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Liban et Syrie : évolution américaine ? Constante Hezbollah

Nous empruntons l’essentiel de cet article au bulletin hebdomadaire du Centre d’Etudes Stratégiques Arabes et Internationales, Tendances de l’Orient de Pierre Khalaf, spécialiste non aligné des questions proche-orientales.

Dans sa livraison du 23 avril – dont nous avons pris connaissance grâce à la vigilance de notre amie Akyliss -, Khalaf revient sur un événement diplomatique, discret mais important, et non relayé à notre connaissance par nos médias mainstream : la visite à Beyrouth (et au Sud-Liban), voici moins d’une semaine, du général Vincent Brooks, chef des forces terrestres du commandement central américain (CentCom), qui y a rencontré de hauts responsables libanais. Or ceux proches de Saad Hariri et de l’opposition pro-occidentale (et donc anti-Hezbollah et anti-syrienne) – regroupés au sein de l’ »Alliance du 14 mars » – auraient entendu de la bouche du militaire américain, venu aussi rencontrer les responsables de l’armée libanaise, des paroles sincères – mais déplaisantes – sur l’échec du pari qui consistait à renverser le président Bachar al-Assad. Et donc sur la nécessité pour les Libanais, pro ou anti-syriens, de vivre avec cette réalité pour les 40 prochaines années ! L’officier supérieur américain a expliqué à ses interlocuteurs les raisons du changement de la position de Washington vis-à-vis de la Syrie, raisons qui ont poussé l’administration Obama à accepter le plan de Kofi Annan, lequel est justement basée sur le principe de la solution politique et de la négociation avec le président Assad.

Leon Panetta dégrise les élus américains sur la Syrie

Des propos à rapprocher de ceux tenus, au même moment, devant le Congrès américain, par le secrétaire d’Etat à la Défense, Leon Panetta. Qui a donc expliqué aux congressmen plus ou moins néoconservateurs de Washington que l’armée syrienne restait unie derrière le président Assad, et qu’il ne fallait pas parier sur des dissidences significatives. Au contraire, l’armée syrienne avait fait preuve, selon le ministre américain, de beaucoup de discipline et d’une grande efficacité. Leon Panetta a même ajouté dans sa communication au Congrès que le président Bachar al-Assad jouissait d’une importante popularité et du soutien d’une majorité de Syriens en dépit des troubles qui se poursuivent depuis plus d’un an. Les rapports en possession du Pentagone, a-t-il précisé, ne permettent pas de conclure que le chef de l’Etat syrien a perdu de sa popularité, bien au contraire. En revanche, il a déclaré que l’opposition était divisée, minée par des dissensions internes et incapable de constituer une force de substitution au régime du président al-Assad.

En somme, le « ministre de la Défense » américain a ni plus ni moins repris les arguments d’Infosyrie (et de pas mal d’analystes aussi compétents que marginalisés au serin de la médiasphère occidentale) ! C’est, comme disent les jeunes, « énorme . Et ça ne correspond pas aux déclarations de Miss Clinton, collègue directe de Mr Panetta. Mais ces propos s’inscrivent en revanche dans le prolongement direct de mises en garde adressées au gouvernement – et à l’opinion – américains par de très hauts responsables militaires américains, relatifs à l’infiltration d’al-Qaïda en Syrie, mises en garde dont nous nous étions fait l’écho.

Et puisque nous sommes au Liban, restons-y : les Forces libanaises de Samir Geagea et le Courant du futur de Saad Hariri, principales composantes de l’opposition libanaise, en guerre larvée contre l’actuel gouvernement soutenu par le Hezbollah, et qui soutiennent l’opposition radicale syrienne – ils l’ont encore fait au Parlement la semaine dernière -, ont tenu à se dissocier des groupes terroristes syriens actifs au Liban, en assurant qu’ils n’avaient rien à voir avec eux. Cette prise de distance semble coïncider avec les coups sévères assénés aux insurgés syriens par l’armée.

