C’est l’homme qui brouille les pistes en permanence. Considéré comme un clown par les médias américains libéraux (de gauche) en 2016, neuf ans plus tard, c’est lui qui mène le Grand Jeu. Il a toujours un coup d’avance, comme Sarkozy, toutes proportions gardées, quand il a connu son ascension fulgurante, de ministre de l’Intérieur à président de la république. Ensuite, ça s’est gâté.
Lire Trump, c’est se perdre dans la jungle de ses coups et de ses intentions. Il y a des fausses pistes qui débouchent sur des autoroutes et des autoroutes qui débouchent sur des impasses. Ceux qui ont pris Trump pour un con se sont plantés, et là, on pense à tous les analystes des médias français, aussi médiocres qu’idéologiquement limités. Car on ne peut pas faire de bon journalisme avec une grille idéologique, forcément en conflit avec une autre grille pour comprendre le réel. C’est insuffisant.
Alors, la plupart des analyses sur Trump ont lieu après coup, c’est-à-dire quand la fumée s’est dissipée, et que le coup devient clair. C’est un joueur d’échecs, même s’il ne sait pas jouer aux échecs. Ses coups ont deux lectures, la première est celle d’une erreur, la seconde celle d’une surprise. Cela ne fonctionne pas toujours, mais il joue avec la force, la faiblesse et la psychologie de ses adversaires. Car parmi les grands de ce monde, il n’a pas d’amis : que des amitiés de circonstance.
Personne ne peut dire aujourd’hui que Trump est dans la main de Netanyahou, ni même de Poutine ou de Xi. Il a fait la guerre à Poutine via les armes US livrées à l’Ukraine, des armes payés par ces couillons d’européistes, qui nous ont fait perdre des milliards, nos milliards, partis en fumée dans les plaines et les villes d’Ukraine.
Trump a aussi fait la guerre à Xi, pour des motifs économiques, la fameuse réindustrialisation américaine, et le rétablissement des comptes de la balance commerciale. Idem avec Salmane et Khamenei : le premier a été mis sur la touche au départ par l’administration américaine, suite à l’enlèvement et au meurtre d’un journaliste opposant en Turquie. Mais Salmane a su ouvrir des négociations avec Poutine et Xi, ce qui lui a rendu son poids diplomatique. Et Trump, au fond, est un pragmatique : il n’a pas d’affects. Il cherche des soutiens, des vassaux, des amis et des ennemis selon ses intérêts, qui sont, globalement, ceux du peuple américain.
Mais l’invariant de la politique extérieure américaine, c’est l’affaiblissement, celui de ses amis et celui de ses ennemis. C’est ainsi que l’Amérique, malgré ses difficultés intérieures et sa dette, continue à être le gendarme du monde. Trump, à ce propos, utilise la force à bon escient : un peu, mais pas trop. Il n’engage pas son pays dans une guerre sans fin contre tout un peuple, une guerre en général ingagnable. Le Viêt Nam, l’Afghanistan ou l’Irak ont calmé les ardeurs américaines.
Après la guerre des Douze Jours, qui a été analysée comme aucune autre, c’est après coup que les spécialistes de géopolitique comprennent ce qu’il s’est vraiment passé. La plupart sont passés à travers. Soudain, le crétin de Trump est devenu un stratège avisé, le fou est devenu sage. Sapir, interrogé par Kuzmanovic, qui semble sous le charme, sort de son silence pour dire ce qui a déjà été dit chez nous, notamment par Youssef Hindi :
Moins pontifiant et catégorique, Todd reste toujours prudent, et s’en tient à sa grille d’analyse, qui ne lui a pas fait défaut jusqu’à présent. Son analyse, celle des tendances longues, va plus en profondeur et ne tient pas compte des aléas ou des accidents de l’histoire, comme un échange de bombardements.
Du côté des Américains, on s’intéresse plus à la chose militaire, comme Larry Johnson, le colonel McGregor ou George Galloway.
Pourquoi affirmons-nous qu'Israël a été écrasé par les frappes iraniennes ? Un analyste américain renommé répond à cette question !
