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Prisons françaises : la France sur la pente de l’anti-modèle américain

Au 1er juillet 2008, il y avait 64.250 détenus dans les quelque 200 prisons françaises. Ce nombre, en hausse de 0,6% par rapport à juin, établit un nouveau record historique pour notre pays qui n’a, en chiffre absolu, jamais compté autant de personnes incarcérées.


Le nombre de détenus bat record sur record


En pourcentage de la population, il s’agit aussi d’un record, vieux d’environ 130 ans, qui est ainsi battu. Selon le chercheur au CNRS Pierre Tournier, interrogé par l’Agence France Presse, il faut en effet remonter aux années 1880 pour trouver un taux de détention équivalent, hormis les lendemains immédiats de la Seconde Guerre mondiale avec la période dite de "l’épuration". Ce taux de détention atteint désormais 102 détenus pour 100.000 habitants, alors qu’il n’était encore que de 96 pour 100.000 en 2005.

L’augmentation de la population carcérale va s’accélérer

Selon M. Tournier, la tendance à la hausse du nombre de personnes incarcérées en France devrait s’accélérer puisqu’il estime que la loi sur les peines plancher, votée en août 2007, devrait envoyer en prison environ 3.000 personnes de plus chaque année.

Ce phénomène va être encore amplifié par la décision prise par Nicolas Sarkozy, depuis sa prise de fonctions à l’Elysée, de refuser les grâces collectives, au motif que ce droit présidentiel serait "quasi-monarchique" selon lui. Résultat ? Il n’existe plus ces grâces collectives du 14 juillet qui permettaient de désemplir les prisons, comme celle décidée par Jacques Chirac en 2006 où 3.700 détenus avaient retrouvé la liberté entre juillet et septembre. Or ce nouveau blocage est fait pour durer puisque la nouvelle réforme constitutionnelle qui vient d’être adoptée supprime justement le droit de grâces collectives du président de la République (ce qui interdit au passage le droit de grâce dont bénéficiaient parfois les automobilistes n’ayant pas acquitté leur contravention).
La loi sur les peines plancher et la suppression constitutionnelle des grâces collectives pourraient donc avoir pour effet mécanique de faire s’accroître la population carcérale française de quelque 5 à 6.000 personnes supplémentaires chaque année, soit environ 8 à 10% de plus par an.

Une situation de surpopulation de plus en plus explosive

Cette très forte augmentation attendue de la population carcérale va rendre encore plus criants les problèmes de surpopulation carcérale et d’insuffisance d’effectifs de surveillance. Le nombre des places en cellule actuellement disponible dans les prisons françaises est en effet déjà très nettement insuffisant : 50.806 au 1er juillet 2008, à comparer aux 64.250 détenus. Il en ressort un taux français de surpopulation carcérale supérieur à 126%, largement au-dessus de la moyenne des Etats membres du Conseil de l’Europe (102%) (le Conseil de l’Europe, qui comprend aussi la Suisse, la Norvège ou l’Islande, ne doit pas être confondu avec les institutions de l’Union européenne).

Cette situation est d’ores et déjà indigne d’un pays développé puisque six prisons françaises sur dix sont actuellement surpeuplées. Les plus touchées sont les maisons d’arrêt qui renferment les personnes en attente de jugement et les courtes peines. Il est fréquent d’y trouver deux détenus pour une place et la première organisation syndicale des surveillants de prison, l’Ufap, estime à 1.700 le nombre des prisonniers contraints de coucher sur des matelas à même le sol.

Pour l’expert Pierre Tournier, "la situation est potentiellement explosive". Quant au syndicat FO-pénitentiaire, il somme le gouvernement d’agir, et lance un appel au secours en soulignant "qu’il en va de la sécurité des détenus et des personnels".

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Le gouvernement coincé entre des exigences contradictoires


Le gouvernement se retrouve ainsi coincé entre d’une part sa volonté d’adopter des lois de plus en plus répressives et la suppression des grâces collectives, d’autre part l’insuffisance criante de places de prison et les contraintes budgétaires imposées par les institutions européennes et le Pacte de stabilité.

Pour sortir de l’impasse, la gouvernement doit adopter prochainement en Conseil des ministres un projet de loi pénitentiaire, déjà très critiqué par les syndicats. Rappelant qu’un programme de construction de prisons lancé en 2002 prévoit 13.200 places supplémentaires d’ici 2012, la garde des Sceaux, Rachida Dati. a promis que 3.000 nouvelles places de prison seraient disponibles dès la fin de cette année.
La privatisation rampante de la fonction carcérale

Pour échapper en partie aux contraintes budgétaires, le gouvernement a décidé de développer un "partenariat public-privé" pour la construction des prisons. Le financement, la construction, la maintenance et l’entretien des nouvelles prisons seront ainsi confiés à une société privée pour une durée déterminée, de 30 ans par exemple dans le cas de la nouvelle prison de Nancy, actuellement en cours de construction. L’Etat paiera ensuite chaque année à l’opérateur privé les prestations fournies.

Or cette privatisation rampante de la fonction carcérale pose un problème fondamental de principe car il s’agit d’une fonction relevant fondamentalement de la souveraineté de l’Etat. D’inspiration ultra-libérale anglo-saxonne, cette privatisation remet en cause l’un des aspects des valeurs républicaines à la française.

Car derrière le vernis technocratique et moderniste de l’opération, cette espèce d’affermage d’un service public fondamental touchant aux libertés publiques n’est pas sans rappeler la vénalité des charges d’Ancien Régime.

De plus en plus de gens condamnés… à rester chez eux ?

