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Serbie : investigation sur une affaire de trafic d’organes des Serbes du Kosovo

En Serbie, les investigations commencent pour éclaircir l’affaire des Serbes kosovars qui avaient été enlevés en 1999 par l’UÇK et transférés au nord de l’Albanie, où leurs organes auraient été retirés et vendus en Occident. Le TPI, la Kfor et la Minuk avaient été sollicités sur cette affaire, mais n’avaient pas collaboré. L’affaire est désormais prise en main par le Tribunal de district de Belgrade, et s’annonce délicate.



Une affaire entre les mains de la justice


Le Conseil pour les crimes de guerre du Tribunal de district de Belgrade a commencé des investigations pour élucider l’affaire sur les Serbes kosovars enlevés en 1999 et transférés au nord de l’Albanie, où leurs organes auraient été retirés et vendus en Occident. Comme l’a expliqué Bruno Vekarić, porte-parole du Parquet pour les crimes de guerre, ce dernier a proposé d’interroger Carla Del Ponte et Florence Hartmann, l’ancienne Procureure générale et sa porte-parole. « Tout est maintenant entre les mains du juge d’instruction », a dit Vekarić.

Dans son livre La traque, Del Ponte écrit que le Parquet du TPI [Tribunal pénal international], au cours de l’instruction sur les crimes de l’UÇK (Armée de libération du Kosovo) commis en 1999 sur les Serbes, les Rroms et les autres communautés ethniques, « avait eu connaissance d’informations sur l’enlèvement d’au moins 300 personnes du Kosovo, transportées au nord de l’Albanie où leurs organes auraient été vendus au marché noir ».


Le cas du retrait d’organes


Zoran Stanković, spécialiste de médecine légale et de pathologie, ancien chef de service à la VMA [Académie militaire de médecine], déclare qu’il n’a jamais rencontré de cas de ce genre.

« Il faut aller au fond des choses dans cette affaire. Le fait est que tout est chargé d’émotions et c’est ce qui ne va pas. J’ai procédé à des autopsies sur environ 50 corps au Kosovo et Metohija, parmi lesquels se trouvaient des Serbes et des Albanais, mais sur aucun d’eux je n’ai trouvé de traces de retrait d’organes, bien qu’ils fussent en état de décomposition », dit-il. Il ajoute que les organes peuvent être retirés des personnes vivantes ou mortes.

Sur les morts, il est possible de retirer le globe oculaire, la peau, les osselets de l’oreille, et sur les vivants, le cœur, le foie, les reins. Retirer les organes des cadavres ne nécessite pas de conditions stériles particulières. Mais chez les vivants, le processus est plus complexe et exige un travail chirurgical d’équipe à réaliser dans des conditions stériles et en salle d’opération. Ensuite, l’équipe chirurgicale doit immédiatement effectuer la transplantation de l’organe chez le receveur, ce qui exige une organisation encore plus grande et un milieu stérilisé. Les organes peuvent aussi être transportés dans des établissements sanitaires.

« Si cela avait été effectué, alors cela a dû être fait par une équipe très experte et chevronnée. L’établissement qui reçoit les organes pour la transplantation doit vérifier qu’elle a bien reçu les organes. Si les organes sont transportés par avion ou hélicoptère, le vol doit être annoncé. Il doit en rester une trace. Les organes sont transportés dans des conditions particulières et dans un délai fixé. L’examen du cadavre doit permettre de constater si les organes ont été retirés, mais pas chez ceux qui n’ont plus de tissus. Les corps des personnes du Kosovo étaient soit dans un état avancé de décomposition ou bien il ne restait plus que les os », explique Stanković. Il ajoute que s’il est vrai qu’une baraque a été trouvée avec des instruments et des médicaments, il faudrait immédiatement enquêter afin que les chirurgiens en transplantation constatent s’il est possible d’effectuer le retrait et la transplantation d’organes avec les appareils trouvés et si les médicaments sont utilisés à ces fins.


Non-collaboration de la Kfor et la Minuk


Il y a sept ans, les autorités serbes avaient envoyé au Parquet de La Haye la liste des prisons secrètes au Kosovo et au nord de l’Albanie, mais d’après les affirmations de l’actuel vice-Premier ministre Nebojša Čović, elles n’ont jamais reçu de réponse sur le matériel préparé par les services de sécurité, car la Kfor et la Minuk n’ont pas voulu collaborer à l’enquête. Ces deux missions internationales au Kosovo ont rejeté les allégations de Čović.

Gvozden Gagić, conseiller du président de la Commission pour les personnes disparues, dit qu’après avoir formé la Commission pour l’application de l’Accord technico-militaire en 1999, sont apparues les premières informations sur les fosses communes et certaines autres inhumations en Macédoine et en Albanie.

« Nous avons informé la Kfor et la Minuk de toutes ces informations en insistant pour que ces faits soient constatés. Nous avions les informations des régions où elles se trouvaient mais non pas l’endroit précis. La réponse que nous avons reçue de la Kfor et de la Minuk était que leur mandat ne concernait que le Kosovo et Metohija et qu’ils ne pouvaient pas procéder aux enquêtes sur les territoires de la Macédoine et de l’Albanie. Nous avons directement informé la procureure générale Carla Del Ponte, mais elle a émis des réserves en disant que son mandat se terminait le 10 juin 1999 et qu’elle ne pouvait traiter les cas que jusqu’à l’arrivée des forces de paix au Kosovo », souligne Gagić.


Difficiles estimations


D’après ses propos, toutes les personnes qui étaient prêtes à donner certains renseignements n’ont pas voulu communiquer avec les services de sécurité serbes. Gagić indique qu’il s’agissait en général d’Albanais qui ont gardé les biens des Serbes après leur disparition. Interrogé pour savoir le nombre de personnes en question, Gagić a répondu qu’il était difficile de donner des estimations, mais que d’après certaines informations il y aurait eu environ 400 personnes dans les mines de Burel.

« Nous n’avons pas trouvé de preuves. Certains corps qui étaient alors dans les mines de Burel, du côté albanais, ont été retrouvés plus tard au Kosovo, identifiés et remis à leurs familles. Nous n’excluons pas la possibilité qu’il s’agisse des 400 personnes dont les corps ont été restitués plus tard au Kosovo et enterrés, mais nous n’avons pas de preuves », a expliqué Gagić.

Vladan Batić, ancien ministre de la Justice au gouvernement de Serbie, confirme que son ministère n’a pas eu de preuves sur le trafic d’organes au Kosovo, mais si les allégations s’avèrent exactes, ce serait le crime le plus monstrueux depuis l’époque de Josef Mengele [1] ».

« Nous n’avons rien trouvé sur le trafic d’organes. Des rumeurs ont circulé que des personnes avaient été kidnappées dans la région de Dukagjin où agissait l’UÇK et qu’elles avaient été emmenées dans le nord de l’Albanie. Nous avons eu des preuves des enlèvements mais non pas de ce qui s’est passé après », a déclaré Batić.

V. Dragić et A. Roknić - Traduit par Persa Alugrudić

[1] Josef Mengele (1911-1979) était un médecin nazi allemand qui a réalisé des expériences particulièrement sadiques sur les prisonniers d’Auschwitz, et a participé à la sélection des envois vers les chambres à gaz.


Source : http://balkans.courriers.info
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