Ce repli, verbal du moins, du front du 14 Mars, ne signifie pas que les composantes de cette coalition pro-occidentale ont abandonné le parrainage des groupes extrémistes syriens au Liban. Mais les nouvelles réalités de terrain, et l’ombre immense de la Russie, les obligent à adopter un profil bas et à ne pas exprimer leur soutien ouvertement, mais plutôt en secret. Les Forces libanaises, le Courant du futur et la Jamaa Islamiya , associés au sein de l’Alliance du 14 mars, préfèreraient désormais s’appuyer sur les positions de l’Arabie saoudite, du Qatar et de la Turquie dans leur soutien aux insurgés syriens. Il est vrai que les positions en question ne sont pas des plus modérées. Mais le fait que les Hariristes de tous poils préfèrent se cacher derrière eux montrent que leur marge de manoeuvre s’est quelque peu réduite. Du fait de la perte de la présidence de la Ligue arabe par le Qatar, de la montée en puissance de la Russie, du rétropédalage américain. Et aussi des succès militaires syriens.

Il est vrai que la situation libanaise est passablement compliquée : le gouvernement de coalition de Najib Mikati associant le Hezbollah, le Courant patriotique libre du chrétien Michel Aoun et le mouvement chiite Amal est assez nettement pro-syrien, mais la fragilité de la situation politique, nationale et extérieure, les tensions communautaires internes – qui ont donné lieu à des incidents relativement sanglant à Tripoli voici peu – réduisent quelque peu sa marge de manoeuvre. Or l’afflux récent de centaines de combattants, blessés ou non, de l’ASL, venus de Zabadani ou de Homs et al-Qusayr, avec des civils à leur suite, pose le problème de l’implication du Liban dans la crise syrienne, son territoire servant objectivement de sanctuaire aux groupes armés pourchassés par l’armée de Bachar. L’armée libanaise, qui s’était déjà redéployée à sa frontière pour contrôler et empêcher les trafics d’armes et les incursions des rebelles, doit surveiller de près le secteur frontalier nord-est, du côté de la ville libanaise de Qaa (à une petite cinquantaine de kilomètres de Homs), ou de la pointe que fait en Syrie le territoire libanais autour des localités de Rajem Khalak et de Hnaider.

Le Hezbollah face aux « éclaboussures » de la crise syrienne

Cheikh Naim Kassem, n°2 du Hezbollah : c’est au gouvernement et à l’armée libanais de s’occuper des bandes ASL. Certains partenaires du gouvernement Mikati, tel le puissant Hezbollah, fidèle appui de Damas, sont tentés de se formaliser d’une relative passivité de l’actuel gouvernement face aux agissements de ces groupes armés extrémistes anti-Bachar repliés au Liban, dans un secteur qui touche à la plaine de la Bekaa dominée, comme on sait par le parti chiite de cheikh Nasrallah. Or, le secrétaire général adjoint du Hezbollah Cheikh Naïm Kassem vient de donner son sentiment, et donc celui de Nasrallah, à la chaîne d’information libanaise (pro-syrienne) al-Manar sur les événements liés à la crise syrienne, et affectant le Liban. En ce qui concerne le trafic d’armes du Liban vers la Syrie, Cheikh Naïm Kassem a indiqué que cette question relèvait exclusivement de la responsabilité de l’armée libanaise. « Le Hezbollah n’est concerné ni dans le maintien de la sécurité à la frontière, ni dans les opérations militaro-sécuritaires qui y ont lieu », a-t-il déclaré, mais le dirigeant du « Parti de Dieu‘ a quand même déplorant que « certaines parties libanaises » affichent clairement leur désir de transformer le Liban en un passage pour semer le chaos en Syrie et qu’elles acheminent argent et armes aux groupes armés dans ce pays. Une pierre dans le jardin du clan Hariri, très impliqué dans cette « guérilla par délégation » contre le régime syrien.

