Rencontre avec Thomas Boussion
12 juin 18:10, par ÀQuel.L’immaturité permanente..
Quand un gauchiste se revendique progressiste à la manière de KarlMarx, il est déstabilisé quand je lui explique qu’on lui a menti sur le véritable progressisme de Marx. Et lorsqu’il nie les vérités historiques que jelui avance, je peux alors le cataloguer sans hésitation de gauchiste.
Il faut être attentif àla chronologie lorsque l’on parle de Karl Marx ou qu’on le cite. Je me réfère ici au Marx tardif.. Celui de la maturité ?
À partir des années 1870, notamment après ses échanges avec les populistes russes et sa lecture d’anthropologues, Marx revient sur plusieurs certitudes. Dans ses cahiers ethnologiques(1879-1882) et dans sa lettre àVera Zassoulitch(1881), il s’intéresse aux formes de propriété collective en Russie, chez les Iroquois, les communautés musulmanes kabyles, ainsi que dans les communautés rurales chrétiennes russes. Il envisage qu’un communisme puisse émerger directement de ces structures communautaires, à condition qu’elles se connectent à un mouvement révolutionnaire global. Il ne les voit plus comme archaïques ou despotiques, mais comme porteuses d’un potentiel émancipateur réel.
Cette inflexion profonde marque une divergence importante, y compris au sein des critiques du capitalisme. À l’époque, nombre d’entre eux – y compris Engels, semble-t-il – restent attachés à une vision progressiste, linéaire et eurocentrée de l’histoire. L’Occident est alors perçu comme le seul moteur réel du devenir historique, tandis que l’Orient en serait exclu, figé dans un supposé despotisme musulman ou asiatique. Ce regard, que Edward Said nommera plus tard orientalisme, justifie la colonisation comme mission civilisatrice et dépolitise les résistances non occidentales, réduites à du fanatisme religieux.
Mais dans ses derniers écrits, Marx prend ses distances avec ce cadre idéologique : il amorce une véritable révision critique de son propre universalisme, et reconnaît que la Tradition — entendue comme forme collective vivante — peut constituer une force de résistance au capitalisme. C’est là un tournant décisif, largement ignoré par les marxismes ultérieurs, qui ont conservé l’idée que la religion était un « opium » dont il fallait libérer les peuples.
…Or Marx, en fin de vie, semble comprendre au contraire que certaines formes spirituelles ou communautaires, loin d’aliéner, peuvent nourrir un projet d’émancipation radicale, pourvu qu’elles échappent à l’ordre marchand.