Egalité et Réconciliation
https://www.egaliteetreconciliation.fr/
 

L’assassinat du président Habyarimana : entre certitudes, interrogations et « enfumage

par Bernard Lugan

Ce ne sont pas leurs conclusions que les juges Trévidic et Poux communiquèrent aux parties (défense, parquet et parties civiles) le mardi 10 janvier 2012, mais simplement le rapport des experts techniques (balistique, acoustique etc.,) mandatés pour les éclairer sur la question de savoir d’où furent tirés les missiles qui, le 6 avril 1994, abattirent en vol l’avion du président Habyarimana.

Ce document qui sera soumis à contre-expertise ne constitue qu’un élément du volumineux dossier concernant l’assassinat du chef de l’Etat rwandais. Simple étape dans la procédure, il ne permet aucune extrapolation car il ne dit pas qui a, ou qui n’a pas, abattu l’avion présidentiel. Enfin, dans l’état actuel de la procédure et du dossier, cette pièce ne rend en rien obsolète l’ordonnance rendue par le juge Bruguière en 2006.

Revenons-en donc aux seuls faits.

Le 6 avril 1994 vers 20h 30, alors qu’il allait atterrir à Kigali, l’avion du président hutu Juvénal Habyarimana fut abattu par deux missiles portables SAM 16 dont les numéros de série étaient respectivement 04-87-04814 et 04-87-04835 ; or, comme cela a été établi devant le TPIR, l’armée rwandaise ne disposait pas de tels missiles.

La traçabilité de ces engins a été reconstituée : fabriqués en URSS, ils faisaient partie d’un lot de 40 missiles SA 16 IGLA livrés à l’armée ougandaise quelques années auparavant. Pour mémoire, Paul Kagamé et ses principaux adjoints étaient officiers supérieurs dans l’armée ougandaise avant la guerre civile rwandaise.

Trouvèrent la mort dans cet acte de terrorisme commis en temps de paix, deux chefs d’Etat en exercice, les présidents Juvénal Habyarimana du Rwanda et Cyprien Ntaryamira du Burundi, ainsi que deux ministres burundais, MM. Bernard Ciza et Cyriaque Simbizi. Parmi les victimes se trouvaient également le Chef d’état-major des FAR (Forces armées rwandaises), le général Deogratias Nsabimana, le major Thaddée Bagaragaza, responsable de la maison militaire du président rwandais, le colonel Elie Sagatwa, beau-frère du président Habyarimana et chef de son cabinet militaire, ainsi que l’équipage français composé de MM. Jacky Héraud, Jean-Pierre Minoberry et Jean-Michel Perrine, tous trois civils.

Quelques heures après l’attentat, dans la nuit du 6 au 7 avril, et alors que l’armée rwandaise avait été décapitée, les forces militaires du FPR rompirent le cessez-le-feu en vigueur depuis 1993 et entamèrent la conquête du pays. Cette offensive avait été soigneusement planifiée puisque des moyens en hommes et en matériel avaient été pré-positionnés comme cela a également été amplement mis en évidence devant le TPIR.

Paralysée par l’embargo sur les armes et les munitions qu’elle subissait[1], l’armée rwandaise fut défaite. D’immenses tueries se déroulèrent dans le pays, le génocide des Tutsi étant selon le juge espagnol Merelles (2008), doublé d’un massacre de masse des Hutu par l’APR (Armée patriotique rwandaise), commandée par Paul Kagamé.

Depuis cet attentat, deux thèses s’opposent :

1) Celle de l’attentat commis par des « extrémistes hutu » qui auraient assassiné leur propre président ainsi que leurs propres partisans qui étaient à bord de l’avion afin de pouvoir déclencher un génocide qu’ils avaient programmé et préparé.

La principale faiblesse de cette thèse est que le Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR) a, dans tous ses jugements concernant les « principaux responsables du génocide », que ce soit en première instance ou en appel, clairement établi qu’il n’y avait pas eu entente pour commettre ce génocide et qu’il n’avait donc pas été programmé.

2) Celle d’un attentat commis par le FPR sur ordre du général Kagamé afin de décapiter l’Etat rwandais et disposer d’un prétexte pour prendre militairement le pouvoir. Ethno-mathématiquement parlant, les élections prévues sous supervision de l’ONU allaient en effet donner une victoire automatique aux Hutu (+-90% de la population) sur les Tutsi (+-10%) et cela en dépit de leurs divisions. Cette thèse est notamment celle du juge Bruguière.

Saisi par les familles de l’équipage français et par la veuve du président Habyarimana, le juge Bruguière qui ne s’est pas rendu au Rwanda et qui a mené son enquête d’une manière classique, a rendu une ordonnance (novembre 2006) dans laquelle il accuse le président Kagamé d’avoir ordonné l’attentat qui coûta la vie à son prédécesseur.

Le juge Bruguière se fondait notamment, mais pas exclusivement, sur les déclarations et témoignages de plusieurs transfuges tutsi qui lui donnèrent force détails sur l’opération, dont les noms des membres du commando ayant abattu l’avion. L’un d’entre eux, Abdul-Joshua Ruzibiza, répéta ses accusations, sous serment cette fois, devant le TPIR et les procès verbaux des audiences concernées sont très clairs à ce sujet. Il se rétracta ensuite au sujet de ce qu’il avait déclaré au juge français, tout en confirmant ce qu’il avait dit aux juges du TPIR. Or, ses propos avaient été identiques. Puis, quelques semaines avant sa mort, il revint sur sa rétractation française et confirma devant les juges la version primitivement donnée au juge Bruguière.

