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Patrick Artus : « Ne serait-il pas plus raisonnable de casser l’euro ? »

Le chef économiste de Natixis tient une position à part dans le paysage. Ses papiers nourrissent très largement et souvent les argumentaires des opposants à la monnaie unique. Pourtant, s’il flirte avec le Rubicon, il ne le passe toujours pas, comme l’illustre sa nouvelle note.

Un constat sévère pour la monnaie unique

Il y a quelques mois, Patrick Artus avait démontré que pour les pays de la périphérie de la zone euro, une sortie de la monnaie unique était sans doute nettement préférable au maintien dans ce carcan qui leur impose aujourd’hui des politiques de dévaluation interne extrêmement douloureuses d’un point de vue social. Il maintient son point de vue : « l’ajustement de la zone euro se fait par l’appauvrissement durable des pays déficitaires » en Espagne, au Portugal, en Grèce…

En outre, il souligne que « la perte de revenu et le chômage qui en résultent empêchent de plus que la correction des déficits publics puisse avoir lieu ». Il rapporte également que « le capital ne circule plus entre les pays de la zone euro, et ne finance donc plus les investissements, ce qui est pourtant le bénéfice attendu d’une Union Monétaire ; les marchés financiers et des crédits bancaires sont segmentés », comme Jacques Sapir l’a bien expliqué dans une série de notes récentes.

Il dénonce « l’ajustement par l’appauvrissement » en illustrant cette affirmation par des graphiques terrifiants qui montrent que la demande intérieure a déjà baissé d’environ 25% en Grèce, et 15% en Espagne et au Portugal depuis 2008 et que le salaire réel est partout en baisse dans l’Europe du Sud. Il souligne également la grande divergence du revenu par habitant, après une phase de convergence, l’Italie étant passé de 90 à 80% du niveau allemand, la Grèce de près de 70 à 55.

Mais ce n’est pas tout : il souligne que l’intégration financières s’est dissoute : « la crise a fait réapparaître une segmentation forte des marchés des capitaux et du crédit bancaire entre les pays de la zone euro ». Cela s’illustre par les grands différentiels de taux d’intérêts entre Etats mais aussi banques. On pourrait ajouter que les établissements financiers fuient la Grèce et équilibrent leur portefeuille au cas où. Pour lui « la poursuite de la situation présente semble impossible à imaginer ».

Exagérations des conséquences du démontage de l’euro

Malgré cette présentation très noire du mode de fonctionnement de la zone euro, il souhaite le maintien de la monnaie unique en « mettant en place un autre type d’ajustement (par le fédéralisme, le redressement des économies en difficulté), et de réunifier les marchés des capitaux des pays de la zone euro ». Mais surtout, pour lui, « les coûts (d’une sortie de l’euro) sont tellement énormes que le scénario de loin le plus probable est que l’euro va survivre à long terme ».

Cela est contestable. Le coût de la réintroduction des monnaies nationales est marginal par rapport aux sommes actuellement en jeu. Certes, les pays qui dévalueraient verraient se dégrader les termes de l’échange, mais c’est justement ainsi que cela a fonctionné, dans les années 1990 en Europe puis en Argentine. Bien sûr, l’Allemagne perdrait une partie de son excédent mais les dévaluations des années 1990 n’avaient pas mis son économie par terre. Bien sûr, il y aurait des défauts, mais les défauts, c’est déjà avec le maintien de l’euro, comme l’a montré la Grèce…

Bref, si Patrick Artus monte une critique très convaincante de la monnaie unique, comme Paul Krugman, il est moins convaincant quand il explique pourquoi il faudrait la conserver. Il faut dire qu’il existe une abondante littérature pour contester le coût de la sortie, comme je l’ai récemment résumé.