"Il aurait pu être un très grand historien du droit mais la psychanalyse lui a ruiné l’esprit"
11 mars 2023 10:36, par Paul AntoineLes malentendus sont nombreux sur l’oeuvre de Pierre Legendre. Le jugement sévère de Malaurie, figurant à la tête de cet article, en fait partie. Malaurie était un brillant professeur de droit civil et ses manuels d’enseignement étaient utilement truffés d’allusions au droit romain et au droit canon, mais il faisait fausse route en voyant en Pierre Legendre un historien du droit fourvoyé. En effet, le propos de Legendre n’est pas l’histoire du droit mais une analyse anthropologique des soubassements de l’Occident, menée d’abord à partir du corpus de la scolastique juridique médiévale et de ses prolongements modernes.
Un autre malentendu consiste à voir l’oeuvre de Legendre comme un produit du structuralisme et de la psychanalyse. En réalité, ses méthodes de réflexion sont avant tout classiques, d’un classicisme antérieur à la doxa cartésienne et au positivisme. Il retrouve des voies anciennes de connaissance où la mythologie avait pour fonction de se défier de l’illusion des surfaces lisses et dorées, illusion toujours favorisée par les puissants du moment. C’est dans cette perspective qu’il utilise certains aspects de la psychanalyse et du structuralisme, très à la mode dans les années 60 et 70, époque où il commença à publier. C’est aussi une manière d’établir un pont entre un mode ancien de dévoilement des choses et un mode moderne. Dans un texte datant de 1984, il indiquait : "Sans doute faut-il en revenir aux formulations poétiques, à Virgile par exemple (...) ou encore aux doctrines des premiers scolastiques sur les rêves et la catégorie des images (...), afin de réviser nos jugements hâtifs, appuyés par une théorie expéditive de la communication industrielle, quant à la notion même de fiction et à la nature des jeux de l’illusion." Legendre a vu venir de loin le management des perceptions pratiqué à grande échelle par des agences comme Havas ou McKinsey. Il a critiqué cela comme une menace pour la structure ordonnée de la personne humaine, comme une action propre à "destituer le sujet humain". Son souci constant a été le long processus souterrain d’aliénation qui aboutit aujourd’hui au transhumanisme.