Egalité et Réconciliation
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Retraites : la mère de toutes les batailles ?

Ce mercredi, le Conseil d’Orientation sur les Retraites, a rendu son fameux rapport sur « l’actualisation des perspectives à long terme du système de retraite ». La concertation a enfin commencé. Nicolas Sarkozy avait pourtant annoncé, lors de ses voeux le 31 décembre dernier, que la réforme des retraites serait l’un de ses grands chantiers pour l’année 2010. Quatre mois plus tard, le gouvernement n’a pas dévoilé ses intentions. Comme s’il s’agissait de faire traîner le débat jusqu’à l’été, avant de légiférer dans le creux des vacances.

Retraites, un sujet fédérateur à droite ?

L’Elysée aurait pu se servir du débat sur les retraites pour mobiliser son camp. Il y a peu de clivages à droite sur le sujet : allonger la durée de cotisation et retarder l’âge de départ à la retraite sont les deux (fausses) bonnes idées de la droite classique. Le débat sur les retraites pouvait aussi être l’occasion pour remettre le fameux slogan du travailler plus au goût du jour.

Mais la mayonnaise prend mal. Les élections régionales sont passées par là. La déroute électorale de l’UMP et la gronde de la majorité contre Nicolas Sarkozy ont laissé des traces. L’obstination présidentielle sur le bouclier fiscal a mis à mal le consensus à droite. A cause du bouclier fiscal, les inévitables futures hausses d’impôts pour rééquilibrer les comptes publics et sociaux comme ceux des retraites ne concerneront pas les foyers les plus fortunés.Voici le hic, fiscal cette fois-ci : le financement des retraites a été pénalisé par les niches fiscales, comme par exemple, la défiscalisation partielle des heures supplémentaires qui coûte 2,5 à 3 milliards d’euros de cotisations retraites, remboursée par l’Etat à la Sécu chaque année.

Bloqué dans ses principes, le gouvernement jure que les impôts n’augmenteront pas, ni pour les riches, ni pour les pauvres. Eric Woerth a clairement annoncé, lundi dernier, que le gouvernement n’envisageait aucune hausse des prélèvements : « Il y a un sujet sur lequel évidemment le gouvernement n’est pas ouvert, c’est l’augmentation des prélèvements ». Pas touche aux impôts ! Certains totems sarkozens sont toujours debout.

Pour ce fichu débat, l’Elysée, en la personne du conseiller spécial Raymond Soubie, a concocté un calendrier faussement long, franchement très serré : première rencontre entre Eric Woerth et les organisations syndicales le 12 avril, rapport du Conseil d’orientation des retraites (COR) le 14 avril, discussions bilatérales entre gouvernement et syndicats jusqu’en mai, chiffrage parallèle des propositions par le COR. Le gouvernement ne dévoilera ses propres options quà la mi-juin. En juillet, le texte définitif de la réforme sera présenté en Conseil des ministres, pour un vote en septembre.

Mercredi, Eric Woerth s’est ainsi permis d’envoyer un courrier à presque tous les partis politiques : « je serais très heureux de pouvoir vous rencontrer, d’ici la fin du mois d’avril, afin que vous puissiez me faire part de l’analyse que votre formation politique fait de la situation des régimes de retraite français et de vos propositions en la matière ». La consigne est claire. Il faut jouer à la concertation jusqu’au bout. Les destinataires étaient le Parti socialiste, l’UMP, le PCF, le Parti de Gauche, le Nouveau Centre, les Verts, le MPF (de Philippe de Villiers), le PRG (de Jean Michel Baylet), le Modem, et même le Front national. On notera l’absence du NPA.

La peur du vide

C’est une bombe, la vraie, celle que tout le monde attendait. Pour sa réunion d’information du 14 avril, le COR a donc chiffré différents scénarii d’évolution de nos régimes de retraites : le plus optimiste place l’assurance vieillesse toujours déficitaire (-71 milliards d’euros) en 2050. Il parie sur un retour (improbable) au plein-emploi en 2024 avec un taux de chômage à 4,5 %, et une augmentation annuelle de la productivité du travail de 1,8 %. Le pire scenarii porte le déficit à 114 milliards d’euros en 2050. Le chiffre astronomique de 2 600 milliards d’euros de déficit cumulé s’est affiché en grand sur une page du quotidien Le Monde. Sans rire ? Le quotidien précise cependant sa source : « selon des sources gouvernementales ». Avec les retraites, il faut faire peur. Et c’est facile. Chacun s’imagine vieux et sans ressources. C’est une peur collective facile.

Mercredi, chaque responsable de la majorité y est allé de son commentaire, grave et sombre. « Les contraintes sont implacablement démographiques et c’est pourquoi nous avons besoin, non pas de mesures conjoncturelles et symboliques, mais de mesures structurelles. Ne nous y trompons pas, la crise a aggravé le déficit, elle n’en est absolument pas la cause (...). Face à ce constat, nous sommes obligés d’agir, sinon notre système de retraites s’effondrera sous le poids des déficits » a expliqué François Fillon.

Comme le rappelait le Monde, Nicolas Sarkozy a trois objectifs : rassurer les marchés financiers (pour conserver la fameuse note AAA qui régit la signature de la France pour ses emprunts), rassurer l’opinion après avoir agiter la menace d’un effondrement du système, et … diviser l’opposition en la plaçant au pied du mur. Mais Sarkozy est lui-même coincé par l’un de ses propres tabous, la non-augmentation des prélèvements obligatoires. Toute fissure du bouclier fiscal ou élargissement du financement des prélèvements – par exemple aux revenus financiers – pourra et devra être perçu comme une victoire des opposants à Nicolas Sarkozy. Le rapport du COR souligne d’ailleurs que le simple report de l’âge de départ à la retraite après 60 ans n’est certainement pas la panacée. Il faudra jouer avec tous les paramètres (augmentation des financements, réduction des droits, etc).

Retraites, le faux débat ?

On l’a dit et répété : le débat est mal enclenché. Primo, la question de l’âge de départ à la retraite est une question inopérante tant que l’on omet de discuter assiette et modalités de calcul de cette solidarité nationale. La retraite à taux plein suppose un départ à 65 ans pour les salariés et non-salariés du secteur privé. Et la durée d’assurance sera de 164 trimestres, à compter de 2012. Pourquoi le gouvernement Sarkozy s’acharne-t-il à brandir l’âge de 60 ans comme un épouvantail faussement clivant ? Laurence Parisot, présidente du MEDEF, a d’ailleurs encore exhorté le gouvernement ce week-end à bouger cette âge vers 62 ou 63 ans. Le COR, dans ses derniers chiffrages, estimait qu’un relèvement à 61 ans et demi et 166 trimestres de cotisations améliorerait les finances de l’assurance vieillesse de 4 milliards d’euros, alors que le déficit est estimé à près de 100 milliards en 2050 (dixit Parisot).

Secundo, on ne parle aussi que trop peu de la complexité d’un système de retraite construit il y a plus d’un demi-siècle sur des fondamentaux socio-économiques qui ont changé. Et l’allongement de l’espérance de vie n’est pas le changement le plus déterminant. La variété des parcours professionnels, les alternances de périodes d’activité et de chômage, les changements de statuts ou d’entreprises rendent incompréhensibles et imprévisibles les retraites futures pour nombre de Français. Tertio, les précarités nouvelles sont insuffisamment prises en compte dans le calcul des retraites. Le Medef refuse - pour le moment - toujours de tenir compte des écarts d’espérance de vie entre catégories professionnelles.

Un président tacticien, une grosse peur, un débat encadré et partiel.... Sarkozy joue gros, et la France aussi.