Egalité et Réconciliation
https://www.egaliteetreconciliation.fr/
 

Politique identitaire et grosse ficelle

par Claude Bourrinet

L’opéra est un art merveilleux qui imite la réalité en s’en éloignant radicalement. Qui, dans la vie, parlerait en chantant, déploierait en longs trémolos son intimité, déclinerait les mille et une actions du quotidien en respectant la gamme ? L’exercice demande du coffre et du métier.

Les politiciens ont vocation à en avoir, même si, à notre époque de commerciaux, la maîtrise artistique s’apparente à un savoir-faire de petit cadre dynamique. Néanmoins, le spectacle est bien là, devant des spectateurs qui s’ennuient généralement, ou qui sont parfois parcourus de frémissements fébriles, parce que les acteurs, sur scène, ont l’air de se la jouer sérieusement. Mais somme toute, ce n’est toujours là que du spectacle, le héros crie « en avant » durant un bon quart d’heure en piétinant, les bons et les méchants jouent consciencieusement leurs rôles, le chœur des pleureuses entonne l’antienne attendue, et l’orchestre médiatique monte le volume là où la tension s’accroît. Et on sortira de la salle, plus ou moins conquis, avec un arrière goût de scepticisme, pour s’engouffrer directement dans une salle de vote, et choisir les prochains comédiens. La démocratie, c’est à peu près cela.

Tout le monde sait que Sarkozy et sa troupe jouent. En bon cabotin, il sait ce qui peut plaire, à un moment, à un parterre qui a payé. L’apathie de ce dernier, ou bien son impatience devant la médiocrité de la prestation, déterminent les moments capitaux où il faudra agiter des épaules de marionnette, courir sur place comme un dératé collé au plancher, forcer la voix en imitant la statue du commandeur, bref, indiquer par des signes ostentatoires là où la claque (des médias) doit se déchaîner et entraîner l’enthousiasme d’un public un peu lassé par l’ennui et l’agacement.

Regardons d’un peu plus près le livret. On est bien obligé de convenir qu’il a un air de déjà entendu. Il correspond à ce que tout gouvernant un peu cynique (mais dans tout politicien sommeille le démagogue) est capable de faire lorsque les difficultés pressent et la masse des électeurs fait défection : on l’éblouie par des mesures apparemment radicales, censées régler les problèmes, en misant néanmoins plus sur la forme que sur le fond. Car ces benêts d’électeurs, en bon public qu’ils sont, sensibles aux pleurs de Mimi et à la noirceur d’un Scarpia, à la sauvagerie érotique de Carmen et à l’espièglerie sournoise de Figaro, sont prêts à tout entendre pourvu qu’on leur permette de digérer en paix. Là est le secret de la politique.

Le mieux encore, et c’est un truc de métier qui remonte bien loin dans l’art de l’histrion, c’est de prendre un bouc émissaire, de diriger savamment la haine vers un groupe désigné, de façon à faire oublier l’essentiel. Il paraît que Néron, grand artiste devant l’éternel, le fit avec les chrétiens lors de l’incendie de Rome. En France, on est gâté, puisqu’on a les Roms et les musulmans.

Ernst Jünger, qui a fait ses preuves comme combattant, que Hitler même n’osa inquiéter tellement il était hors de toute atteinte, farouche guerrier donc, génial écrivain, dont Les Falaises de marbre sont à recommander à tout esprit libre et poétique, salua militairement le premier Juif porteur de l’étoile jaune qu’il rencontra dans une rue de Paris. Il raconte cela dans son journal de guerre.

Entendons-nous. Il faut admettre que l’art de diriger les foules, du moment qu’elles oublient leur métier de citoyen, ne va pas sans ruse, sans mensonge, sans instrumentalisation. C’est l’art du timonier que d’orienter la barre en fonction de la houle, du vent ou de la force de l’équipage. Mais il y a des moments où on a des envies de vomir par-dessus bord.

Le système mondialiste, qui vise à arracher, par la tromperie, la menace, le cynisme et la bêtise, les racines identitaires, peut parfaitement utiliser l’outil de la sécurité pour accroître la mainmise sur une population sidérée. Ce qui reste du peuple a quelque souvenir d’une antique maîtrise étatique qui tenait, tant bien que mal, la société. En France, la mémoire se rappelle le gaullisme, désormais bien lointain, qui était lui-même le fantôme revenu du style napoléonien ou bourbon. Dans le même temps, le gouvernement économique du XXe siècle, la « gouvernance » bienfaisante, protectrice, infantilisante des démocraties de masse, qui avaient fait passer aux oubliettes les accents épiques d’antan, et remplacer la tragédie par la comédie bourgeoise, avait déshabitué les peuples à se saisir de leur destin. La télévision avait achevé le processus en portant dans la salle de séjour le théâtre sanglant du monde. Toute action politique devait inévitablement dériver en bouffonnerie. C’est ce qui arrive actuellement, à un point où on se demande s’il faut en rire ou en pleurer.

On peut bien d’ailleurs rigoler. D’aucuns prennent plaisir à des navets, et c’est un plaisir pour esthètes du deuxième degré. Sarkozy et sa commedia, Aubry et sa troupe de pleureuses, l’extrême gauche hargneuse et la droite extrême sioniste et anti immigrée, entonnent de concert une piètre opérette. Mais ce ne sont que des chansons. Si Sarkozy est « fasciste », pourquoi les « républicains » ne descendent-ils pas dans la rue, comme ils l’avaient fait, mimant la patrie en danger (toujours l’opéra !) lors du « putsch » des colonels en Algérie, ou plus près de nous entre les deux tours des présidentielles de 2002.

