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Passe d’armes entre Rome et le reste de l’UE sur le dossier des migrants tunisiens

Cette semaine, les tensions diplomatiques se sont accrues au sein de l’Union européenne autour du dossier des migrants tunisiens. L’Italie, qui accuse ses voisins de ne pas lui porter suffisamment assistance, a remis en doute sa participation à l’UE.

Le litige, qui durait depuis quelque temps, a véritablement tourné à l’aigre cette semaine, alors que les ministres de l’Intérieur de l’Union européenne (UE) se réunissaient au Luxembourg. Tandis que le problème des migrations à la frontière sud de l’Europe s’amplifie de jours en jours, l’Union – l’Italie en tête – comptait sur cette rencontre pour mettre en place des solutions concrètes. Depuis le début de l’année 2011, l’Italie a vu quelque 26 000 migrants irréguliers accoster sur ses rives, notamment sur la petite île de Lampedusa.

Au Luxembourg, l’Italie a ouvertement remis en cause l’attitude de ses voisins, notamment la France, qui a annoncé qu’elle refuserait d’accueillir ces réfugiés, pour la plupart Tunisiens.

Le gouvernement italien a insisté sur la nécessité de conclure un accord avec la Tunisie, dont la porosité des frontières a été fortement accentuée depuis la chute du président Zine el-Abidine Ben Ali, le 14 janvier dernier. Au début du mois, l’Italie avait convenu avec la Tunisie d’une mesure visant à octroyer un visa de six mois aux migrants arrivés avant le 6 avril, sans distinction de statut - source principale du conflit.

Cet accord bilatéral pose problème aux autres membres de l’espace Schengen. Ils estiment que la majorité sont de migrants dits ‘économiques’ - et non des réfugiés politiques. Selon les textes européens, le pays qui reçoit un flux d’immigration est contraint de déterminer le statut de chaque migrant avant de lui permettre de partir. Ceux qui obtiennent le droit de demander l’asile sont placés dans des centres - les autres, renvoyés dans leur pays d’origine.

Or, selon cette entente, les nombreux migrants arrivés avant le 6 avril sur les côtes italiennes auront la possibilité de circuler librement au sein de l’espace Schengen pendant six mois et, donc, de s’établir en France, en Autriche et dans tous les autres pays de l’espace.

Le ministre néerlandais de l’Immigration, Gerd Leers, a estimé que le comportement de Rome revenait à "répercuter ses problèmes sur les autres sans préavis".

Un son de cloche auquel la majorité des ministres européens se sont accordés, à l’image du ministre allemand de l’Intérieur Hans-Peter Friedrich, qui a dénoncé l’attitude italienne : "Nous ne pouvons accepter que de nombreux migrants économiques viennent en Europe en passant par l’Italie." Plus généralement, Berlin a appelé Rome à "régler seule son problème de réfugiés" et jugé que l’accord italo-tunisien était "contraire à l’esprit de Schengen".

Responsabilité européenne pour l’Italie

La France, qui s’est fendue d’une déclaration similaire, a annoncé qu’elle allait renforcer ses contrôles et renvoyer les éventuels migrants en Italie. Le ministre français de l’Intérieur Claude Guéant a déclaré qu’il allait "mettre en place une compagnie républicaine de sécurité" supplémentaire de la police "pour épauler les services locaux de police et gendarmerie" à proximité de la frontière franco-italienne. La Belgique a également signifié que des mesures similaires seraient prises pour l’ensemble de ses frontières. Par ailleurs, l’Autriche et l’Allemagne ont déclaré qu’ils pourraient emboîter le pas au couple franco-belge. Frontex, l’Agence européenne de surveillance des frontières, devrait être mise à contribution.

À l’issue de la réunion, le ministre de l’Intérieur, Roberto Maroni, a regretté le manque de solidarité de ses voisins et ouvertement remis en cause la participation de l’Italie à l’Union européenne : "L’Italie est laissée seule pour faire ce qu’elle doit faire et ce qu’elle continuera à faire. Je me demande si cela a vraiment un sens, dans cette position, de faire partie de l’UE."

En visite samedi sur l’île de Lampedusa, où de nombreux migrants continuent d’affluer, le président du Conseil, Silvio Berlusconi, avait également appelé à une solution européenne et souhaité que Paris se rende "compte que 80% [des migrants tunisiens] déclarent vouloir rejoindre des parents et des amis en France".

Prise de conscience et passes d’armes

À Chypre mercredi, le président du Conseil européen Herman van Rompuy n’a pas évoqué les accrochages intra-UE, mais a souligné la nécessité de "développer de nouveaux partenariats et améliorer ceux qui existent avec les pays du sud de la Méditerranée [notamment], dans le domaine de la lutte contre l’immigration illégale et le trafic des êtres humains".

La veille, le président de la Commission européenne, José Manuel Barroso, avait annoncé une aide financière supplémentaire d’environ 140 millions d’euros à la Tunisie pour que le pays accepte et finance la réadmission de ses ressortissants exilés.

Mais tandis que l’Union européenne tente d’endiguer le problème, la tension peine à redescendre entre États membres. La France a reconnu que "la réponse européenne […] n’a pas été jusqu’ici à la hauteur des événements", mais que la réunion de Luxembourg avait permis "une prise de conscience".

Pour autant, en lieu et place de la "solidarité" espérée par Rome, les passes d’armes se multiplient. Mercredi, dans un entretien au quotidien allemand "Bild", Günter Krings, un haut responsable du parti conservateur de la chancelière Angela Merkel, a regretté que Rome use "de méthodes de chantage que l’on connaît uniquement dans la mafia".

Une provocation qui n’a pour le moment pas suscité de réponse des autorités italiennes. Mais jeudi, le chef de la diplomatie italienne, Franco Frattini, a de nouveau exhorté Paris à "renforcer" sa collaboration avec Rome.

Franco Frattini n’a par ailleurs pas manqué de rappeler à la France que "les routes empruntées par les migrants changent vite, et [que] demain la Corse pourrait être intéressée".