Egalité et Réconciliation
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Mittal, enfoiré international

C’est une vieille couverture de Charlie Hebdo : un bonhomme trapu à gros blair, engoncé dans un manteau de pluie, derrière lui des toits d’usine en shed (façon lame de scie) et les grosses cheminées « os à moelle » d’une centrale nucléaire, le tout balayé par une pluie noire, dégueulasse… Le titre annonce : « La Lorraine sauvée par le tourisme », et le type décomposé de répondre : « Plus de souci à se faire ! ».

C’est la Lorraine du fer trop cher, la Lorraine d’après la sidérurgie. Cette Lorraine du nord qui court entre pays roman et terres germaniques. La route vous balance jusqu’à la nausée entre Moselle et Meurthe et Moselle, cette frontière dessinée par la guerre, façonnée par la rivalité franco-allemande : des monuments levés aux soldats tombés, tantôt en Français, tantôt en teuton, en témoignent. C’est que la vieille dame décatie a été une jeune fille dont on a convoité la dote. On n’a d’ailleurs jamais hésité à la violer quand elle ne voulait pas se donner…

Quand ça flotte (et ça tombe dur et dru au pays de Lothaire, souvent froid et oblique), nos parents disent : « ça tombe comme à Gravelotte ! ». Ça fait rire les gosses : « Gravelotte » ça rime avec « griotte », une riante cerise. En fait c’est le Gravelotte de la bataille éponyme, Franzouzes contre Fridolins dans la guerre quasi-oubliée de 1870, pantalons garances et gris de Prusse fauchés par les premières mitrailleuses. C’est le seul jus couleur cerise qui a jamais coulé à Gravelotte. Il y a avait un musée, il s’est tu récemment, ces morts là n’intéressent pas ou plus…

Ce ne sont donc pas les tués à coups de Chassepot et de canon Krupp qui font bouger nos oligarques de leur cher Paname, mais plutôt d’autres victimes, celles de la mondialisation : sirènes des délocalisations et canons des dépôts de bilan. Je vais vous décrire ce que ces beaux esprits voient en arrivant de Paris, dans notre beau et frais « TGV Est » qui fleure bon les grands travaux : ils vont sûrement s’arrêter à Nancy, se frotter à l’une des plus belles places du monde, petite sœur de la place Rouge, commande du polonais Stanislas, chassé de chez lui. Ils y dégusteront un café hors de prix, ça leur rappellera Paris. Charmés par un détour imprévu dans la petite rue des écuries, ils reprendront un train pour Metz, dont la gare seule est une promesse, un beau cadeau du Kaiser. C’est la que ça se gâte, Metz Nord, Woippy, la grise banlieue fait place à l’industrie et à ses fantômes, un cauchemar de friches confis dans le gras dès que l’humidité est là. Descente du wagon et en voiture : des menus blaids tristes aux trottoirs aléatoires, décorés ça et là d’anciens wagonnets à minerai. Les veilles galeries de mines farcies de flotte grignotent les maisons, la terre goulue menace d’engloutir le paysage. La simple et honnête colère des gens couvrent le bord des routes : pancartes criardes pour cris de désespoir, égrenant le coup des réparations. En remontant vers Joeuf, le long d’un filet de rivière verdâtre : des carcasses d’usines. Des noms d’oiseaux accompagnent les patronymes des patrons locaux, barbouillés sur la tôle ondulée par la CGT.

Je tiens au passage à rassurer nos amis antifascistes : le populisme xénophobe ne sévit pas sur cette trame à la Zola. C’est que le Lorrain du haut va souvent vendre sa force de travail au très riche Luxembourg tout proche. Il est donc parfaitement au fait de la condition de « bicot », censé travailler et la fermer.

A Hagondange, un certains Sarko est venu brasser de l’air avec sa gourmette. Selon sa bonne habitude, celui que le site « Tout sauf Sarkozy » a baptisé Mobutu Cessé Sarko a beaucoup promis, beaucoup menti : le site maintenu, les emplois sauvés, les licenciés reclassés, avec force roulements d’épaules… Mais voilà, Arcelor, le colosse lorrain du fer, avait le pied en argile « européen ». L’Espagne, la France, le Luxembourg n’avaient pu empêcher l’Indien Mittal de mettre sa patte de végétarien sur l’acier autochtone… Alors ce n’est pas le petit président, même pris de frénésie, qui allait empêcher Lakhsmi Mittal de boulotter la quiche et de recracher tous les lardons d’employés…

Demeure un élément jouissif avec Mittal : ce n’est pas un des ces macro-groupes occidentaux aux mains d’une myriade d’actionnaires, armée anonyme où mêmes les patrons ne sont que des sous-officiers. Mittal c’est la propriété à 90% de Mo’sieur Lahksmi Mittal. Il est Mittal, devenu Arcelor Mittal, son business c’est sa pomme, une des cinq premières fortunes de la planète, des dizaines de milliards dans les poches. A Croire que la France ne sait faire disparaître que les meilleurs : les Sankara, les Ben Barka, mais ça ne rime pas avec Mittal, pas une balle, pas une barbouze pour celui là… Et ne croyez pas qu’il réserve ses bons offices à ses compatriotes : dans l’état du Jharkhand, carnage Mittal a nettoyé 12.000 hectares de leurs communautés ancestrales, afin de construire la plus vaste aciérie du monde. En France : on délocalise. En Inde : on déporte…

Pour nous protéger de la rapacité des capitalistes du monde entier (comme si les libéraux autochtones ne suffisaient pas), nous Lorrains possédons les deux saintes du bipartisme : Nadine Morano (UMP) et Aurélie Filippetti (PS). Le hasard a voulu que ces deux étoiles montantes soient associées à deux faillites (politiques) retentissantes : Arcelor pour Aurélie (fille d’un ouvrier communiste, ça lui tient lieu de programme) et l’usine Kléber de Toul pour Nadine (Sarko-courtisane d’avant-garde).

Tout ça pour vous dire que le site de Gandrange s’est éteint hier, le dernier jour du mois de mars 2009. Quelques temps auparavant, pendant une prise de parole publique, j’avais soumis à la fille chérie du coco laborieux une petite équation :

« Le gros Mittal avait marié sa fille à Versailles pour la bagatelle (vous me pardonnerez ce jeu de mots de châteaux) de 55 millions d’euros.

55 millions, c’est justement le coup de la fermeture du site, le prix de près de 600 ouvriers et employés sur le carreau.

30 à 40 millions, c’est ce que Mittal propose pour une activité croupion, peut-être autour du stockage de CO2, peut-être centrée sur la recherche, on ne sait...

Un ouvrier Français vaut-il 1/595 d’un mariage d’oligarque hindou ?

[Silence, on se racle la gorge et on tapote sur le micro]

Aurélie Filippetti : Je ne peux pas vous répondre, c’est de la démagogie… »

Comme au Ségo-Show, répétez après moi : Fra-ter-ni-té !