Nous sommes ici dans le défaut typique du marxisme : malgré une analyse pertinente, il y a un décollement du réel et on entre dans un absolu quasiment religieux, ici la communauté de l’être qui reviendra après la fin du mercantilisme. Entre temps, donc, il n’y a que des compromissions par rapport à une "critique radicale" dont l’horizon révolutionnaire, curieusement, n’est pas à provoquer avant une auto-destruction du capitalisme. Cela manque totalement de pragmatisme et n’est bon finalement qu’en lyrisme. Plus fondamentalement, comme j’essayais de le montrer dans mon précédent commentaire, il y a la même erreur que chez Marx, Rousseau, ou dans l’islam : l’abolition du péché originel. Si à "communauté de l’être" vous substituez "le royaume", alors vous aurez une lecture plus précise. Je m’explique. "Le royaume n’est pas de ce monde", il est la création de Dieu, il est la Justice et la Vérité de Dieu. Mais il est cependant d’une certaine façon donné à l’homme en ce monde. Il fut donné, puisque l’homme fut créé "à l’image de Dieu". C’est par son péché qu’il a brisé ou du moins recouvert cette image. Le double commandement du Christ, tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur etc et on prochain comme toi-même, et surtout l’ajout qu’il fait, ces deux commandements en vérité ne font qu’un seul, sont le contraire de la double injonction contradictoire du monde et de l’argent. En son incarnation et son message, le Christ nous restitue le royaume là où il est, à la fois comme intériorité et relation d’amour, de visage à visage, de fragilité à fragilité. Le royaume est intact, c’est en cela qu’il n’est pas de ce monde, mais dès que nous recevons la divinité du Christ dans le prochain, nous goûtons au royaume. Cela, je suppose, est accessible, à l’athée, au musulman comme au bouddhiste, par compréhension de la rencontre transcendance-immanence. Dès qu’il y a bon cœur, en un sens, le royaume affleure, de même qu’un chrétien pratiquant peut gravement s’en éloigner. On ne peut répondre à Francis Cousin que par la théologie parce que précisément il nous propose une eschatologie chrétienne hérétique, où le fantasme de la communauté de l’être, en éclipsant tout le réel, nous cache la violence qu’il porte. C’est plutôt par la conversion, en faisant grandir ce royaume, que nous nous donnerons une chance dans ce monde et dans l’autre, d’échapper à la bête qui nous broie. C’est aussi le seul chemin de la France.