Pierre Rabhi : « C’est la civilisation la plus fragile de l’Histoire »
1er janvier 2011 03:56, par Oursdujura« La chose la plus importante c’est donc la terre qui nous nourrit »
Pierre Rabhi est un des chantres de ce qu’on pourrait appeler le néo-agrarisme. Et c’est un passionnant sujet d’étude.
L’agrarisme est un concept politique défini par l’historien Pierre Barral en 1968 : il nomme ainsi une doctrine, un corpus d’idées qui a traversé les XIXe et XXe siècles en Europe centrale et surtout (dans une forme singulière) en France.
Basée sur l’exaltation de la petite propriété familiale et des vertus paysannes, cette doctrine interclassiste a tour à tour inspiré les différents partis de gauche à droite.
D’abord, elle fût prônée par Gambetta et ses républicains qui, au début de la IIIe, ont compris qu’ils ne pourraient asseoir leur régime que sur les masses paysannes. En les flattant et en votant des lois qui leur étaient favorables (notamment en 1884 celle sur les syndicats agricoles) ils voulaient attirer à eux les paysans qui étaient vu comme des conservateurs depuis l’élection de Napoléon III après la sanglante révolution de 1848.
Ensuite se sont les blancs (ceux qu’on placerait aujourd’hui à l’extrême-droite, disons le Parti de l’Ordre si l’on veut) qui, en créant leur syndicat d’ Union Nationale des Syndicats Agricoles (qui deviendra en gros la corporation de Vichy puis la FNSEA aujourd’hui majoritaire) vont reprendre la rhétorique agrarienne et à leur tour vanter la terre et ses vertus face à la décadence urbaine et le péril rouge qu’elle fait courir au peuple désuni par la lutte des classes internationale prônée par les "moscoutaires". C’est là que va renaître le catholicisme social de La Tour du Pin et que va se forger la doctrine corporatiste qui me semble aujourd’hui des plus pertinentes.
Reprises par certains activistes du Front Populaire (pour qui le sillon était le dernier rempart de la Liberté contre le Fascisme), les idées agrariennes sont à leur apogée à la fin des années 30 quand le grand Parti Social Français (1,2 millions d’adhérents en 2 ans, contre seulement 800 000 au PCF à la Libération quand tout le monde voulait en être...) a amorcé l’Union Nationale autour de la célèbre devise des Croix de Feu et Briscards (les poilus en mal d’union Sacrée) Travail, Famille, Patrie ; la Terre étant le dénominateur commun de ces trois piliers par l’Agriculture, la Propriété et l’Enracinement.
Elles vont prospérer à Vichy dans la Corporation et peuvent, à mon avis, largement expliquer l’adhésion massive des parlementaires et des Français encore majoritairement ruraux au Maréchal Paysan qui devait supporter la Défaite et réparer les errements des cosmopolites Blum&cie (« Tout ce qui est international est nuisible » disait-il).
Après la guerre, c’est autour du Général (que certains historiens considèrent comme l’héritier du Colonel La Rocque, chef du PSF) que l’agrarisme va renaître autour de la Jeunesse Agricole Chrétienne et de la FNSEA mais, "modernisation" oblige, il va subir, comme beaucoup d’idées de ces temps là, les assauts anglo-saxons de l’hyper-concentration, du productivisme (c’est par exemple pour "sauver l’agriculture" qu’on a demandé aux "exploitants" d’arracher les haies... cause aujourd’hui entre autres de la désertification de nos plaines) et plus généralement, après la lutte des classes, la division du travail.
Il restera, dans les milieux de Droite quelques radicaux pour vanter la Terre autour notamment des associations cynégétiques (qui ont, sans subventions, sauvé plus d’espaces et d’espèces sauvages que tous les Natura 2000 (cf. Flash n° 54) mais leur audience sera très réduite.
Les idées agrariennes n’en ont pas pour autant disparu des débats. On a vu comment elles étaient passées d’un bout à l’autre de l’échiquier politique. Dernièrement, elles ont fait le grand écart.
Voilà comment on en revient à Pierre Rabhi. Aujourd’hui, une partie importante de la Gauche alter ou anti mondialiste et écologiste, par sa critique de la croissance et sa défense du Tiers-Monde, en revient à la défense de la Terre et à l’exaltation de ses vertus. Retour à l’économie villageoise, "localisme", défense des artisanats et des agricultures (dont on a entendu à la radio ce qu’en pensait Askolo*), les plus perspicaces des progressistes (ceux dont on peut considérer que les vues le sont réellement s’entend) se retrouvent être les nouveaux agrariens.
Ce n’est plus Travail, Famille, Patrie mais Sobriété, Bonheur, Communauté.
Ce qui, si l’on veut, revient au même étant entendu que si Travail signifiait aussi épargne et humilité, Sobriété s’entend par artisanat et frugalité ; que le Bonheur réel ne se trouve qu’en Famille (à quelque "degré" que ce soit) ; et que la Patrie n’est jamais que la grande Famille constituée par les générations successives.
Et une fois de plus c’est la Terre qui reçoit des éloges parce qu’elle ne rend pas fou, elle est solide et nous nourrit.
En fait je crois que c’est vraiment un des traits les plus caractéristiques de notre chère identité nationale. Le terroir, la gastronomie, le bon vieux temps des cartes postales noir et blanc, au delà des images d’Epinal et des faux semblants publicitaires nous montre tous les jours cet attachement (aujourd’hui trop largement fantasmé) à la Terre.
J’en veux pour preuve les élections présidentielles de la Ve République et surtout les affiches de campagnes.
A-t-on déjà gagner avec autre chose qu’une image rurale, champêtre ou villageoise ? La force tranquille devant son clocher, les pommes de Chirac et même le nain qui pose à l’orée du bois... Pétainiste dirait l’autre.
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