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Les paradoxes de la politique et de l’économie

par Jacques Sapir

La visite de François Hollande en Russie s’est achevée sur un bilan en demi-teinte. À cela il n’y a rien d’étonnant. Les divergences entre les gouvernements des deux pays sont, sur un certain nombre de dossiers, trop importantes pour que l’on puisse les régler en une visite.

Mais, ces questions étant avant tout du domaine politique, on aurait pu s’attendre à une volonté affirmée de faire progresser les dossiers économiques. Cette volonté existe, du moins en paroles. Mais cela est moins clair dans les actes. Pourtant, dans le domaine économique, tout pousse à un rapprochement rapide entre les deux pays.

La situation économique est mauvaise en France. Engluée dans une zone Euro promise à la récession, elle voit se succéder les mauvaises nouvelles, en particulier en ce qui concerne l’emploi. Le taux de chômage, pour la France Métropolitaine, a atteint 10,2% de la population active, ou 2,94 millions de personnes. L’accroissement pour les 6 derniers mois a été particulièrement sensible, et il devrait en être de même pour les 6 premiers mois de 2013.

En Russie, sans être mauvaise, la situation économique s’est fortement dégradée dans le dernier semestre de 2012. La croissance s’est fortement ralentie et le taux de chômage s’est remis à progresser alors qu’il baissait régulièrement depuis près de deux ans. Les autorités russes sont légitimement inquiètes et le pays ne peut se permettre de connaître une longue période de stagnation. Les deux pays auraient intérêt à développer leurs coopérations, car ils sont largement complémentaires.

Le thème de la modernisation de l’industrie russe, mais aussi de sa diversification, est dominant aujourd’hui que ce soit dans les discours officiels ou dans la presse. Cette modernisation est souvent perçue comme une stratégie pour se détourner des matières premières. En fait, toute stratégie de modernisation et de diversification de l’industrie implique un effort particulier pour moderniser les industries extractives et, à partir de là, pour offrir des débouchés aux industries innovantes. Or, si l’on fait le compte des filières industrielles qui pourraient rapidement se développer en Russie, de la robotique appliquée à l’extraction des hydrocarbures et à l’entretien des oléoducs et gazoducs aux technologies de contrôle appliquées à l’énergie, en passant par les biotechnologies assurant le développement de nouveaux matériaux, on constate que l’on est dans des domaines où la compétence des industriels français est internationalement reconnue.

Si l’on veut sortir du secteur des industries extractives, la coopération pourrait se développer dans les industries aérospatiales, mais aussi dans la construction navale et les infrastructures. Dans certains domaines, il est clair que la France et la Russie sont des concurrents. Mais, cette concurrence sur des marchés de pays émergents n’interdit nullement des coopérations. On en voit un exemple avec la vente de blindés russes, équipés d’une électronique française, à l’Inde.

Pourquoi, alors que les possibilités de coopérations sont très développées, nous n’assistons pas à un développement de ces potentialités ? Certaines des raisons sont à chercher en Russie. Une réglementation tatillonne, des changements trop fréquents de politiques, un manque de visibilité à moyen terme découragent les entreprises françaises. Mais certaines des raisons sont à chercher en France : manque de coordination entre industriels empêchant ces derniers de présenter des offres intégrées aux partenaires russes et surtout coûts excessifs. Il ne faut pas se leurrer, les produits français sont chers, parfois trop chers.

Cette hausse des coûts se vérifie sur bien des marchés. Elle ne concerne pas seulement la Russie, mais elle pèse lourdement sur le développement de possibles coopérations. En fait, cette hausse des coûts ne fait que traduire le fait que la France voit ses produits valorisés à l’aune d’une monnaie qui n’est pas la sienne : l’euro.

