Eduardo Galeano, Mémoire du feu :
« 1908, Mérida du Yucatán
RIDEAU !
Maintenant, le train s’éloigne, maintenant, le président du Mexique s’en va. Porfirio Díaz a examiné les plantations d’agaves du Yucatán et il en emporte la meilleure impression.
- Beau spectacle, a-t-il dit, au cours d’un dîner avec l’évêque et les propriétaires de millions d’hectares de terres et de milliers d’Idiens qui produisent des fibres à bon marché pour la International Harvester Company. On respire ici une atmosphère de bien-être général.
Le panache de fumée de la locomotive s’estompe maintenant dans le ciel. Alors, les maisons de carton peint, aux fenêtres coquettes, s’écroule d’un seul coup, guirlandes et petits drapeaux vont aux ordures, ordures balayées, ordures brûlées, et le vent arrache d’un souffle les arceaux de fleurs dressés sur le chemin. Dès que la rapide visite est terminée, les marchands de Mérida récupèrent les machines à coudre, les meubles et les vêtements flambant neufs que les esclaves avaient revêtus pour la représentation
Les esclaves sont les Indens Mayas, ceux-là-mêmes qui, il n’y a pas si longtemps, vivaient libres au royaume de la petite croix qui avait parlé, et des Indiens yaqui des plaines du Nord, achetés à quatre cents pesos la tête. Ils dorment, entassés dans des forteresses de pierre et travaiellent au rythme du fouet mouillé. Quand l’un d’entre eux se révolte, on l’enterre jusqu’aux oreilles et on lance les chevaux. »