Je vous sais gré de vous intéresser à ce chapitre de l’histoire coloniale française volontiers minimisé ou passé sous silence parce qu’humiliant ou contraire à la mythologie républicaine. Malheureusement, l’aspect idéaliste d’une entreprise politique sert principalement à occulter les mécanismes sordides inavouables de la domination. Dans le cas de la Nouvelle-France, le pouvoir politique pouvait bien manifester envers les Nations Amérindiennes un égalitarisme racial théorique justifié par l’application stricte des dogmes catholiques, parce que le vrai pouvoir était exercé par des entrepreneurs (souvent Nantais ou Bordelais) agissant en tant qu’officiers supérieurs de l’armée à titre purement privé, les seigneurs et les ecclésiastiques, le plus souvent réduits à la portion congrue, servant de simple relais justificateur de ce pouvoir dans le cadre théorique de la coutume féodale française.
Dans la réalité, ce n’était pas les Amérindiens qui étaient traités en égaux, c’étaient les paysans-soldats français qui étaient traités en inférieurs au même titre que les Amérindiens, au point que beaucoup des uns et des autres désertaient vers les meilleurs revenus d’emploi de la Nouvelle-Angleterre et qu’il fallait les menacer de mort pour les dissuader.
L’égalité théorique inter-raciale française masquait une bien plus grande inégalité pratique inter-classe, surtout quand on sait que les racistes de l’époque étaient plus préoccupés des traits raciaux propres aux classes supérieures dans chaque nation, que de nations supérieures comme telles. On ne reconnaissait la noblesse de certains types amérindiens que pour les encourager à dominer la piétaille de leurs peuples respectifs, comme plus tard les Tutsi au Rwanda.
Dans la réalité, Québec était une colonie-garnison ou des intérêts privés fermiers disposaient d’une main d’oeuvre corvéable et miliciable à merci, exactement comme plus tard à deux siècles de distance le Djibouti (Somalie française), ou le même modèle prévalut, et qui a fini progressivement abandonné par la France au terme d’un calcul sordide semblable. La véritable superficie du Québec effectivement mise en valeur et contrôlée en 1759 était effectivement celle du Djibouti peu ou prou, le reste du vaste empire franco-américain s’étendant jusqu’aux Far-West sur les cartes étant imaginaire, comme le fut plus tard l’empire imaginaire français soudanais avant d’être humilié à Khartoum et à Fachoda par la même puissance anglaise.