Egalité et Réconciliation
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Mars 1999, la puissance américaine à son apogée

Par Xavier Moreau

Il y a 11 ans se sont tenus à Rambouillet, les négociations entre le gouvernement de ce qui reste de la Yougoslavie, dirigée alors par le Président Milosevic, et les chefs de l’UCK, mouvement considéré jusque là comme terroriste. Jouant une nouvelle fois la carte islamo-mafieuse*, l’administration américaine s’apprête à déclencher une nouvelle offensive dans les Balkans, qui lui permettrait, entre autre, d’installer une nouvelle base dans cette région stratégique. Après la première guerre du Golfe en 1991, et les différents épisodes des guerres de Yougoslavie, la guerre du Kosovo se termine par une nouvelle victoire américaine. Cette victoire marque l’apogée, mais aussi le début du déclin de l’ultime puissance mondiale. Tout au long des négociations et de la campagne de bombardement, les faiblesses de la position américaine se révèlent déjà pour qui veut bien les observer.

Durant les 10 ans qui ont suivi la chute du mur de Berlin, l’Amérique développe une puissance sans commune mesure. En 1999, elle est sans rivale. Elle est militairement, économiquement et culturellement un modèle planétaire. Ses victoires successives contre les deux monstres idéologiques du XXème siècle, le nazisme et le communisme, lui confèrent une aura exceptionnelle. Elle incarne l’empire du Bien, en tout cas pour l’opinion publique occidentale, la seule qui compte encore à l’époque. Cette position l’Amérique ne l’utilise pas pour devenir une sorte d’arbitre des Nations bienveillant. A l’image d’Athènes après la victoire de la ligue de Délos sur les Perses, elle conduit une politique agressive et hégémonique tous azimuts contre le monde arabe et contre le monde orthodoxe. Pour arriver à ses fins, elle n’hésite pas à s’appuyer sur les réseaux mafieux et à encourager les mouvements islamistes, prolongeant ainsi son expérience afghane.

En 1999, l’administration Clinton tente de reproduire ce qui a réussi pendant la première guerre du Golfe. Pourtant, son intervention est cette fois contraire au droit international. Elle attaque un état souverain sans mandat de l’ONU. C’est une première différence qui passe quasi inaperçue tant que la Serbie est attaquée, mais qui, quatre ans plus tard, contre l’Irak, sera un élément fondamental du discrédit américain, bien avant que ne soit révélé le mensonge des armes de destruction massive. Les bombardements délibérés de cibles civiles, de l’ambassade de Chine, d’un train de réfugiés albanais, passent également inaperçus en occident, tant la domination morale et matérielle sur les médias et les intelligentsias occidentales est totale. La « reductio ad Hitlerum » fonctionne de nouveau.

La véritable faiblesse que révèle la campagne contre la Serbie, c’est celle de l’armée américaine. Des semaines de bombardements ne viennent pas à bout de l’armée serbe, et l’administration Clinton est dans l’impasse. L’état-major américain sait qu’un combat au sol contre l’armée serbe ne peut se terminer que par la déroute de l’OTAN. L’infanterie US, sans doute une des moins efficaces parmi les armées modernes, n’a aucune chance de réussir là où la Wermacht et la Waffen SS ont échoué, 55 ans auparavant. Le terrain ne permet pas à l’armée américaine de mettre en œuvre cette coordination air-terre-mer, qui fait sa force en rase campagne. Les Serbes déplacent leurs chars avec des bœufs pour ne laisser aucune signature thermique. Leurs artilleurs abattent une dizaine de drones et parviennent même à abattre un de ces fameux avions invisibles F-117. Au bout de 78 jours, les bombardements n’ont rien donné, et il est clair que l’armée américaine, retranchée en Albanie, n’osera pas affronter les Serbes sur leur territoire.

C’est la médiation russe de Viktor Tchernomyrdine qui débouche sur un accord. L’administration américaine accepte les exigences que les Serbes avaient émises, pendant les négociations de Rambouillet. Les forces d’occupation seront sous mandat ONU, l’accès au reste du territoire serbe, et le survol de ce dernier par les avions de l’OTAN reste du ressort de la souveraineté de la Fédération yougoslave. Enfin, selon la résolution 1244 des Nations Unies, le Kosovo reste serbe. Les Américains reviennent de loin, leur contrôle des médias occidentaux, et l’occupation de facto du Kosovo, leur permettent de faire oublier que ces conditions avaient déjà été acceptées par les Serbes avant le conflit. Les discussions de Rambouillet devaient aboutir à la guerre, comme le révèlera plus tard la BBC.

Soutien à un mouvement terroriste islamo-mafieux, négociations truquées, provocations, incapacité militaire à remporter la victoire sur le terrain, tous les ingrédients et les faiblesses de la stratégie américaine post guerre froide sont là. Cette fois encore, la maîtrise des médias, la naïveté des opinions publiques occidentales, et la manipulation des élites politiques du pays-cible, ont permis de remporter la victoire. C’est la dernière fois que les Etats-Unis l’emportent de cette façon. Tandis que l’épuration des populations serbe, rom et turque, se poursuit dans la province, en Russie, un nouveau pouvoir se met en place en août 1999. Vladimir Poutine devient premier ministre. C’est comme le souligne Aymeric Chauprade, dix ans plus tard, un évènement plus important dans la nouvelle donne internationale que le 11 septembre 2001. En Allemagne, le gouvernement Schröder, pourtant à l’origine de la « manipulation kosovare »**, commence à prendre ses distances avec l’atlantisme et se rapproche de la Russie. Enfin, l’élection de Jacques Chirac à la Présidence en 2002, sort la France de la cohabitation. Son nouveau ministre des Affaires Etrangères, Dominique de Villepin, mettra fin en 2003, à plus de dix années d’alignement inconditionnel de la France sur les Etats-Unis.

* L’entrée à Kaboul des Talibans, en 1996, est saluée par Madeleine Albright. Les liens directs de l’UCK et de la mafia albanaise ont été mis en évidence par l’ancien procureur du TPI, Karla Del Ponte, notamment dans le trafic d’organes de prisonnier serbes (La chasse, moi et les criminels de guerre, 1998). Aujourd’hui le Kosovo est considéré par toutes les polices européennes comme la plaque tournante des trafics de drogue, de prostituées, d’armes de contrebande, de voitures volées, dans toute l’Europe. L’utilisation des groupes mafieux remonte à la deuxième guerre mondiale, lorsque les services secrets américains font sortir de prison Lucky Luciano, pour préparer, avec l’appui de la mafia, le débarquement en Sicile (Le monde des mafias, géopolitique du crime organisé ; Jean-François Gayraud, Odile Jacob, septembre 2005)

** Le gouvernement allemand fut à l’origine du faux « plan Fer-à-cheval ».