Si la France avait conservé le Franc, il est très probable que les prix de produits seraient de 15% à 20% moins élevés. Des études nombreuses, dont celle réalisée dans le service officiel des statistiques l’INSEE en 2008 par Francis Cachia, montrent que la croissance et l’emploi en France sont fortement sensibles à une réévaluation de l’euro. Une sortie de l’euro, et une dévaluation de 20%, rétablirait le niveau réel des prix des produits français. Ce serait de l’intérêt de la France mais aussi de celui de la Russie, car cela débloquerait nombre de projets de collaboration qui, pour l’instant, sont en panne.

Ceci conduit à s’interroger sur le sens qu’il faut donner à l’engagement politique russe de soutenir les efforts qui sont faits pour sauver la zone Euro. Un de mes collègues russes me disait il y a peu : si l’Euro éclate la Russie n’y perdrait-elle pas ? Après tout une part importante des réserves de change de la Banque Centrale sont en euros. En fait, ce que la banque Centrale détient, ce sont des dettes émises par des pays de la zone Euro. Admettons que cette zone disparaisse et que les pays retrouvent leurs monnaies nationales, cela ne signifierait pas des dévaluations pour tous.

Si l’on peut imaginer que des pays comme la France, l’Espagne, l’Italie, la Grèce et le Portugal dévalueraient, il est clair que des pays comme l’Allemagne, la Finlande et les Pays-bas verraient leurs monnaies se réévaluer. Il n’est donc pas dit qu’un éclatement de l’Euro soit nécessairement une mauvaise chose pour la Banque Centrale de la Fédération de Russie. Tout dépendrait de la part des réserves qui est constituée de dettes allemandes par rapport à des dettes françaises ou italiennes.

Le pouvoir d’achat des industriels russes, par rapport aux monnaies des pays ayant dévalué, serait aussi accru. De même, la capacité à investir dans ces pays serait plus importante après une dévaluation. Enfin, le retour à la croissance dans un certain nombre des pays de l’ex-zone Euro aurait des effets très bénéfiques sur la croissance de la Russie qui leur vend des produits qui, en général, ne sont pas substituables, comme des matières premières. D’un strict point de vue économique, il n’est pas du tout évident que la Russie ait intérêt à soutenir les efforts qui sont faits actuellement pour faire survivre l’Euro. Mais il n’est pas évident, non plus, que ce soit l’intérêt économique d’un pays comme la France. Et pourtant, ces politiques qui n’ont pas de sens économique sont menées, en France, en Europe et en Russie. La zone Euro va donc continuer de s’enfoncer dans la récession pour soi-disant « sauver l’euro », comme le prévoit le dernier rapport de la Banque Centrale Européenne.

Nous savons bien pourtant, par des exemples historiques tant anciens que récents, qu’il faudra un jour solder les comptes. Cet aveuglement face à l’échec restera comme une anomalie, que l’on espère temporaire, dans l’Histoire.

 






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6 Commentaires

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  • #354481
    Le 11 mars 2013 à 16:51 par karimbaud
    Les paradoxes de la politique et de l’économie

    "cet aveuglement face à l’échec restera comme une anomalie"....qui aura brisé et ruiné des millions de vies, qui elles, n’apparaitront assurément pas dans le lourd passif de l’hydre euro-mondialiste !

     

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    • #354683
      Le Mars 2013 à 20:50 par gau
      Les paradoxes de la politique et de l’économie

      il n’empêche qu’on verra ça comme une mauvaise gestion d’une crise inconnue aux conséquences inconnues... L’incompétence des dirigeants est rarement ce qui est mis en avant par l’Histoire.

       
  • #354649
    Le 11 mars 2013 à 20:17 par lauburu
    Les paradoxes de la politique et de l’économie

    Un euro fort, ce sont des exportations en berne, et cela favorise les importations . Tout ce qu’il faut pour avoir une balance commerciale déficitaire . Sauf en Germanie . Comment font-ils ?

     

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    • #354725
      Le Mars 2013 à 21:35 par Titus
      Les paradoxes de la politique et de l’économie

      L’euro n’est pas fort pour les allemands. D’ailleurs, l’euro a pris dès le début la valeur du Deutsche Mark. C’est une monnaie adaptée à la structure de l’économie allemande. L’industrie exportatrice, de qualité et à forte valeur ajoutée de la machine-outil, des machines et de la chimie n’est pas née du jour au lendemain. C’est une longue histoire qui a démarré avec Bismark, je crois. Ni l’histoire, ni la culture et les mentalités germaniques ne sont transposables à un pays latin du jour au lendemain.