Certes, nous sommes en vacances. Argument irréfutable. Mais les discours sur la racaille ne datent pas de maintenant, et l’on sait bien pourquoi Sarkozy ne bénéficie pas du même traitement qu’un Le Pen. On sait très bien que sa politique des effets de manches n’est que de la mise en scène, qu’elle n’atteint pas le cœur du système, c’est-à-dire le libéralisme, le mondialisme, l’intégration dans le conglomérat américano-sioniste, et que même l’immigration n’est pas mise en cause. La preuve est qu’au moment où on menace les immigrés et fils d’immigrés des pires sanctions sortant des clous, on régularise à tours de bras, on pratique la discrimination « positive », on culpabilise les Européens de souche. Et, par la même occasion, on prépare la guerre contre l’Iran en en continuant une autre aussi sale en Afghanistan, on pratique le double langage, détruisant à coups de missiles et de discours droit-de-l’hommesques les peuples récalcitrants et bénissant les criminels de guerre israéliens, en stigmatisant la communauté musulmane et en écoutant, avec des oreilles de Midas, les fortes suggestions de la communauté israélite, en mimant le patriotisme et en vendant le pays au commerce international.

L’illusion soixante-huitarde a fait croire que la liberté libérait. On a vu que la permissivité allait de paire avec le laisser-aller marchand. Le contraire de cette illusion n’aboutit pas forcément à une prise de conscience : l’entière liberté de mœurs, qui dissout les solidarités en même temps que les caractères, n’entraîne pas inéluctablement la dislocation de l’Etat répressif. Au contraire. Comme dans ces manifestations pro-palestiniennes où certains « libertaires » jouent les flics en traquant les antisionistes, l’appareil étatique peut suivre une politique ultra répressive, censurant, condamnant, faisant régner une terreur sournoise. Il peut aussi user des vieilles recettes, comme la terreur diluée, la haine distillée, la dénonciation calomnieuse. Le masque de Thiers sur une gueule cosmétisée au lifting de l’ultra modernité.

La société européenne est en plein désastre (voulu). On a beau désigner cinquante années d’immigration « incontrôlée », il n’en demeure pas moins que ce contre coup de la décolonisation a été organisé, du moins accompagné, cyniquement, pour exploiter une main d’œuvre docile et peu regardante sur les salaires et les conditions de vie, pour faire éclater les solidarités populaires de souche, pour empoisonner le débat politique par la mise en place d’une problématique raciste. Car le principal responsable du racisme, qui croît, ce sont l’Etat et les responsables économiques qui ont orienté la politique française et européenne depuis des dizaines d’années. Il faut que leurs héritiers, qui ne renient rien d’essentiel dans ces prises de décision catastrophiques pour notre civilisation, débarrassent les planches.

A vrai dire, il n’existe peut-être plus de solution. Que certains prônent une quasi guerre civile, ou plutôt une guerre ethnique, est franchement abject et irresponsable. Non seulement parce que ceux qui soufflent sur les braises, comme les Elisabeth Lévi, les Finkielkraut, les Zemmour, cherchent à dévier l’attention loin des problèmes essentiels, comme par exemple la politique criminelle d’Israël et la menace de guerre mondiale, mais aussi parce que le résultat serait l’anéantissement final de notre civilisation, soit par les bombes atlantistes, comme en Serbie, soit par une implosion délétère à base de démoralisation et d’abandon de notre destin.

Au moins serait-il judicieux de supprimer la double nationalité. Il faut bien choisir sa patrie, à défaut d’en être issu comme un fruit ! Plutôt que d’être toujours contre les immigrés, la France, l’injustice, l’invasion etc.), il serait vital d’être pour.

Pour quoi ? Pour une Europe qui serait le contraire de celle de maintenant, qui n’est pas l’Europe mais un protectorat américain. Pour une société multi communautaire, où chacun serait libre de pratiquer sa religion, chrétiens, juifs, musulmans, « païens », athées, mais où les aspects négatifs de certains prosélytismes seraient neutralisés par la puissance d’un Etat continental et par une conscience claire des finalités d’un tel projet.

La plupart des immigrés ne songent qu’à s’intégrer à l’Europe. Les dérives inadmissibles d’une frange de cette population relèvent des attributs régaliens de l’Etat de droit. Il n’est plus pensable de mettre en demeure de choisir entre la valise ou le cercueil. Il n’est pas non plus admissible moralement de traîner dans la boue des êtres humains qui ont une autre couleur de peau, ou qui pratiquent une autre religion (la majorité des Européens d’ailleurs n’en pratiquant plus aucune). Ce n’est pas parce que des professionnels de l’antiracisme ont utilisé cyniquement ce fond de commerce qu’il faut se positionner dans une attitude symétriquement opposée. Cette réactivité à courte vue, on le voit, prédispose à tous les pièges tendus par l’adversaire. Certains poursuivent cette politique consciemment. D’autres y sont poussés par une irritation aisément explicable par des conditions de vie intolérables. Mais la haute politique demande de voir loin. Il faut absolument sortir du piège mortel qui est tendu.