s’agit « d’« une initiative de coopération en matière de sécurité régionale », semblable au « Plan Colombie » et présentée comme un effort pour lutter contre le trafic de drogue.

En réalité, l’Initiative Mérida fait partie de la militarisation du Mexique dirigée par la SPP et renforce l’emprise de Washington sur ce pays. La plupart de l’aide est destinée aux forces militaires et policières du Mexique, ainsi qu’aux entrepreneurs privés de la défense des Etats-Unis chargés du matériel, de l’entraînement et de l’entretien. La délicate question du déploiement de troupes des Etats-Unis pourra être contournée en utilisant des forces privées de sécurité des USA, autrement dit Blackwater et DynCorp.

*Stephen Lendman

Chercheur associé au Centre for Research on Globalization.

*Laura Carlsen

Directrice du programme Amériques à l’International Relations Center (IRC).

*Constance Fogal

Juriste et ancien professeur. Ancien leader du Parti action canadienne (PAC).