Egalité et Réconciliation
https://www.egaliteetreconciliation.fr/
 

Serbes du Kosovo : l’Albanie refuse d’ouvrir une enquête sur l’affaire du trafic d’organes

Tirana a clairement fait savoir qu’elle n’avait pas l’intention de s’impliquer dans une enquête sur les allégations selon lesquelles des Serbes du Kosovo auraient été assassinés et que leurs organes auraient été ensuite prélevés dans une maison située dans le nord de l’Albanie. Mais le Conseil de l’Europe est bien décidé à faire la lumière sur cette affaire.


Les autorités albanaises ont résisté aux pressions des différents groupes internationaux qui se consacrent à la défense des droits de la personne – ainsi qu’à celles de la Serbie – et qui exigent que la lumière soit faite sur le sort de 400 Serbes du Kosovo portés disparus pendant ou après le conflit armé qui a déchiré l’ancienne province serbe en 1999.

Tirana pourrait accepter d’enquêter sur cette affaire à condition qu’il s’agisse d’une requête du Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie (TPIY). Une hypothèse qui a déjà été rejetée par La Haye en raison de sa stratégie de sortie.

Pendant ce temps, le Conseil de l’Europe a annoncé qu’il nommerait un émissaire spécial chargé d’enquêter sur ces allégations de prélèvements d’organes.

Andreas Gross, président du groupe social-démocrate de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, nous a déclaré que cette nomination pourrait intervenir au plus tard à la fin du mois de juin.

« Je sais que certaines personnes croient à ces allégations, et d’autres non », a admis Andreas Gross. Celui-ci a par ailleurs co-signé, le 15 avril dernier, une motion du Conseil de l’Europe réclamant l’ouverture d’une enquête sur ces allégations. « Dans tous les cas de figure, une enquête aura lieu. »

Konstantin Kosakchev, président du Comité aux Affaires étrangères de la Douma de Russie, est à l’origine de la motion. Celle-ci a été signée depuis par 17 parlementaires de 15 pays.

Les allégations relatives à cette affaire ont été rendues publiques dans un livre de Carla Del Ponte – l’ancien procureur en chef du TPIY –, intitulé La Caccia [La Chasse].

Publié en avril 2008, le livre reprend les affirmations selon lesquelles des organes humains auraient été prélevés dans une maison du village de Rripa, à 110 kilomètres au nord de Tirana, près de la frontière du Kosovo.


« Une mauvaise imitation des romans d’Agatha Christie »


Plusieurs observateurs, dont un ancien assistant de Carla Del Ponte, ont toutefois vivement rejeté ces allégations. Les gouvernements du Kosovo et d’Albanie ont tous deux dénoncé les propos de Carla Del Ponte.

Le gouvernement d’Albanie a balayé les allégations et le ministre des Affaires étrangères Lulëzim Basha les a carrément qualifié de « diffamatoires ». De son côté, le Premier ministre Sali Berisha a déclaré au quotidien italien Corriere della Sera que madame Del Ponte semblait fascinée par les histoires de meurtres nébuleux de la romancière britannique Agatha Christie.

« Il s’agit d’une mauvaise imitation [de romans d’Agatha Christie] », a lancé Sali Berisha, avant d’ajouter que Carla Del Ponte ne possédait aucune preuve pour étayer ses accusations.

Une autre question – différente certes, mais potentiellement reliée à celle des organes prélevés – concerne le sort de nombreux Serbes du Kosovo qui auraient été emmenés en Albanie, pendant et après les hostilités entre les Albanais du Kosovo et le gouvernement serbe. Le conflit avait pris fin en 1999 avec trois mois de bombardements de l’Otan sur la Yougoslavie d’alors.

L’un des enquêteurs travaillant sur cette affaire confie qu’il était inexplicable que, pendant que le mystère entourant le destin des Albanais du Kosovo disparus se levait progressivement, le nombre de Serbes du Kosovo disparus et dont le sort demeure inconnu restait à peu près le même.

Le Procureur pour les crimes de guerre de la Serbie a demandé le 22 avril 2008 au procureur en chef de l’Albanie de fournir des informations au sujet des allégations de Carla Del Ponte. Depuis, c’est silence radio.

Holta Zhiti, porte-parole du procureur général de l’Albanie, a précisé que son bureau ne réagirait à une demande semblable qu’à la condition qu’elle émane du TPIY. Ina Rama, le procureur en chef albanais, a pour sa part répondu que son pays contribuerait à une enquête seulement si le TPIY « croit que l’enquête doit se poursuivre ».

Jasna Sarcevic-Jankovic, du bureau du procureur pour les crimes de guerre de la Serbie, a déclaré : « La réponse est correcte, mais l’adresse n’est pas la bonne ». « Il est nécessaire pour nous que nos homologues albanais échangent l’information actuellement disponible. »


Aucune enquête ne sera ouverte par le TPIY


Le TPIY a rappelé aux deux parties qu’il n’était plus en position de lancer de nouvelles enquêtes et ce peu importait la gravité des allégations. C’est la conséquence des limites imposées par la nouvelle stratégie de « sortie » du Tribunal. Il s’agit de mener à terme les affaires déjà en court et de passer la main aux tribunaux de la région pour les enquêtes à venir.

« Il n’y aura aucune nouvelle enquête », a confirmé Olga Kavran, porte-parole du Tribunal. « Il appartient désormais aux pays impliqués de poursuivre ces enquêtes. »

À partir de maintenant, les crimes de guerre relèveront de la responsabilité des tribunaux locaux. Le TPIY pourra éventuellement les aider en leur fournissant les preuves en sa possession ou encore une assistance légale.

Olga Kavran a ajouté que le ministère de la Justice de l’autorité onusienne au Kosovo (Minuk) avait déjà demandé des informations détenues par les procureurs du TPIY au sujet de l’affaire des Serbes portés disparus.

Olga Kavran a expliqué que, contrairement à l’Albanie, la Minuk recherchait toujours un supplément d’informations auprès des enquêteurs qui avaient mené en février 2004 la mission de collecte d’indices dans le village impliqué dans cette affaire.

Des responsables de la Minuk n’ont toujours pas confirmé cette information. Il demeure incertain que la Minuk enquête sur cette histoire de possible trafic d’organes.

Mersim Katuci, 49 ans et membre de la famille propriétaire de la maison mentionnée par madame Del Ponte dans son ouvrage, appuie l’idée d’une enquête exhaustive, bien qu’il soit convaincu qu’il n’y a rien à trouver.

Qemal Minxhozi, député du Parlement albanais de la région où se trouve cette fameuse maison, a assuré qu’il avait considéré l’éventualité d’embaucher un cabinet d’avocat suisse afin de poursuivre Carla Del Ponte pour diffamation. « Mais c’est vraiment cher ! », raconte le député. « C’est 350 euros l’heure... Qui peut se payer ça ? »

Altin Raxhimi et Vladimir Karaj - Traduit par Stéphane Surprenat

Source : http://balkans.courriers.info