Mais le recours au financement privé trouve ses limites et le gouvernement compte surtout sur son projet de loi pénitentiaire, annoncé comme "fondateur", pour développer un autre moyen de désengorger les prisons.

Comment ? En développant les bracelets électroniques et l’assignation à résidence des personnes en détention provisoire et des courtes peines. En d’autres termes, la politique gouvernementale en matière de répression consiste à la fois à accroître le nombre et la durée des condamnations et à obliger les personnes condamnées pour de petits délits… à rester chez eux.

Peut-être la politique actuelle, cynique et amorale, est-elle un commode pis-aller pour répondre aux urgences de l’heure en matière d’ordre public et aux contraintes budgétaires imposées par Bruxelles. Mais, ne prenant en compte que les aspects financiers de la question, elle occulte complètement les fonctions symboliques qui doivent normalement être dévolues à la prison dans un Etat civilisé.

L’occultation des vraies questions

Si désormais les délinquants ne sont condamnés qu’à rester chez eux pendant un ou deux ans, à regarder la télévision ou à surfer sur Internet tout en se faisant livrer des pizzas, que restera-t-il de la vertu d’exemplarité des condamnations et de la symbolique de l’incarcération ? Et que restera-t-il, au bout du compte, de la majesté de la loi et de l’autorité de l’Etat ?

Ces questions, essentielles pour la préservation de l’échelle de valeurs républicaines et d’une certaine forme de moralité publique, sont délibérément mises de côté, portant ainsi témoignage du fait que les dirigeants français, sur ce dossier comme sur tant d’autres, suivent aveuglément l’anti-modèle américain.

De la même façon, des hommes d’Etat dignes de ce nom devraient se poser la question fondamentale du devenir d’une nation qui envisage sans sourciller de faire croître sa population carcérale au rythme de +8 à +10% par an. En ne répondant à la montée de la délinquance que par une hausse des condamnations, le gouvernement se comporte comme un médecin qui prétendrait lutter contre une épidémie par la seule mise en quarantaine d’un nombre croissant de personnes, sans chercher à combattre la cause même de l’épidémie.
Il est vrai que la montée de la délinquance et de la criminalité résulte, pour partie, d’évolutions sociologiques lourdes sur lesquels les responsables politiques n’ont guère de prise : tel est le cas de la perte d’un certain nombre de repères moraux ou de valeurs religieuses dans les sociétés développées contemporaines.

L’impact majeur des choix économiques ultra-libéraux

Mais la montée de la délinquance résulte aussi – et sans doute pour une part prépondérante - d’autres phénomènes qui découlent de choix politiques et économiques sur lesquels les dirigeants devraient agir. Tel est le cas du développement de la grande pauvreté dans notre pays – dont témoignent notamment les statistiques du Secours Populaire ou de la Fondation Abbé Pierre – et de l’accroissement continuel des inégalités sociales.

A cet égard, l’INSEE a révélé, voici quelques jours, que le taux de pauvreté, qui baissait régulièrement en France depuis des années, a arrêté de le faire en 2006, année au cours de laquelle il s’est établi à 13,2 % de la population en 2006. Ainsi, 7,9 millions de personnes vivaient, en 2006, en dessous du seuil de pauvreté, fixé arbitrairement par l’INSEE à un revenu de 880 euros par mois. Parmi elles, environ 4 millions avaient un revenu inférieur à 720 euros par mois. Et il est probable que ces chiffres se sont sensiblement dégradés depuis deux ans, du fait de la perte de pouvoir d’achat ressentie par tous les Français.

S’interroge-t-on suffisamment, dans les allées du pouvoir, sur ce que ressentent ces près de 8 millions de personnes en dessous du seuil de pauvreté lorsqu’elles apprennent les salaires de nababs que se servent les présidents des très grands groupes industriels et financiers et les "parachutes dorés" qui leur sont offerts dans les cas où ils mènent ces entreprises à la ruine ?


CONCLUSION : LA FRANCE SUR LA PENTE DE L’ANTI-MODÈLE AMÉRICAIN

L’éventail social s’était réduit, en France et dans tous les pays développés, au cours des Trente Glorieuses, notamment du fait d’une forte croissance et de la mise en œuvre des enseignements de la théorie keynésienne.

La réouverture rapide de ce même éventail social découle quant à lui des décisions prises au cours des années 90 : avec le démantèlement généralisé des réglementations aux échanges de capitaux, de marchandises et de services, et avec l’adoption des choix économiques ultra-libéraux sur les injonctions bruxelloises et suivant l’anti-modèle américain.

La montée de la délinquance en France ne sera pas combattue par le transfert des prisons au secteur privé et la multiplication des assignations à résidence avec bracelets électroniques. Elle sera cassée le jour où un gouvernement français, ayant récupéré la souveraineté de la France, aura décidé de mettre un terme à la politique ultra-libérale et anti-sociale imposée par les institutions européennes et ayant rompu avec le modèle sociétal américain.

A défaut, la montée de la délinquance et de la criminalité a de beaux jours devant elle. Rappelons en effet que les Etats-Unis d’Amérique détiennent le record mondial d’incarcération. Avec une population carcérale de quelque 2,7 millions de personnes, le taux d’incarcération des Etats-Unis se monte à près de 900 pour 100.000 habitants, soit près de 9 fois plus qu’en France. Si l’on continue à suivre aveuglément cet anti-modèle américain, si cher à Nicolas Sarkozy, la France devra s’attendre à voir croître sa population incarcérée de 64.250 à environ 540.000 prisonniers…

Union Populaire Républicaine

Source
 : http://www.u-p-r.org