Mais Cheikh Kassem s’est exprimé franchement aussi sur les raisons de l’inefficacité du gouvernement actuel, que son parti soutient. Il a expliqué que « la structure politique dans le pays, à commencer par les élections parlementaires, passant par la formation du gouvernement, la législation des lois (…) nécessite toujours l’accord de toutes les parties concernées. La prise de décisions s’avère compliquée vu qu’elle est soumise à des multiples considérations confessionnelles, sectaires, régionales et communautaires, sans oublier les intérêts personnels. Bref, dit très clairement Kassem, « le Hezbollah n’a pas les mains libres. Il est plutôt partenaire avec un important groupe dans la prise de décisions. Donc, tout changement ou modification ou amélioration de la situation interne ne peut être effectué par une seule partie. Malheureusement, certains font obstacle à des décisions importantes au sein du gouvernement pour des calculs qu’ils considèrent corrects ». Le Hezbollah avait déjà fait savoir que ses troupes n’avaient pas vocation à traquer les rescapés de l’ASL, cette tache incombant à l’armée libanaise. Mais il est douteux que la milice du Hezbollah se désintéresse des agissements des quelques bandes s’obstinant à entretenir un climat d’insécurité en Syrie à partir de l’est libanais. Et certains témoignages d’opposants réfugiés libanais incriminaient les miliciens chiites libanais, les accusant de contrôler l’identité des réfugiés.

On ajoutera qu’en mars dernier, le ministre libanais des Affaires étrangères, Adnan Mansour, avait exprimé son refus, à l’ambassadeur américain, et aussi sur les ondes d’l-Manar, de voir se constituer une base arrière de l’ASL au Nord Liban (voir notre article « Le chef de la diplomatie libanaise ne veut pas de sanctuaire ASL chez lui », mis en ligne le 8 mars)

Il est à noter que dans le cadre de cet entretien accordé à al-Manar, Cheikh Naïm Kassem s’est félicité de ce qu’il appelle « l’échec du complot arabo-occidental contre la Syrie« , ce grâce « à l’unité du régime, au soutien de son peuple » et aussi du fait de la faiblesse de l’opposition syrienne. « L’opposition armée n’a pas pu effectuer des changements dramatiques sur le terrain, et les pays occidentaux ont échoué dans leurs tentatives de renverser le régime d’Assad par la force. En même temps, le peuple a voté en faveur de la Constitution. Tous ces facteurs ont permis au régime syrien de tenir bon face à ce grand complot extérieur dont l’objectif primordial était d’éradiquer le choix de la résistance dans la région », a fait valoir cheikh Kassem. Des propos qui sont, bien sûr, l’exact reflet des dernières prises de position d’Hassan Nasrallah sur la Syrie.

En toute logique, le secrétaire général adjoint du Hezbollah apporte son soutien au plan Annan dont l’aboutissement constitue selon lui un véritable exploit : « Il s’agit de rechercher une solution politique au lieu de chercher à renverser le régime. Toutefois, cette solution politique nécessite du temps et il se peut que l’opposition ne réagisse pas positivement au plan Annan vu qu’elle n’est pas unie et que ses dirigeants sont en lutte pour le pouvoir « .

Malgré quoi, cheikh Naïm Kassem estime que la solution politique gagne du terrain en Syrie, même si, rappelle-t-il, les acteurs du complot contre la Syrie n’ont pas désarmé. « On appelle actuellement à attendre les résultats des pressions économiques et de certains changements dans la région, qui puissent être utilisés pour faire pression sur le régime syrien. Le complot contre la Syrie n’a pas pris fin, mais il s’est heurté à des obstacles, faisant ainsi reculer les comploteurs. C’est un recul tactique et le complot prendra d’autres formes dans l’avenir ».

Et cheikh Kassem d’appeler l’opposition syrienne à traiter positivement avec la solution politique pour aider le peuple syrien à sortir de sa crise. De tels propos n’ont certes rien de nouveau ni de surprenant dans la bouche de dirigeants du Hezbollah. Mais ils laissent supposer que le puissant mouvement chiite et ses alliés surveillent de près le gouvernement Mikati – comme le clan Hariri – et n’ont pas l’intention de laisser les débris de l’ASL et les civils qu’ils ont entraîné dans leur repli déstabiliser le Liban. ni même la Syrie.

 






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