L’ordonnance de soit-communiqué rendue au mois de novembre 2006 par ce dernier allait très loin puisque des mandats d’arrêt contre plusieurs membres du premier cercle de Paul Kagamé furent lancés et qu’il recommanda au TPIR (Tribunal pénal international pour le Rwanda) d’inculper le président rwandais. Le 6 février 2008, via Interpol, le juge espagnol Merelles qui soutient la même thèse que le juge Bruguière, lança plusieurs dizaines de mandats d’arrêt contre de hautes personnalités de l’actuel régime rwandais.

Le document remis aux parties par les juges Trévidic et Poux le 10 janvier remet-il en question cet exposé du dossier ?

Non, car la seule nouveauté qu’il contient concerne le lieu du tir des deux missiles[2]. Selon le rapport d’expertise, ce lieu se situerait « probablement » dans le camp militaire de Kanombe, soit à une distance d’à peine deux à trois kilomètres de la ferme de Masaka identifiée comme point de tir par le juge Bruguière. De plus, et il est important de le préciser, cette « probabilité » n’est pas apparue aux experts balistiques à la suite d’une démonstration, mais par élimination et en raison des arguments de l’expert acoustique, ce qui devra être étayé lors de la contre-expertise.

Les juges Trévidic et Poux vont maintenant devoir confronter ce rapport d’expertise aux autres éléments du dossier.

Ils vont ainsi et notamment devoir résoudre la question des étuis des deux missiles trouvés à Masaka, la question étant de savoir s’ils y ont été abandonnés par les tireurs de l’APR, ce qui ramènerait l’accusation dans le camp de Paul Kagamé, ou si, après avoir abattu leur propre président, leur propre chef d’état-major et leurs propres amis, les « extrémistes » hutu les y auraient déposés afin de faire croire à la responsabilité de l’APR/FPR.

Ils vont également devoir comparer le rapport d’expertise et ses « probabilités » à ceux des témoignages contenus dans le dossier et qui donnent avec une grande précision et une impressionnante quantité de détails le lieu du tir, à savoir Masaka, ainsi que les noms des deux tireurs et des membres de leur escorte, la marque et la couleur des véhicules utilisés pour transporter les missiles depuis l’Ouganda jusqu’au casernement de l’APR situé au centre de Kigali et de là jusqu’au lieu de tir à travers les lignes de l’armée rwandaise, ainsi que le déroulé minuté de l’action.

Ce ne sera qu’à l’issue de leur enquête, au minimum dans plusieurs mois, que les juges rendront leur rapport. Jusque là, tout n’est que spéculation, désinformation, propagande, en un mot « enfumage ».

[1] A la différence de l’APR largement approvisionné par l’Ouganda qui était son allié et sa base arrière. [2] Pour ce qui est de l’étude de la balistique des deux missiles tirés on se reportera à l’analyse faite par l’amiral Jourdier dans « Etude de tir contre l’avion présidentiel rwandais le 6 avril 1994 » paru dans le n°6 de l’Afrique Réelle (juin 2010)

 






Alerter

1 Commentaire

AVERTISSEMENT !

Eu égard au climat délétère actuel, nous ne validerons plus aucun commentaire ne respectant pas de manière stricte la charte E&R :

- Aucun message à caractère raciste ou contrevenant à la loi
- Aucun appel à la violence ou à la haine, ni d'insultes
- Commentaire rédigé en bon français et sans fautes d'orthographe

Quoi qu'il advienne, les modérateurs n'auront en aucune manière à justifier leurs décisions.

Tous les commentaires appartiennent à leurs auteurs respectifs et ne sauraient engager la responsabilité de l'association Egalité & Réconciliation ou ses représentants.

Suivre les commentaires sur cet article

  • Combien de temps avant, faut-il pour préparer une telle opération ?
    Pour que ça “marche”... un “peu” pour des personnalités de “cet ordre-là” !
    Mais, pour un chef d’État Occidental, mettons, dans une de ces pétro-monarchies... à la mode par chez-nous ces temps-ci ?
    Pas forcément chez les voyous footeux franchiés, on s’entend bien...
    Qui, pourquoi, quand ?
    Impossible, pas si sûr !
    Les voyages dans ces coins-là des hauts dirigeants de ce monde, n’étant pas annoncés à l’avance, sommes-nous à l’abri d’un tel séisme politique international, ça, c’est encore moins sûr...
    Qui y prendrait part, qui saurait... ?
    Sur quoi déboucherait un tel évènement mondial, quelles en seraient les conséquences, aïe aïe aïe, et si le jeu était encore plus sombre que ce que nous en percevons ?
    Il y a des forces armées qui sont pré-positionnées... et nous savons que pour parvenir à un déclenchement de gros conflit, il faut une cause d’ampleur internationale, qui pour tenir le rôle de bouc-émissaire ?
    M. Obama semble être un bon candidat à ce rôle, son vice-président ayant l’allure d’un Lyndon Johnson...
    C’est un peu tiré par les cheveux cette réflexion, admettons !
    Mais, attention, on regarde tous un horizon, et ça peut partir là où on ne s’y attend pas, comme pour les fois précédentes, stupeur... !
    La tradition veut, que l’on brûla la “marionnette”, à la fin du carnaval...
    Selon le vieil adage, impossible n’est pas Français, fermer la porte à une telle possibilité, ne nous serait donc pas permis alors...

     

    Répondre à ce message