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Mission Annan : Moscou met tout son poids – et le fait sentir – dans la balance

En accueillant dimanche Kofi Annan à l’aéroport de Moscou le président russe Dimitri Medvedev a eu des mots qui ont « dramatisé » et en même temps revalorisé la mission de l’émissaire de l’ONU : « Peut-être est-ce pour la Syrie la dernière chance pour éviter une guerre civile prolongée. Nous espérons vraiment que votre travail s’achève avec un résultat positif ».

Et Medvedev d’assurer à Annan que la Russie lui apporterait « toute l’aide, à tous les niveaux et dans toutes les directions« . L’homme de l’ONU et, à un autre niveau, de la Ligue arabe, n’a pu répondre que par des remerciements : « Nous comptons vraiment sur le fait que nous pourrons nous reposer sur l’aide et les bons conseils de la Russie« .

De « bons conseils » russes à ne pas ignorer

Au-delà de cet échange de d’hommages et d’amabilités, on peut interpréter les propos du président russe comme un « adoubement » médiatique de la mission Annan : celle-ci ne peut éventuellement réussir que par l’intercession de la diplomatie russe, par l’influence qu’a la Russie sur la Syrie. Et c’est parce que la Russie, qui a entraîné la Chine, a accepté, pour la première fois, de voter une déclaration du Conseil de sécurité soutenant la mission Annan que celle-ci a acquis une légitimité internationale. Voilà pour le rappel des principes de base, le ministre russe des Affaire étrangères se chargera de discuter des modalités pratiques de cet appui de Moscou à l’ONU.

Justement, Koffi Annan devait rencontrer aussi Sergueï Lavrov ce lundi. Celui-ci, enfin son administration, a publié, le jour de l’arrivée à Moscou de l’émissaire onusien, un communiqué qui « cadrait » quelque peu la mission de ce dernier : « Le ministre (Lavrov) a relevé qu’à l’heure actuelle la communauté internationale doit consolider sa coopération avec la mission de Kofi Annan. Cela suppose la non-ingérence dans les affaires intérieures de la Syrie et le caractère inacceptable d’un soutien à l’une des parties en conflit ». A bon entendeur salut : Kofi Annan devra être d’une neutralité irréprochable dans ses négociations avec le gouvernement et les oppositions !

En mettant tout son poids dans l’affaire, la direction russe fait également pression sur Damas, car elle veut un apaisement intérieur et international en Syrie, couper l’herbe sous le pied aux Occidentaux, et pour ce faire aboutir à un gouvernement d’union nationale, ou au moins élargi à des personnalités de l’opposition « raisonnable », le tout sous la présidence de Bachar al-Assad, pour éviter toute dérive incontrôlable. D’où les récentes critiques de Moscou sur les « gros retards » du pouvoir en matière de réformes, les « erreurs » commises par lui depuis le début de la crise.

Les arrière-pensées possibles de Moscou

Le gouvernement syrien, qui sait tout ce qu’il doit au soutien constant des Russes, a cependant des exigences de souveraineté. Et puis qui croit à une bonne volonté des groupes armés ? Certainement pas les Russes. Et, à ce propos, on peut imaginer que l’appui de Poutine-Medvedev-Lavrov au plan de paix et à la mission Annan n’est pas exempt d’arrière-pensées : par exemple démontrer en temps réel que la bonne volonté est d’avantage du côté d’un régime plutôt en position de force politique et militaire que du côté d’une opposition plus divisée que jamais entre extrémistes et réformistes, et qui ne contrôle pas les bandes armées.

Jouer la carte du plan onusien, c’est-à-dire de la trêve militaire et du dialogue politique, c’est, très vite, démontrer la non fiabilité politique et militaire du CNS et de l’ASL. Du reste, des déclarations de hauts-responsables russes ont clairement confirmé sur qui ils faisaient fond. Le vice-ministre des Affaires étrangères Guennadi Gatilov a écrit dimanche sur son compte Twitter que les propositions du plan Annan « ont une chance d’être réalisées si les autorités et l’opposition sont prêtes à collaborer » avec l’émissaire de l’ONU. Et il ajoute : « Les autorités, apparemment, sont prêtes à cela » – sous entendu : « Et en face ? »

Et, de son côté, Sergueï Prikhodko, conseiller diplomatique de la présidence russe, a rappelé une autre évidence : il sera impossible de faire cesser le conflit « sans mettre fin au ravitaillement en armes de l’opposition depuis l’étranger« . Le message est là aussi à destination de M. Annan, qui va devoir négocier avec l’oeil de Moscou posé sur lui. Beau changement par rapport à naguère, où l’ONU était sous influence directe américaine et qatarie !