       
  • #355035
    Le 12 mars 2013 à 09:40 par doré
    Les paradoxes de la politique et de l’économie

    "Cet aveuglement face à l’échec restera comme une anomalie, que l’on espère temporaire, dans l’Histoire."

    Hélas, ce n’est pas une anomalie. C’est au contraire la norme. L’être humain est ainsi fait qu’il fait "toujours plus de la même chose" comme le philosophe Watzlawick le démontre. L’autérité ne marche pas alors on fait plus d’austérité... La bonne réaction est à l’inverse de "changer de niveau" et de faire quelque chose de tout à fait différent et créatif (par ex le clignotant par rapport au "bras" en plastique qui imitait le vrai bras qu’on sortait avant par la fenêtre).

    Mais nos technocrates n’ont aucune connaissance d’eux-mêmes ni des mécanismes psychologiques qui les régissent. Ils se croient rationnels alors qu’ils sont dominés par leurs pulsions (notamment de puissance et d’avidité). Ils se croient intelligents alors qu’ils sont des machines formatées par le système pour maintenir le statu quo. etc... etc...

    Et donc en fin de compte, les choses ne changent que lorsqu’on ne peut plus faire "plus de la même chose" pour des raisons techniques (trop cher) ou humaines (trop de suicides) et encore à minima.

    Des leaders créatifs comme Chavez sont infiniment rares.

     

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    • #355543
      Le Mars 2013 à 17:52 par pierre1
      Les paradoxes de la politique et de l’économie

      "ils sont des machines formatées par le système"

      Oui c’est exact, heureusement que l’individu lambda s’adapte,alors que le systeme ne s’adapte pas ou tres lentement.
      Sinon ils auraient deja la tete coupé.

      Les technocrates comptent sur la bonne volonté du peuple notamment des petites entreprises,ce dont ils ne se rendent pas compte c’est qu’avec l’augmentation des impots il ne reste plus rien.
      Alors que leur salaire a eux les technocrates ne baissent pas.

      22 000 fonctionnaires pour l’ue a bruxelles...bien au chaud,le bug de café ou de thé et ne se rendant pas compte de ce qui les attends.
      Budget de l’elysée pour un an:104 millions d’euros...

      Plusieurs centaine de milliers de retraité mort touchent toujours leur retraite en afrique.

      Les allocataires de la caf considerent cela comme un salaire et s’achete une maison avec le credit fournis par le banquier.
      J’ai des sources qui sont des directeurs de banque ne me dite pas que ce n’est pas vrai.

      Un nombre hallucinant d’assisté...je dirais 60% de la population française (ou soit disant française) touche quelques chose.

      50% de divorcé,les maris ne donne que 75 a 150 euros par mois pour un enfant meme adolescent..
      Le reste est payé par la nation.
      Allocation famillial en france en 2012:600 milliards d’euros environ.

      Un commerçant-artisan est imposé a 87% sur ses benefices.
      L’année derniere ce n’etait que 81% sur ses benefices.
      Beaucoup n’ont plus de permis de conduire..si,si..c’est a se pisser de rire tellement la situation est completement folle.

      Au mois d’avril je vais faire mon 5e stage de recuperations de point ou ils m’expliquent que je suis un criminel potentiel..c’est incroyable !
      A ses stages il n’y a que des pêrsonnes qui travail,font de la route et se font enculer par le systeme parcequ’ils ont des valeur eux !
      Et ont vient leur dirent qu’ils sont des criminels potentiel...

      Comment ne pas devenir completement fou !!

      C’est vrai que devant une tasse de café bien au chaud a se parler des histoire de cul des députés europeen ou français on ne voir ou sentir le vent venir.
      Et ce qu’il peut advenir..,en restant courtois bien sur.