George Orwell au moment de l’écriture de ce livre n’est pas dans une grande forme psychique, donc pour le moins ce n’est pas un prophète. C’est également quelqu’un qui a toujours travaillé pour les secrets britanniques et dont le patriotisme britannique est sans faille. Mais contrairement à Huxley, issu d’une famille aristocratique, ce n’est pas quelqu’un dans le secret des dieux de l’oligarchie. C’est plutôt une espèce de zoologue qui étudie la vie et les moeurs de l’oligarchie avec qui il a eu affaire toute sa vie, du point de vue d’un quidam de la classe roturière.
Goldstein, dans la fiction d’Orwell, représente clairement le Trotsky d’un totalitarisme marxiste anglo-saxon sensé faire pendant à l’empire bolchévique et à l’empire maoïste. Il ne faut pas oublier que le trotskysme était le type de marxisme et de gauchisme mis de l’avant par l’intelligentsia britannique et par le services secrets britanniques : dans "hommage à la Catalogne" Orwell se décrit comme un militant du POUM, formation trotskyste.
Le newspeak d’Orwell fait référence à deux projets : l’Espéranto, dont Orwell a fréquenté des représentants toute sa vie, dont en France Eugène Lanti ; et le Basic English, une forme d’anglais réduit d’un peu moins de mille mots (mais combinables) à destination des gens des colonies de l’empire britannique, simplifié pour être appris en un aussi court temps que l’Espéranto, et qui s’est vu mis plus ou moins de côté avec la chute de l’Empire. L’Espéranto est la seule langue artificielle où tous les adjectifs de sens opposé à l’adjectif simple dérivent de ce dernier par un seul préfixe inversif simple (mal-, un- en anglais, de- ou in- en français) comme pour réduire le vocabulaire à l’envi avec toutes ses nuances (ce n’est pas la seule langue naturelle à procéder ainsi toutefois : le sanskrit (détesté d’Orwell) use aussi fort du préfixe an- pour l’inversif, nir- pour le privatif, su- pour le mélioratif et dur- pour le péjoratif ; le turc fonctionne ainsi également).
Orwell a une mentalité complètement entachée de préjugés qu’il entend bien garder, et qui ne sont pas de simples préférences patriotes du genre déplaisantes aux intellos. Il déteste en premier lieu toute l’Inde qu’il accuse d’avoir corrompu les Anglais par leur mentalité plus que l’inverse (il faut le faire). Il n’a pas une bonne opinion de l’Irlande non plus et tous les petits méchants de ses récits sont des Irlandais. Il tient la France pour la culture adverse éternelle en Europe.