« Les États-Unis ont été contraints d'intervenir pour empêcher la destruction d'Israël par l'Iran. »
◾️Larry Johnson, ancien analyste de la CIA :… pic.twitter.com/RMswcboP7m
— Brainless Partisans (@BPartisans) June 30, 2025
Enfin, on retrouve Thierry Meyssan, dont les analyses sont souvent complexes, voire invérifiables, mais qui ont l’avantage de l’originalité. De plus, il propose toujours une grille d’analyse globale. Face à lui, l’intervieweur de Kairos pense « qu’il [Trump] se lance dans une guerre sans précédent », alors qu’il a appliqué le principe de Red Adair à l’extinction d’un puits de pétrole en feu : faire tout simplement sauter le conflit pour l’éteindre.
Dans la presse mainstream, le niveau d’analyse est abominable, à quelques exceptions près. Un Lellouche, pourtant sarkozyste et otaniste convaincu, ne dit pas que des conneries, et Renaud Girard, dans Le Figaro, tape peu mais tape juste. Nous avons résumé sa dernière analyse intitulée « Comment Donald Trump pourrait réussir au Moyen-Orient ».
La chorégraphie américaine autour de la destruction des installations nucléaires de la Perse a été, une fois n’est pas coutume, relativement élégante. Car elle fut à la fois diplomatique et militaire, sans excès dans l’usage de la force, avec une porte de sortie honorable laissée aux Iraniens. Il y a d’abord eu une phase diplomatique, dont ne voulait pas le Premier ministre israélien mais qu’a imposée le président américain. Grâce à la médiation du Sultanat d’Oman, les Américains et les Iraniens ont négocié pendant deux mois. Donald Trump avait donné deux mois à l’Iran pour accepter la proposition américaine, qui exigeait l’interruption totale de l’enrichissement d’uranium. Les Iraniens n’ayant pas répondu positivement, Netanyahou a, le 13 juin 2025, lancé sa campagne de destruction du programme nucléaire iranien.
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La riposte iranienne à l’attaque américaine tenait également de la chorégraphie géopolitique. Non sans avoir prévenu à l’avance les militaires américains, les Iraniens ont lancé quatorze missiles sur une base aérienne américaine située au Qatar, tout en prévenant l’émir qu’ils ne s’estimaient pas en guerre contre lui. Aucune victime américaine ne fut à déplorer.
Quatorze partout, la face était sauve, il était temps d’arrêter. C’est ce qu’a très bien compris Trump en imposant un cessez-le-feu aux Israéliens comme aux Iraniens. Le président américain a réussi à éviter qu’un Israël victorieux ne tombe dans l’hubris et qu’un Iran affaibli ne se précipite dans une fuite en avant désespérée (comme le minage du détroit d’Ormuz).
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Mais l’important est maintenant de ramener l’Iran au sein de la communauté internationale. Trump a eu raison de lui proposer un autre destin que celui d’un expansionnisme militarisé finissant en catastrophe. La Perse peut redevenir la grande puissance commerciale et culturelle qu’elle fut depuis la nuit des temps. Trump a invité l’Iran à suivre cette voie. La jeunesse iranienne est éduquée (les femmes avec un diplôme universitaire y sont plus nombreuses que les hommes), elle parle anglais, elle manie l’informatique, elle ne rêve que d’ouverture au monde extérieur. Cette jeunesse n’a strictement rien contre Israël. Elle sait que, dans leur histoire, les Perses n’ont jamais fait que libérer les Juifs.
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Pour cela, Trump devra offrir à l’Iran sa carotte, après avoir brandi son bâton. Il s’agit de lever les sanctions qui handicapent l’économie iranienne depuis plus d’un demi-siècle. Il s’agit de renouer les relations diplomatiques, interrompues depuis 1979, après la prise en otages des diplomates de l’ambassade américaine à Téhéran – dont, rappelons-le, aucun n’est mort. L’économie iranienne a besoin, pour la réfection de son industrie pétrolière, de la technologie américaine. Et dans tout ce processus, les Américains devront traiter les Iraniens avec le respect dû à une civilisation millénaire. C’est une prouesse dont Trump est tout à fait capable.
Girard termine sur le prochain chantier de Trump : la paix en Palestine. Après les massacres, toujours en cours, on ne voit pas quelle peut être la solution. À part un regime change à Tel-Aviv...
Nous terminerons sur deux informations : le ministre de la Défense, Israël Katz, se réserve le droit (!) de poursuivre les attaques sur l’Iran, maintenant qu’Israël a la maîtrise du ciel. Deuxième point, en rapport : les Iraniens seraient en train de dealer des systèmes de défense anti-aériens S-400 avec les Russes. Jusqu’à présent, un accord entre Russes et Israéliens avaient bloqué cet équipement.